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— Et c'est ce que tu cherchais ? demanda Rögnvar.

— C'est beaucoup plus, je crois.

— Alors je comprends pas.

— Je peux les laver ? demanda Almar, sourcils froncés. Les petits bouts blancs ?

— D'accord, dit Adamsberg. Mais doucement.

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? demanda Veyrenc.

Rögnvar avait du respect pour cet homme aux mèches de feu, venues d'un autre monde.

— Pourquoi l'afturganga a voulu vous tuer, dit-il en secouant la tête, grattant ses cheveux. Tu as dû faire une bêtise, Berg.

— J'ai curé le fond des trous à la petite cuillère, et Veyrenc aussi, dit Adamsberg en écartant les mains en signe d'ignorance. On a mis ça proprement dans des petits sachets. Avant, j'ai craché sur le petit morceau blanc, pour le nettoyer un peu.

— Et quoi d'autre ? demanda Rögnvar, insatisfait.

— Je l'ai examiné, je l'ai montré à Veyrenc, je l'ai repris, je l'ai regardé. Et pendant ce temps-là, elle, dit-il en montrant Retancourt — toujours endormie à la manière d'un pilier d'église — elle courait vers nous.

— Ah c'est cela, dit Rögnvar, tu t'es attardé.

— C'est cela, confirma Gunnlaugur.

— L'afturganga t'appelle de très loin, reprit Rögnvar, il t'offre tout cela, et toi, qu'est-ce que tu fais ? Tu t'attardes.

— Et alors ?

— Alors tu t'installes. Il te reçoit, et toi, tu en prends aussitôt à tes aises, tu te crois chez toi. En terrain conquis. Alors forcément.

— Forcément, appuya Gunnlaugur.

— Il te détruit. Il appelle sa nuée blanche et il t'avale.

— Manque de courtoisie ? demanda Adamsberg.

— On peut le dire comme ça, dit Brestir. Une offense. Nul n'habite la terre d'un afturganga plus longtemps qu'il ne le désire.

Almar avait fini de laver les morceaux blancs et les avait soigneusement reposés près de leurs petits tas de terre respectifs. Il fit signe à Adamsberg de le rejoindre au bar. Un signe sobre cette fois, sans excès de gestes.

— Qu'est-ce que tu veux ? demanda Adamsberg.

— Une bière.

— Je te l'offre.

— Prends-en une aussi.

— J'ai assez avec ce brennívin. Il me brûle encore les mâchoires.

— Tu ferais mieux d'en prendre une. Ou un café, alors. Prends un café. Bien sucré.

— Très bien, céda Adamsberg en laissant Almar passer commande à Eggrún, comprenant qu'ici, et en ces circonstances particulières, mieux valait ne pas s'opposer. Pas plus finalement, se rappela-t-il, que dans le café normand du village d'Haroncourt.

— Tu crois que c'est quoi, tes cailloux blancs ?

— Des os de macareux.

Almar avala la moitié de sa bière en commandant d'un doigt au commissaire de faire de même avec son café. Adamsberg sentit une vague de fatigue lui écraser les épaules. À la table, Veyrenc paraissait vaciller de même, et Retancourt dormait toujours. Il reposa sa tasse vide, raclant le sucre brun avec sa cuillère.

— Ce sont les petits os qui s'articulent au bas du membre, dit Almar. J'ai étudié, dans le temps. À Rennes.

— Bien, dit Adamsberg, les yeux mi-clos.

— C'est pas du macareux, dit Almar. C'est de l'homme.

XXXIX

Adamsberg sortit de l'auberge sans pouvoir distinguer son mur de ceux des maisons voisines, tout rouges ou bleus qu'ils fussent. Il huma l'odeur d'humidité iodée que portait la brume immobile, celle qu'il avait sentie sur l'île tiède, celle surtout que Retancourt avait flairée bien avant eux, la déterminant à remonter sur la plate-forme pour observer ce que le vent leur apportait de l'ouest. Retancourt qui avait vaincu le nuage de l'afturganga. Il remonta la manche de son anorak et consulta ses montres. Il les voyait, mais il ne pouvait dire avec exactitude où étaient les aiguilles. Même avec la boussole, qui gisait là-bas près des trous de piquet, ils n'auraient pas pu maintenir un cap, encore moins distinguer les blocs de glace dérivants.

