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Le regard ahuri de l’Homme Tic-Tac allait alternativement de Jake à Gasher.

— De quoi parle-t-il ?

— De rien ! (Gasher, toutefois, ne put s’empêcher de lancer un coup d’œil à Hoots.) Il cause juste pour causer. Il cherche à me mettre sur la sellette à sa place, Ticky. Je t’ai dit qu’il était insolent ! Ne t’ai-je pas dit que…

— Jetez donc un coup d’œil dans son écharpe ! fit Jake. Il y conserve un bout de papier avec le mot écrit dessus. J’ai dû le lui lire, parce qu’il n’en était même pas capable.

Cette fois, Tic-Tac n’entra pas brutalement en fureur ; son visage s’assombrit graduellement, tel un ciel d’été avant un terrible orage.

— Fais-moi voir ton écharpe, Gasher, dit-il d’une voix sirupeuse. Laisse ton vieux copain y jeter un œil.

— Il ment, je te le dis ! cria Gasher, tenant son écharpe à deux mains et reculant de trois pas en direction du mur. (Juste au-dessus de lui, les yeux cerclés d’or du bafouilleux étincelaient.) Tu n’as qu’à le fixer droit dans les mirettes pour te rendre compte qu’un petit couillon insolent de son espèce ment comme il respire !

L’Homme Tic-Tac porta son regard sur Hoots, qui paraissait malade de trouille.

— Qu’en est-il ? lui demanda-t-il de sa terrible voix douce. Qu’en est-il, papa Hoots ? Je sais que Gasher et toi êtes comme cul et chemise depuis des lustres, et je sais aussi que tu as la cervelle d’un pois chiche, mais tu n’aurais tout de même pas la stupidité d’écrire en toutes lettres un mot de passe menant à la chambre intérieure… Je me trompe ? Je me trompe ?

— Je… j’ai seulement pensé que… commença Hoots.

— Ta gueule ! vociféra Gasher. (Il lança à Jake un regard de pure haine démente.) Tu me le paieras de ta vie, mon mignon… Tu verras si ce sont des promesses en l’air !

— Ôte ton écharpe, Gasher, dit l’Homme Tic-Tac. Je veux y jeter un coup d’œil.

Jake fit un pas discret en direction du podium truffé de boutons.

— Non ! (Gasher porta les mains à son écharpe, les y pressant comme si elle risquait de s’envoler toute seule.) Que je sois damné si je le fais !

— Brandon, empare-toi de lui ! ordonna Tic-Tac.

Brandon fondit sur Gasher. Celui-ci, sans égaler la promptitude de Tic-Tac, se pencha suffisamment vite quand même pour tirer un poignard du revers de sa botte et l’enfoncer dans le bras de Brandon.

— Oh, espèce de salaud ! hurla celui-ci sous l’effet de la surprise et de la souffrance, tandis que le sang se mettait à gicler de la blessure.

— Regarde ce que tu as fait ! brailla Tilly.

— Dois-je m’occuper de tout, ici ? tonna Tic-Tac, apparemment plus exaspéré que furieux, en se levant.

Gasher battit en retraite, agitant le poignard ensanglanté d’avant en arrière devant son visage en de mystérieux motifs, gardant son autre main fermement arrimée sur son crâne.

— Arrière ! haleta-t-il. Je t’aime comme un frère, Ticky, mais si tu ne recules pas, je vais enfoncer cette lame dans tes entrailles… c’est comme je te le dis.

— Toi ? Ça m’étonnerait, dit l’Homme Tic-Tac dans un éclat de rire.

Il sortit son poignard de sa gaine et le tint délicatement par son manche en os. Tous les yeux étaient fixés sur les deux protagonistes. Jake avança vivement vers le podium avec son petit bouquet de boutons et tendit la main vers celui sur lequel, pensait-il, l’Homme Tic-Tac avait appuyé.

