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— Bien, commandant.

— Et ensuite ? réattaqua Noël. Et ensuite rien ! Quatre morts. Et on va continuer à poursuivre ces fantoches, Château, Lebrun, Leblond, Sanson, Danton et autres, choisis parmi sept cents, faute de mieux, faute de rien. Tandis que notre commissaire s'en est allé résoudre un drame touristique en Islande.

— À ses frais, signala doucement Justin.

— Mais absent, souligna Noël à voix forte, suivi par les grommellements de sept hommes en uniforme.

— La stagnation de l'enquête n'est pas de son fait, intervint Mercadet. On attend impatiemment tes suggestions, Noël.

— Adamsberg est-il le seul à devoir réfléchir ? ajouta Retancourt.

— Mais réfléchit-il ? rétorqua Noël. L'enquête s'enlise parce qu'Adamsberg stagne, et il stagne parce qu'il court ailleurs, au Creux ou au pôle Nord. Et cette stagnation se répand sur nous, elle nous cloue au sol, elle nous prive d'initiatives.

— Personne ne te demande d'être aussi sensible à son influence, dit Mercadet.

— Je ne vois pas où est la faute, ajouta Froissy. Toutes les investigations, tous les interrogatoires et les suivis possibles ont été lancés.

Adamsberg, arrivé à dessein tardivement, était adossé au chambranle de la porte, écoutant ces derniers échanges.

— Qui n'ont toujours rien donné, dit Mordent. On croirait jeter de l'eau dans du sable.

— Et pourquoi ? dit Justin en dévisageant Danglard.

— Certes, son esprit était en Islande, articula prudemment Danglard. Mais ce volet est à présent clos.

Adamsberg choisit cet instant pour pousser la porte, générant une onde de silence total.

Il examina tout d'abord la jambe de Veyrenc, s'assurant que le voyage n'avait pas entraîné de complication, ordre d'Almar. Il revit Brestir, Eggrún, Gunnlaugur, Rögnvar, le bras levé, sur le port. Et face à lui, ces hommes renfrognés en semi-révolte, frustrés par cette enquête impotente, exaspérés par leur défaut d'inspiration, incapables d'admettre que cette pelote d'algues était sombre et coriace. À cet état d'impuissance, il fallait bien trouver un exutoire. Lui. Il croisa les regards vacillants de Danglard et Mordent, qui ne l'attendaient plus, et se tint debout derrière les sièges de Retancourt et Veyrenc, tandis qu'Estalère lui glissait une tasse de café entre les mains. Il observait l'assistance, notant les changements de place, les rancœurs, les hésitations, les fronts durcis, et cet étrange flottement dans l'allure de Danglard, une épaule haute, une épaule basse, comme divisé entre fronde et détresse.

Danglard, futur meneur de l'équipe ? Et pourquoi pas ? Il possédait une clarté et une science si supérieures aux siennes. Détaché, presque indifférent, Adamsberg considéra son équipe, sans plus savoir au juste si elle était encore « son » équipe. Il choisit ses mots.

— Comme l'a exposé Veyrenc, l'exploration islandaise a fait exploser les mensonges de Victor et d'Amédée Masfauré. Elle nous désigne un assassin prêt à tout pour tenir au secret ses deux meurtres et l'anthropophagie.

— Prêt à tout ? dit Noël. Mais qui n'a cependant rien fait en dix ans. En quoi cela nous concerne-t-il ?

— En ce que sur les douze voyageurs, il en demeure six en danger de mort, auxquels il faut ajouter Amédée.

— Et qui ne sont toujours ni morts, ni menacés.

Noël avait plus de courage que d'autres, tel Voisenet, tête courbée, ou Mordent, qui feuilletait son dossier. Courage largement puisé dans sa violence naturelle, mais courage tout de même.

— Simple information, lieutenant, dit Adamsberg. Quant à l'échiquier Robespierre, il ne bouge toujours pas. Or les animaux bougent. Il existe donc une cause à cet immobilisme, qui n'est pas la fatalité, qui n'est pas la malchance. Je crois la pressentir, mais je ne peux pas l'exprimer. Bien noté, Danglard ?

