Выбрать главу

Il se décida à revenir sur les lieux du crime.

La malheureuse s’appelait Bénédicte Décugis. Trente-quatre ans, divorcée, un enfant. Négociatrice dans une agence immobilière. Esposito écoutait le résumé de son subordonné sans bouger.

— Vous avez trouvé quelque chose ? demanda-t-il sèchement.

— Non, rien pour le moment…

Il se mit alors à distribuer les ordres d’un ton autoritaire, façon arme automatique :

— Interrogez les voisins, les proches, les collègues de travail. Je veux un relevé des appels reçus et émis depuis son fixe et son portable. Disséquez le disque dur de son ordinateur, vérifiez si elle a reçu des mails, si elle nouait des contacts sur le net ! Et vous m’épluchez son agenda, aussi ! Qui a trouvé le corps ?

Il n’obtint pas de réponse dans la seconde et donna de la voix.

— Qui a trouvé le corps ?

— La jeune fille au pair qui va chercher son fils à l’école et le ramène ici, expliqua précipitamment Lepage.

— Et elle est où, cette fille ?

— Elle a emmené le petit chez son père…

— Convoquez-la-moi au commissariat ! Je veux la voir dans une heure ! Et je veux voir aussi l’ex-mari… Elle avait un mec en ce moment ?

— On ne sait pas encore…

— Ben, faut savoir ! C’est clair ?

Difficile de faire plus clair. Il soupira et eut la force d’affronter le corps sans vie de Bénédicte avant que les types de l’institut médico-légal ne l’embarquent. Joli, comme prénom, Bénédicte. Elle était certainement jolie, Bénédicte.

Avant de devenir le repas d’un tueur.

Il choisissait toujours les plus jolies, de toute façon. Quel boulot de merde ! Surtout quand on a l’impression de ne servir à rien. Juste bon à ramasser les morceaux et à les mettre dans un sac. Vraiment un sale boulot. Encore une nuit blanche en perspective. Mais pourquoi on m’a refilé cette affaire ? Pourquoi ? Parce que vous êtes le meilleur, capitaine Esposito.

Chapitre cinq

Lundi 19 mai.

Esposito avait sa tête des mauvais jours. Jeanne dut affronter la rugosité de sa barbe naissante contre la peau délicate de ses joues.

N’était-il pas rentré chez lui, cette nuit ? S’était-il levé en retard ? Était-ce Elicius qui le mettait dans cet état ?

Il repartit rapidement vers la sortie et Jeanne resta seule face à ses questions, essayant tout de même de se remettre au travail. Après le passage éclair du capitaine, il y avait toujours quelques minutes de flou. Le temps nécessaire pour que le cœur se raisonne. Et puis, en ce moment, elle était particulièrement distraite ; fautes de frappe dans les courriers, erreurs de classement dans les dossiers…

Sa chef n’avait pas manqué de le lui faire savoir. Une remarque cinglante, ce matin. Sur le ton de l’ironie, blessante. « Eh bien, ma petite Jeanne ! Vous êtes amoureuse ou quoi ? » Et les deux autres qui éclatent de rire ! De toute façon, elles riaient toujours des blagues de la chef, histoire de se faire bien voir. Jeanne était devenue écarlate, puis livide. Impossible de répondre. Elle ne répondait jamais, de toute manière.

Facile de l’enfoncer, de la mettre mal à l’aise devant tout le monde.

Elle fixait son écran mais ne voyait rien. L’esprit ailleurs.

Elicius.

Vendredi soir, elle avait déposé sa lettre dans le 17 h 36. Et maintenant, elle attendait. Le week-end avait été long. Terrée chez elle, tournant en rond ; discussions interminables. Elle avait l’impression d’être tombée dans un piège, d’avoir mis le doigt dans un engrenage infernal. Chaque jour, la peur.

Elicius était furieux et c’était un tueur.

