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— Tu ferais mieux de connaître quèquechose si tu veux pas que je t’arrache ta colonne vertébrale chérie. (Il s’interrompit, puis ajouta :) Il y a des fantômes par ici, mon petit. Ils vivent à l’intérieur de ces saletés de machines, parfaitement ! Chanter les tient à distance… tu ne sais pas ça ? Chante, à présent !

Jake carbura à plein régime, peu désireux de recevoir une nouvelle marque d’affection de Gasher, et trouva une chanson qu’il avait apprise dans un camp d’été à l’âge de sept ou huit ans. Il ouvrit la bouche et se mit à beugler au sein des ténèbres, écoutant les échos rebondir parmi le clapotis de l’eau et le martèlement des machines vétustes.

Ma nana, elle est canon, c’est une New-Yorkaise J’lui paie tout c’qu’elle veut pour qu’elle soit ben aise Elle a une croupe Comme deux chaloupes Bon Dieu, c’est là que passe tout mon pèze.
Ma nana, elle est super, elle vient de Philly J’lui paie tout c’qu’elle veut pour qu’elle soit mimi Elle a des mirettes Comme deux tartelettes Bon Dieu, c’est là que passent tous mes radis…

Gasher saisit Jake par les oreilles comme une tasse par ses anses et l’obligea à s’arrêter.

— Il y a un trou juste sous tes pieds, dit-il. Avec une voix comme la tienne, mon louchon, ça serait rendre un fier service à l’humanité que de t’y laisser tomber, pour sûr, mais Tic-Tac ne serait pas d’accord du tout… alors m’est avis que t’es à l’abri pour quelque temps encore. (Gasher retira ses mains — les oreilles de Jake étaient en feu — et s’agrippa à la chemise du garçon.) À présent, penche-toi jusqu’à ce que tu sentes l’échelle de l’autre côté. Et fais gaffe de ne pas glisser et de nous entraîner tous les deux en bas !

Jake se courba avec précaution, les mains écartées devant lui, terrifié à l’idée de tomber dans un puits qu’il ne pouvait voir. Comme il tâtonnait à la recherche de l’échelle, il sentit une bouffée d’air chaud — propre et quasi odorant — lui effleurer le visage et aperçut une pâle lueur rosâtre au-dessous de lui. Ses doigts touchèrent un échelon d’acier et se refermèrent dessus. Les plaies de sa main gauche se rouvrirent et il sentit du sang tiède lui couler sur la paume.

— Tu y es ? demanda Gasher.

— Oui.

— Alors descends ! Qu’est-ce t’attends, bon Dieu ?

Gasher lâcha sa chemise et Jake l’imagina en train de tendre la jambe en arrière, prêt à le faire se presser à l’aide d’un coup de pied aux fesses. Il franchit le fossé faiblement lumineux et se mit à descendre, se servant aussi peu que possible de sa main blessée. Cette fois, les barreaux étaient vierges de mousse et d’huile, et ils étaient à peine rouillés. Tandis que Jake s’enfonçait dans le puits interminable, se dépêchant pour éviter que Gasher ne lui écrase les mains de ses bottes à semelles épaisses, il se rappela un film qu’il avait vu à la télé : Voyage au centre de la Terre.

Le martèlement des machines s’amplifia et la lueur rosée s’accentua. Les machines ne produisaient pas un ronronnement satisfaisant, mais ses oreilles lui disaient qu’elles étaient en meilleur état que celles du dessus. Quand il parvint enfin en bas, il prit pied sur un sol sec. La nouvelle galerie horizontale, carrée, mesurait environ un mètre quatre-vingts de hauteur et était revêtue d’acier inoxydable riveté. Elle s’étirait, pour autant que Jake pouvait le voir, droit comme un cordeau devant et derrière. Il sut d’instinct, sans même avoir à y réfléchir, que ce tunnel (qui devait être au moins à plus d’une vingtaine de mètres sous Lud) suivait aussi le Sentier du Rayon. Et quelque part là devant — Jake en était certain, mais il n’aurait su dire pourquoi —, le train qu’ils étaient venus chercher se trouvait directement au-dessus.

D’étroites grilles d’aération couraient le long des murs au ras du plafond ; c’était de là que soufflait l’air propre et sec. De la mousse pendait de certaines en barbes gris-bleu, mais la plupart étaient nettes. Sous chacune, une flèche jaune surmontait un symbole qui ressemblait vaguement à un t minuscule. Les flèches indiquaient la direction que suivaient Jake et Gasher.

La lumière rose provenait de tubes de verre qui ponctuaient le plafond en rangées parallèles. Environ un sur trois était sombre, d’autres crachouillaient par à-coups, mais une bonne moitié d’entre eux marchait. Des tubes au néon, pensa Jake, sidéré. Ça alors !

Gasher se laissa tomber près de lui. Voyant l’expression surprise du gamin, il sourit.

— Chouette, hein ? Frais l’été, chaud l’hiver, et de la bouffe en suffisance pour que cinq cents types affamés n’en viennent pas à bout en cinq cents ans. Et tu sais pas la meilleure, mon louchon ? Le clou de tout ce bazar ?

Jake secoua la tête.

— Ces salauds d’Ados ignorent jusqu’à l’existence même de cet endroit. Ils pensent qu’il y a des monstres dans le coin, prêts à leur sauter sur le râble. Aucun Ado ne s’approche à moins de vingt pas d’une plaque d’égout, à moins d’y être contraint et forcé.

Il rejeta la nuque en arrière et se mit à rire à gorge déployée. Jake ne fit pas chorus, même si une voix froide, quelque part dans son crâne, lui soufflait qu’il serait judicieux de s’esclaffer avec lui. Il y avait des monstres sous cette cité — des trolls, des korrigans et des orques. N’avait-il pas été capturé par l’un d’eux ?

Gasher le poussa vers la gauche.

— Là… nous y sommes presque. Une, deux !

Ils prirent le petit trot, le bruit de leurs pas les poursuivant d’une meute d’échos. Au bout de dix à quinze minutes, Jake vit une écoutille étanche à deux cents pas devant lui. Comme ils s’en approchaient, il distingua un gros volant à valve qui en saillait. Un interphone était fixé à droite dans le mur.

— Je suis mort, fit Gasher, pantelant, tandis qu’ils atteignaient la porte au bout du tunnel. Sûr que ce genre d’activités, c’est trop pour un gars aussi mal en point que ton vieux pote ! (Il écrasa le bouton de l’interphone et brailla :) Je l’ai, Tic-Tac… aussi frais et rose que tu le voulais. Je ne l’ai même pas décoiffé d’un cheveu ! Ne te l’avais-je pas promis ? Fais confiance à papa Gasher, je t’ai dit, il va te faire ça aux petits oignons ! À présent, ouvre et laisse-nous entrer !

Il relâcha le bouton et regarda impatiemment la porte. Le volant ne tourna pas. Une voix monotone et traînante jaillit de l’interphone.

— Quel est le mot de passe ?

Gasher fit une horrible grimace, se gratta le menton de ses longs ongles en deuil, puis souleva son bandeau et extirpa un amas de matières jaune verdâtre.

— Tic-Tac et ses mots de passe ! dit-il à Jake — Il avait l’air aussi embêté qu’agacé — C’est un mec régule, mais faut pas charrier, si tu veux mon avis.

Il appuya sur le bouton et hurla :