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Marten était placé à côté de ma mère et de mon père, avait dit Roland. Je les reconnaissais, même de si haut — et à un moment, il a dansé avec elle, lentement, en tourbillonnant, et les autres leur ont cédé la place sur la piste et ont applaudi quand ils ont eu fini. Les pistoleros n’ont pas applaudi, eux.

Jake observa Roland avec curiosité, se demandant une fois encore d’où venait cet homme étrange… et pourquoi.

— On plaçait un grand tonneau au centre, poursuivit Roland, et chaque joueur y jetait une poignée de rouleaux d’écorce sur lesquels figuraient des devinettes. Plusieurs étaient anciennes, ils les tenaient de leurs aînés — ou bien les avaient glanées dans des livres — mais les plus nombreuses étaient nouvelles, inventées pour l’occasion. Trois juges, dont l’un était toujours un pistolero, rendaient leur verdict quand on les énonçait à haute voix. Et elles n’étaient acceptées que s’ils les jugeaient bonnes.

— OUI, IL FAUT QU’UNE DEVINETTE SOIT BONNE.

— C’est ainsi qu’ils jouaient aux devinettes, dit le Pistolero.

Un léger sourire fleurit sur ses lèvres au souvenir de ces jours d’autrefois. Quand il avait le même âge que le garçon meurtri et couvert de bleus assis en face de lui, le bafouilleux sur ses genoux.

— Ils jouaient des heures d’affilée. On formait un rang au centre du Hall aux Aïeux. La position de chacun y était déterminée par tirage au sort et, comme il valait mieux se trouver en queue qu’en tête, chacun espérait tirer un nombre élevé, même si le gagnant devait répondre correctement au moins à une devinette.

— ÇA VA DE SOI.

— À tour de rôle, hommes et femmes — en effet, certains des meilleurs joueurs de Gilead étaient du sexe féminin — s’approchaient du tonneau, tiraient une devinette. Si la devinette n’était toujours pas trouvée au bout de trois minutes écoulées dans un sablier, le joueur devait sortir du rang.

— ET ON POSAIT LA MÊME DEVINETTE AU SUIVANT ?

— Oui.

— ALORS IL AVAIT DAVANTAGE DE TEMPS POUR RÉFLÉCHIR.

— Oui.

— JE VOIS. ÇA M’A L’AIR ÉPATANT.

Roland tiqua.

— Épatant ?

— Il veut dire amusant, expliqua posément Susannah.

Roland haussa les épaules.

— Pour les spectateurs, peut-être, mais les participants prenaient la chose très au sérieux. Très souvent tout se terminait par des disputes, voire un pugilat, après la remise du prix.

— ET C’ÉTAIT QUOI LE PRIX, ROLAND, FILS DE STEVEN ?

— L’oie la plus grasse de la Baronnie. Et chaque année, Cort, mon instructeur, l’emportait chez lui.

— ÇA DEVAIT ÊTRE UN FAMEUX JOUEUR, dit Blaine avec respect. J’AIMERAIS BIEN QU’IL SOIT ICI.

Et moi donc, songea Roland.

— Es-tu prêt à entendre ma proposition, Blaine ?

— JE L’ÉCOUTERAI AVEC LE PLUS GRAND INTÉRÊT, ROLAND DE GILEAD.

— Que les prochaines heures soient notre Jour de Fête. Puisque tu veux apprendre de nouvelles devinettes, tu ne nous poseras donc aucune des millions de celles que tu connais déjà…

— CORRECT JUSQUE-LÀ.

— Nous ne saurions pas en résoudre les trois quarts, de toute façon. Je suis sûr que tu en connais certaines qui auraient fait sécher Cort en personne s’il les avait tirées du tonneau.

Roland n’en aurait pas donné sa tête à couper. Mais l’heure de jeter l’éponge et de fumer le calumet de la paix avait sonné.

— ÇA VA DE SOI.

— Au lieu d’une oie, ce sont nos vies qui seront le prix, proposa Roland. Nous te poserons des devinettes tout en roulant, Blaine. Si, à notre arrivée à Topeka, tu les as toutes résolues, tu pourras mettre à exécution ton plan initial et nous tuer. Voilà quelle sera ton oie. Mais si jamais nous te collons — si jamais une devinette tirée du livre de Jake ou de notre imagination te laisse sans réponse —, tu devras nous emmener à Topeka, puis nous libérer afin que nous puissions poursuivre notre quête. Voilà quelle sera notre oie.