C’était peut-être à cause d’elle qu’il avait récidivé. Qu’il avait tué cette Bénédicte quelque chose. Non, il tuait déjà avant, elle n’y était pour rien. La lettre allait-elle le calmer ? Mais dans ce cas, il recommencerait à lui écrire. Et elle se rendrait coupable de ne pas en parler au capitaine. Affreux dilemme…

Elle aurait aimé avoir une amie à qui se confier. Se confesser, presque. Trouver un réconfort comme on aime le faire en cas de coup dur. Mais elle n’avait personne. Sa mère ? Inimaginable ! Si elle lui parlait de cette histoire, c’était la crise d’hystérie assurée. Elle décrocherait le téléphone, appellerait police secours, les pompiers, le SAMU…

Il lui fallait donc affronter seule cette situation difficile. Pourquoi c’est toujours pour moi, ce genre de trucs ? Pourquoi il ne m’arrive que des emmerdes ? C’est vrai, un type tombe amoureux de moi dans un train. Jusque-là, l’histoire peut paraître agréable, romantique et tout. Mais ce type, c’est le pire des assassins.

Alors là, ça devient vachement moins romantique ! Et, bien, sûr, c’est pour moi. Je dois les attirer, c’est pas possible ! Ça doit être génétique. Je suis née comme ça, y’a rien à y faire…

— Jeanne ?

Elle sursauta, leva la tête. Monique la regardait avec un drôle d’air. Encore une remarque désagréable ?

— Tu as terminé de taper la note ?

— La note ?

Quelle note ? Je dois vraiment avoir l’air ensuqué !

— La note de service sur les congés, précisa Monique avec agacement.

Putain ! La note de service sur les congés ! Complètement oubliée !

— Je… J’allais le faire !

— Quoi ? Tu n’as pas encore fini ? Faut qu’on appelle Molinari, ou quoi ?

Ça y est, les autres rigolent. Elle a eu ce qu’elle voulait, elle doit jubiler.

— Euh…

— Ça s’arrange pas, ma petite Jeanne !

Et pourquoi elle dit toujours « ma petite Jeanne » ? Je suis plus grande qu’elle, après tout.

— Je vais le faire tout de suite, ça sera prêt dans dix minutes…

Monique soupira et retourna à sa place. Jeanne avait rougi, une fois encore. Avec l’impression que ses joues avaient enflé.

Elle chercha le texte de la note, enseveli sous une pile de dossiers et se mit immédiatement au travail. « Faut qu’on appelle Molinari… » Jeanne haussa les épaules et reluqua du côté de Monique. Quelle garce ! Balancer ça devant les autres ! Elle fait vraiment tout pour me ridiculiser ! Quelques minutes à pester en silence et, l’instant d’après, les pensées qui prennent un autre chemin…

Elicius. Est-ce qu’il songe à moi, en ce moment ? Est-ce qu’il me voit ? Quelle drôle d’idée ! Il ne peut pas me voir ! Elicius, c’est pas Monique, tout de même ! Non, elle est mariée, elle est pas lesbienne !

N’importe quoi, Jeanne ! Tu nages en plein délire !

Le moment était venu. 17 h 35, le TER venait chercher ses habitués. Jeanne était là, fidèle parmi les fidèles. Elle grimpa à l’intérieur et se rua vers le fond du dernier wagon. Toujours le même temps d’hésitation avant de regarder sur le côté. Avant de se jeter dans la gueule du loup.

D’abord, vérifier que personne ne me surveille. Que personne ne soupçonne l’existence de cette planque. Il y avait beaucoup de passagers, ce soir. Peut-être y avait-il Elicius, parmi eux ? Derrière ses lunettes, Jeanne espionnait. Qui, parmi ces anonymes, avait du sang sur les mains ? Ce type, la quarantaine, châtain, avec une chemise, une veste et une cravate ? Non, trop classique, trop sérieux. Pas assez fou. Celui-là, plus jeune, avec un blouson en cuir ? Il a pas trop chaud avec son blouson en cuir ? Et ces cheveux mi-longs, gras et filasses… Beurk ! Non, Elicius est sans doute net. Bien rasé, bien coiffé.