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— Cela vous ennuierait beaucoup de rappeler le facteur pour lui demander si, avant l'arrivée d'Amédée, l'enveloppe ne venait pas de Pouillard ? D'une Marie-Adélaïde Pouillard ? C'était le nom de jeune fille de la mère d'Amédée.

— Pas du tout, j'aime bien appeler le facteur.

La réponse vint peu de temps après, affirmative : Pouillard. Roberta en avait profité pour inviter le facteur à dîner.

XXVIII

Danglard se débattait avec le descendant Danton quand Adamsberg les rejoignit, en milieu d'interrogatoire. La pièce était petite, sous les toits de Paris, mal rangée, mal aérée. L'homme — un ancien relieur, lui avait signalé Danglard — était au chômage depuis quatre années. Danglard avait les cheveux ébouriffés, certains dressés, de colère peut-être, et Justin se tenait tête basse, bras nerveusement croisés.

— Mais bienvenue, commissaire, dit le descendant avec exubérance. Heureux de vous compter parmi nous, vos collègues me distraient beaucoup. Comme vous le voyez, je n'ai plus de siège à vous offrir.

— Aucune importance, je ne m'assieds jamais.

— Vous êtes donc comme les chevaux. Ça a ses avantages, mais l'ennui, c'est que vous ne voyez pas devant votre nez. Ce qui vous a fait imaginer qu'un descendant du gros Danton aurait tué pour l'honneur de l'ancêtre.

L'homme éclata de rire. Sombre et repoussant, il l'était, avec ses joues creuses, ses dents longues irrégulières et grises, ses yeux noirs très écartés.

— Le gros Danton, parfaitement, dit-il en une fin de rire. On l'a dit patriote, sincère, enflammé, chaleureux, aimant et dispendieux. Moi je dis que c'était un foutu corrompu, un opportuniste, un orgueilleux qui se taillait des succès avec sa corpulence et sa voix de brute, un cupide, un débauché, un tueur, un traître. Au moins Robespierre était-il pur dans son infamie. Comme je l'ai dit à vos collègues, je suis royaliste. C'est bien le moins que je veuille réparer les atrocités d'un aïeul pourri. Il a voté la mort du roi, qu'il ne se plaigne pas d'avoir perdu sa tête.

— Et il se plaint ?

La question déconcerta un instant la faconde du descendant Danton.

— En tant que royaliste, enchaîna Adamsberg, que faites-vous dans cette assemblée ?

— Je scrute, commissaire, dit l'homme avec cette fois un grand sérieux. J'espionne, je traque. Je collectionne tous les travers et les vices de ses membres, membres qui se déguisent et se faufilent comme des rats d'égout sans avoir même le courage de leurs opinions. Anonymes, croient-ils ? Pas pour moi. Malversations, capitaux cachés, crapuleries, escroqueries, pornographie, trafic d'armes, homosexualité, pédophilie, tout est bon. Et n'imaginez pas que je sois bredouille, loin de là. Les républicains puent par tous leurs pores. Ne perdez pas votre temps à chercher mes dossiers, tout cela est en sûreté. Et cela représente déjà une sacrée masse. Encore un peu de matière et j'allume la mèche. Et je fais sauter ce nid grouillant de termites ignobles, dignes descendants de tous ces excités hideux qui ont ruiné la France avec cette impotente démocratie. Et par leur destruction, j'atteindrai la République tout entière.

— Bien, dit Adamsberg. Et comment vous y prenez-vous pour mener seul une si grande investigation ?

— Seul ? Vous divaguez, commissaire. Le cercle royaliste est plus étendu que vous ne le croyez. Il pousse ses tentacules jusque dans la magistrature et dans votre police. Et nous y sommes nombreux dans cette association. Croyez-vous que votre République soit éternelle ?

L'homme rit à nouveau, farouchement, puis dressa son maigre corps et ouvrit les deux portes d'un petit placard. Affichées sur les vantaux intérieurs, les reproductions, maculées de déjections diverses, des visages de Danton et de Robespierre, aux yeux crevés de peinture rouge, ayant coulé sur les joues.