— Oui, répondit Danglard d'une voix plate. Ce qui ne nous conduit toujours nulle part.

— Nulle part ?

Danglard interrompit ses notes, alerté par une légère modification de la voix du commissaire, qui se faisait incisive. Un fait rare, et toujours accompagné d'un regard anormalement précis. Il leva les yeux et le vit, ce regard en vrille, un rien embrasé, qui surgissait de l'atonie ordinaire des yeux d'Adamsberg. Pour lui peut-être, et pour lui seul, cet éclair si bref et déjà disparu.

— Vers où ? demanda Danglard.

— Vers le mouvement. Il faut aller là où les animaux bougent. Ne pas s'attarder, comme l'a compris Retancourt, là où la brume nous cloue sur place. Je serai absent cet après-midi. En attendant, Danglard, vous restez aux commandes de la brigade. J'ai idée que quelque chose séduit dans cette relève.

Adamsberg acheva son café froid puis, sac plastique en main, contourna la table pour se poster auprès de son plus vieil adjoint. Il lui prit son crayon des mains et écrivit sous ses notes : Nulle part, Danglard ? L'afturganga ne convoque jamais en vain. Et son offrande conduit toujours sur un chemin.

Puis il sortit du sac la bouteille de brennivín et la posa aimablement sur la table.

— On y va, dit-il à Veyrenc en repassant derrière lui.

— Au Creux ? murmura Retancourt.

— Oui.

Veyrenc se dressa sur ses béquilles tandis que Retancourt, non convoquée, se levait à son tour pour les suivre. Une étrange conversion, songea Adamsberg. Quand on en a bavé dans la brume, on en a bavé dans la brume, aurait expliqué Rögnvar.

XLII

— Qu'est-ce qu'on cherche à leur faire dire, au fond ? demanda Retancourt.

Ils avaient déjeuné à l'Auberge du Creux, ouverte en ce 1er mai, et prévenu les frères Masfauré de leur arrivée. Sans surtout évoquer leur voyage en Islande. Au téléphone, Victor, ignorant des motifs de cette nouvelle visite, était déjà sur le qui-vive. Car Adamsberg avait demandé qu'ils se retrouvent dans un des pavillons d'entrée, hors de portée de Céleste.

— Tout d'abord, on cherche à finir, dit Adamsberg avec une pensée pour Lucio. Ensuite, on cherche à intensifier le mouvement.

— Victor ne parlera pas du tueur, dit Veyrenc.

— On ne peut pas enfoncer une porte d'un seul coup d'épaule. Aujourd'hui, nous l'ébranlons.

Et Retancourt s'abstint de demander à quoi servait tout cela.

À présent, installés dans le pavillon d'Amédée, les deux frères les regardaient sans mot dire, campés sur leurs gardes.

— Nous sommes rentrés tous trois d'Islande hier soir, dit Adamsberg. Plus exactement de l'île de Grimsey, et plus précisément encore de l'île tiède. L'île du Renard. Rude combat, dit Adamsberg en désignant la jambe de Veyrenc, à la hauteur des informations rapportées. Informations qui, contrairement à la dernière fois, ne vous apprendront rien.

— Je ne vois pas, dit Victor à mi-voix. Je ne vois pas ce que vous avez pu « rapporter ». Il n'y a rien sur l'île du Renard.

— Il y a des trous de piquet. À l'endroit même de votre ancien campement. Vous étiez bien installés tout en haut de la plage, un peu abrités par les bases des deux cônes ?

Victor acquiesça.

— Ces trous, vous n'avez pas pu les voir car à l'époque de votre expédition, ils étaient enfouis sous la neige. Et puis, Victor, la neige a fondu. Et puis, les débris qui la jonchaient s'y sont enfoncés. Bien à l'abri des vents glaciaires.

— Ça n'a pas de sens, dit Victor. Vous êtes allés jusque là-bas pour fouiller dans des trous de piquet ? Dont vous ne connaissiez même pas l'existence ?

— C'est juste.

— Pour chercher quoi ?

— De la graisse de phoque, pourquoi pas ?