Dans la salle, Eggrún pansait d'un geste sûr la cheville de Veyrenc, après y avoir appliqué un baume très odorant, très semblable à l'onguent que Pelletier avait posé sur la patte d'Hécate. Rögnvar était penché sur la jambe du blessé, préoccupé. Il appela Almar d'un geste, pour la traduction.

— T'es sûr que tu t'es tordu le pied en courant sur les galets ? demanda-t-il à Veyrenc.

— Certain. Ce n'est qu'une entorse, Rögnvar.

— Mais t'as sacrément mal, hein ?

— Oui, reconnut Veyrenc.

— Et quand t'es tombé, t'as ressenti une douleur vive ? Comme au cœur de l'os ?

— Oui, après un temps. Une déchirure du ligament sans doute.

Rögnvar reprit ses béquilles et se dirigea vers Gunnlaugur, qui disputait une partie d'échecs solitaire.

— Je sais ce que tu veux, dit Gunnlaugur.

— Oui. Appelle l'aéroport, qu'ils mettent un avion en alerte pour l'hôpital d'Akureyri. Faudra surveiller cette cheville toutes les heures. Si le violet grimpe au-dessus de la bande, on l'embarque.

— Et comment on va décoller, avec cette brume ?

— Ma main au feu qu'elle ne s'est pas étendue jusqu'à la piste. Ou pas si épaisse. Elle est seulement sur l'île du Renard et sur nous.

Gunnlaugur poussa un pion et se leva.

— Je vais téléphoner, dit-il. Touche pas aux pièces.

Dans son dos, Rögnvar examina l'échiquier. Puis il déplaça la tour noire. Il était le plus grand joueur de Grimsey, elle-même la plus grande île du jeu d'échecs.

Adamsberg aida Veyrenc à rejoindre une petite chambre qu'Eggrún lui avait préparée au rez-de-chaussée.

— Et elle ? On en fait quoi ? demanda Eggrún en désignant Retancourt.

— On ne la bouge pas, dit Adamsberg. Elle récupère cinq fois plus vite que nous.

Eggrún jeta un œil à la table d'échecs où son mari venait de découvrir le coup bas de Rögnvar.

— Le temps qu'ils fassent la revanche et la belle, estima-t-elle, pas de dîner avant 20 h 30. Dormez trois heures.

À 19 heures, Rögnvar laissa Gunnlaugur perplexe face à une manœuvre cruciale qui menaçait sa dame, pour aller examiner la cheville de Veyrenc endormi. Pour le moment, « ça » ne gagnait pas vite. Néanmoins, les doigts avaient enflé et une tache violette de la taille d'une demi-couronne dépassait du haut de la bande.

— On laisse l'aéroport en alerte, dit-il en se rasseyant, posant ses béquilles au sol.

Retancourt, éveillée depuis une demi-heure, avait demandé par gestes le droit de s'asseoir auprès d'eux pour regarder la partie. Du coin de l'œil, elle vit Eggrún s'affairer à disposer leur table, puis apporter les plats. Hareng, morue et saumon, en tranches séchées, fumées, salées, bières et même une bouteille de vin. Encore ne s'agissait-il que des entrées. Un festin qui signalait que l'assaut victorieux de l'île de l'afturganga avait rompu la glace, si l'on peut dire.

Assis sur son lit, Adamsberg ne s'était assoupi que par instants. Il attendit que la pendule de l'auberge sonne le quart de 8 heures pour descendre dans la salle et aider Gunnlaugur à porter Veyrenc jusqu'à leur table. Retancourt les rejoignit et s'assit d'un bloc sur sa chaise, les traits tout à fait reposés. Adamsberg versa le vin et leva son verre.

— À Violette, dit-il sobrement.

— À Violette, répéta Veyrenc.

— Votre chute sur la plage aurait pu nous être fatale, dit Retancourt en choquant son verre contre celui du lieutenant.