— Ils vous plaisent ainsi ?

— Violent, commenta Adamsberg. Au point de tuer, en attendant le grand soir de l'explosion.

L'homme referma amoureusement son placard.

— Comme si j'allais perdre mon temps à les dessouder l'un après l'autre alors que je tiendrai bientôt en main de quoi les engloutir tous d'un coup.

Adamsberg donna le signal du départ à ses adjoints.

— Dites bien à ce castré de François Château, cria l'homme, et à ses deux vaniteux et pédants acolytes, que leur bauge à cochons n'en a plus pour longtemps !

— Violent, répéta Adamsberg une fois dans la rue.

— C'est Danton qui ne doit pas être content, dit Justin.

— On n'est jamais trahi que par les siens.

— Comédie ? demanda Danglard.

— Non, dit Adamsberg. Les affiches sont anciennes, ce n'est pas une mise en scène. Il les hait.

— Cela en fait un tueur très crédible, dit Justin.

— Je crois qu'il vise plus haut, dit Adamsberg. Les rouler dans la boue et, salissant l'association, avilir la Révolution et faire tomber la République. Rien que cela. Que vous a-t-il dit pour expliquer sa présence devant l'appartement du psychiatre ?

— Que Lebrun n'était qu'un parmi tous les autres qu'il espionnait. Il cherche une faille dans son existence.

— Il l'a trouvée ?

— On ne sait pas. Ses « dossiers » sont au secret, il l'a dit et répété.

— Je ne pense pas que l'un des deux vaniteux acolytes risque quoi que ce soit de ce maigre Danton fils. Si le tueur veut décapiter l'association, il exécutera Robespierre. Et pour l'instant, l'assassin, on l'a vu, fait partir sa vague de loin, de très loin, en éliminant surtout des « occasionnels ». Pourquoi ? Parce qu'une tornade qu'on sent approcher à pas de loup effraie bien plus qu'une trombe qui vous submerge brutalement. Il serrera son filet peu à peu, pour qu'on le voie venir lentement à l'horizon. On allège la protection de Lebrun, on veille simplement à ce qu'il embarque dans un taxi sûr à la sortie de l'hôpital. On fait de même pour Leblond. Convoquez-le, tâchez de savoir où il vit. Il est plus rusé que le secrétaire, je crois.

— Lebrun va couiner d'effroi, dit Danglard.

— S'il a si peur, qu'il démissionne.

— Il perdrait la face. Le psychiatre se mettant aux abris derrière un burladero.

— Un quoi ?

— La barrière de bois, pour les corridas, s'agaça Danglard. C'est vous qui me l'avez demandé il n'y a pas six heures.

— C'est vrai.

L'angélus sonnait 19 heures au clocher de l'église Saint-François-Xavier. Adamsberg fit une halte.

— Café, dit-il.

Apéritif, pensa Danglard. C'était l'heure.

— Si cela vous intéresse d'approfondir le « on n'est jamais trahi que par les siens », ajouta Adamsberg. Il se pourrait que les deux meurtres islandais ne soient pas ceux qu'on croit.

— On a dit qu'on avait quitté l'Islande, dit Justin, un peu plaintif.

— Sûrement. Ce qui n'empêche pas d'y faire un tour, si cela vous tente.

Cela ne tentait ni le commandant ni le lieutenant, qui ne bougèrent pas. Adamsberg leur sourit, leur adressa un léger signe de la main et les laissa. Les deux hommes le regardèrent s'éloigner et pousser la porte d'un café. Quelques minutes plus tard, ils s'asseyaient à sa table.

— On ne part pas en Islande, mais à la ferme du Thost, en Eure-et-Loir.

— Où vous étiez aujourd'hui ? dit Justin.

— Ce qui vous a fait manquer tout le début de notre entretien avec Danton, dit aigrement Danglard.

— C'était intéressant ?

— Non.

— Vous voyez, Danglard. Une demi-heure suffit largement avec ces gens-là. Ferme du Thost autrefois tenue par un couple Grenier, une famille d'accueil.