Gasher reculait le long du mur incurvé, les tubes lumineux coloriant sa face criblée de pustules d’une succession de couleurs maladives : vert bile, rouge fièvre, jaune ictère. À présent, c’était l’Homme Tic-Tac qui se tenait sous la grille de ventilation d’où Ote les observait.

— Laisse tomber, Gasher, dit Tic-Tac d’une voix posée. Tu m’as amené le garçon comme je te l’avais demandé ; si quelqu’un doit porter le chapeau dans cette histoire, ce sera Hoots, pas toi. Montre-moi seulement…

Jake vit Ote se ramasser pour sauter et comprit, un : ce que le bafouilleux avait l’intention de faire, et deux : qui lui en avait donné mission.

— Ote, non ! cria-t-il.

Tous se tournèrent vers lui. À ce moment-là, Ote bondit, heurtant la grille de ventilation peu solide et la faisant tomber au sol. L’Homme Tic-Tac pivota vers l’endroit d’où venait le bruit et Ote fondit sur son visage levé, tous crocs dehors.

32

Roland entendit faiblement le cri malgré les doubles portes — Ote, non ! — et son cœur se serra. Il attendit que le volant tourne ; en vain. Fermant les yeux, il envoya un message à la puissance maximale : La porte, Jake ! Ouvre la porte !

Il ne perçut aucune réponse, et les images s’évanouirent. Sa ligne de transmission avec Jake, précaire au début, était désormais coupée.

33

L’Homme Tic-Tac recula à l’aveuglette, jurant et hurlant, tandis qu’il portait la main sur la créature gigotante qui lui lacérait le visage de ses dents et de ses griffes. Une atroce douleur écarlate s’engouffra dans son cerveau telle une torche ardente lancée dans un puits profond quand le bafouilleux lui creva l’œil gauche. Alors, la rage prit le pas sur la souffrance. Il saisit Ote, l’arracha de sa figure et le tint au-dessus de sa tête, prêt à le tordre comme un chiffon.

— Non ! gémit Jake.

Oubliant complètement le bouton qui déverrouillait les portes, il empoigna la mitrailleuse suspendue au dossier du fauteuil.

Tilly hurla. Les autres s’égaillèrent. Jake leva le vieux fusil allemand sur l’Homme Tic-Tac. Ote, cul par-dessus tête dans ces mains énormes, puissantes, et près de casser en deux, se contorsionna de toutes ses forces et donna des coups de dents dans l’air. Il hurla de souffrance, en un cri terriblement humain.

— Lâche-le, salopard ! brailla Jake, qui pressa la détente.

Il eut suffisamment de présence d’esprit pour viser bas. Le rugissement du Schmeisser calibre.40 creva les tympans dans l’espace confiné, bien que la salve ne fût que de cinq ou six coups. L’un des tubes d’éclairage explosa dans une gerbe de feu orange. Un trou apparut deux centimètres et demi au-dessus du genou gauche du pantalon moulant de l’Homme Tic-Tac et une tache rouge foncé s’y étala aussitôt. La bouche du géant blond s’ouvrit en un O de surprise choquée, mimique qui exprimait plus clairement que des mots que, en dépit de toute son intelligence, Tic-Tac avait escompté couler une existence longue et heureuse, au cours de laquelle il aurait tué des gens, mais où personne ne l’aurait tué. Visé, à la rigueur, mais touché pour de bon ? Cette expression d’étonnement disait que pareille chose n’était pas supposée arriver.

Bienvenue dans le monde réel, enfoiré ! pensa Jake.

Tic-Tac déposa Ote sur le sol grillagé et étreignit sa jambe blessée. Vipère se rua sur Jake, passa un bras autour de sa gorge… et Ote fondit sur lui, poussant ses aboiements stridents et mordant sa cheville gauche à travers son pantalon de soie noire. Vipère hurla et s’éloigna en sautillant, secouant la jambe pour faire lâcher prise à un Ote qui s’accrochait comme un arapède. Jake, se retournant, vit l’Homme Tic-Tac ramper vers lui. Il avait récupéré son poignard et en tenait la lame entre ses dents.

— Au revoir, Ticky !