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Un an, déjà. Un an qu’il avait réussi l’impossible. Réussi à la sortir de cet enfer. À la sortir des griffes des médecins, des psychiatres et de leurs piqûres. Celles qui changent la couleur de votre douleur, qui vous font oublier qui vous êtes. Qui vous grignotent la tête morceau par morceau et vous enveloppent le cerveau dans du coton stérile. Sans lui, elle serait encore dans cet asile, cette prison. Coincée entre les cloisons matelassées, les lits médicaux et les barreaux aux fenêtres.

Sans son aide, elle ne s’en serait pas sortie. Jamais. Elicius n’avait eu personne pour l’aider, lui. Personne pour lui tendre la main. Il avait glissé doucement, sans un bruit, sans réveiller personne. Elle avait toujours l’une de ses lettres sur elle. Dans son sac. La plus belle…

Mais ça, Esposito ne le savait pas. Il était un peu jaloux, parfois. Il aurait pu croire des choses. S’imaginer des histoires. Pourtant, qui d’autre, à part lui ? Qui pouvait aimer sa douce folie ? Maîtriser ses angoisses ou sa violence ? Voler à son secours ? Il existait vraiment, ce chevalier servant. Il était là, tout près. Assis tout près.

Mais pourquoi ce train ne s’arrête-t-il jamais ? Et ces étangs, je les ai déjà vus… Sauf qu’avant, il n’y avait pas de grilles aux fenêtres du train…

Elle ouvrit les yeux sur une silhouette encore floue. Il était bien là, fidèle vigie au chevet de sa folie. Elle le devinait dans la brume chimique qui la cernait. J’aurais pas dû prendre le comprimé bleu, tout à l’heure. J’aurais dû le jeter par la fenêtre, au travers du grillage. J’y aurais vu plus clair… Elle parvint tout de même à lui sourire.

Il adorait son sourire. Il pouvait la regarder pendant des heures. Un jour, je te sortirai de là, Jeanne. Définitivement. J’attendrai le temps qu’il faut. Je ne suis pas pressé.

Depuis qu’il n’était plus flic, Esposito avait tout son temps. Le placard ou la porte : le choix avait été vite fait. Et puis ainsi, il avait plus de liberté. Pour sa fille et pour Jeanne.

Jeanne qui avait refermé les yeux et continuait de lui sourire.

Parle-lui, Jeanne ! Dis-lui de t’emmener ! Dis-lui… Difficile quand on ne sait plus parler. Pourtant, les mots vivaient, bien rangés dans sa tête. Mais elle les gardait pour elle. Parle-lui, Jeanne ! L’autre était là, aussi. Enfermé avec elle dans cette prison sans issue. Impossible de s’en défaire…

Elle devina les lèvres douces sur sa peau, sur son front. Il s’en allait, il faisait presque nuit. Il reviendrait demain. Et dimanche, il l’emmènerait dehors. Ils prendraient le train, ils iraient au bord de la mer. Comme deux amants ordinaires. Elle entendit qu’il passait la porte de la chambre. Elle était à nouveau seule. Ou presque.

Alors, elle reprit le train… Le rose des étangs salés, le bleu profond des criques et le blanc lumineux des calanques…

Il m’a peut-être laissé une lettre. Elle tendit le bras et sentit l’enveloppe posée à côté d’elle.

Il me laisse toujours une lettre…

FIN

Biographie de l'auteur

Karine Giébel est née en 1971 dans le Var, où elle vit toujours. Depuis qu’elle sait tenir un stylo, elle écrit. Après ses études de droit, elle se lance dans la rédaction d’un polar et son premier roman, Terminus Elicius (Éditions la Vie du Rail, collection Rail Noir 2004) reçoit le prix Marseillais du Polar en 2005. Ce premier succès est suivi de Les Morsures de l’ombre (Éditions Fleuve Noir, 2007), lauréat du prix Intramuros à Cognac, du prix SNCF du polar 2009 et du prix Derrière les murs. Après Chiens de sang en 2008 et Jusqu’à ce que la mort nous unisse en 2009 (Lauréat du Prix des Lecteurs au Festival Polar de Cognac), Meurtres pour rédemption a paru en 2010 aux éditions Fleuve Noir (précédemment paru aux Éditions la Vie du Rail en 2006 dans la collection Rail Noir). Ses livres sont traduits aux Pays-Bas, en Espagne, en Russie et en Italie. Certains d’entre eux sont en cours d’adaptation cinématographique.