Silence.

— Tu as compris ?

— Oui.

— Tu es d’accord ?

Silence encore plus grand de Blaine le Mono. Eddie, raide sur son siège, un bras passé autour de Susannah, contemplait le plafond du Compartiment de la Baronnie. La jeune femme, la main gauche posée sur son ventre, caressait le doux secret qui s’y nichait peut-être. Jake effleurait à peine le poil d’Ote, évitant les touffes poissées de sang, là où le bafouilleux avait été lardé de coups de poignard. Ils attendirent que Blaine — le véritable Blaine, à présent loin derrière eux, vivant d’un semblant de vie sous une cité dont tous les habitants gisaient, morts de sa propre main — réfléchisse à la proposition de Roland.

— OUI, dit-il enfin. JE SUIS D’ACCORD. SI JE RÉSOUS TOUTES LES DEVINETTES QUE VOUS ME POSEREZ, JE VOUS EMMÈNERAI À L’ENDROIT OÙ LE CHEMIN S’ACHÈVE DANS LA CLAIRIÈRE. SI L’UN DE VOUS ME POSE UNE DEVINETTE QUE JE N’ARRIVE PAS À RÉSOUDRE, J’ÉPARGNERAI VOS VIES ET VOUS CONDUIRAI À TOPEKA D’OÙ VOUS POURREZ POURSUIVRE VOTRE QUÊTE DE LA TOUR SOMBRE, SI VOUS EN DÉCIDEZ AINSI. AI-JE BIEN COMPRIS LES TERMES DE TA PROPOSITION, ROLAND, FILS DE STEVEN ?

— Oui.

« TOPE LÀ, ROLAND DE GILEAD.

« TOPE LÀ, EDDIE DE NEW YORK.

« TOPE LÀ, SUSANNAH DE NEW YORK.

« TOPE LÀ, JAKE DE NEW YORK.

« TOPE LÀ, OTE DE L’ENTRE-DEUX-MONDES.

Ote leva brièvement la tête en entendant son nom.

— VOUS FORMEZ UN KA-TET. UN TOUT FAIT DE PLUSIEURS. MOI AUSSI. QUEL EST LE PLUS FORT DES DEUX ? VOILÀ CE QU’IL NOUS RESTE À DÉTERMINER.

Il y eut un instant de silence, rompu uniquement par l’incessant martèlement des turbos à transmission lente qui les transportaient à travers les Terres Perdues et le long du Sentier du Rayon vers Topeka, où s’achevait l’Entre-Deux-Mondes et commençait le Monde Ultime.

— EH BIEN, s’écria la voix de Blaine, JETEZ VOS FILETS, VAGABONDS, ET QUE LA JOUTE COMMENCE !

FIN

POSTFACE

Le quatrième volume du récit de La Tour Sombre devrait paraître — toujours en supposant constants la vie de l’écrivain et l’intérêt du lecteur — dans un avenir point trop lointain. Difficile d’être plus précis ; trouver les portes menant au monde de Roland n’a jamais été pour moi une sinécure, et il semble qu’il faille tailler et tailler encore le bois pour adapter clés et serrures successives. Mais peu importe… si les lecteurs veulent un quatrième volume, on le leur donnera — je suis encore capable de trouver le monde de Roland si je m’y consacre corps et âme ; j’en suis toujours l’esclave, davantage, à bien des égards, que de tous les autres mondes que j’ai parcourus en imagination. Et, à l’instar de ces mystérieux moteurs à transmission lente, cette histoire, semble-t-il, accélère à sa propre cadence et à son propre rythme.

Je suis tout à fait conscient que certains lecteurs seront mécontents de la fin de Terres Perdues — tant d’énigmes demeurent irrésolues. Je ne suis pas très satisfait moi-même de laisser Roland et ses compagnons aux soins pas affectueux de Blaine le Mono, et bien que vous ne soyez pas obligés de me croire, je dois cependant souligner que j’ai été aussi surpris qu’ont pu l’être quelques-uns de mes lecteurs par la conclusion de ce troisième volume. Mais il faut accorder aux livres qui s’écrivent tout seuls (comme ç’a été le cas de celui-là, pour l’essentiel) le droit de s’achever tout seuls, et je puis seulement vous assurer, lecteurs, que Roland et sa bande sont arrivés à une étape frontière cruciale de leur histoire, et nous devons les abandonner un moment à la douane pour qu’ils répondent à des questions et remplissent des formulaires. Tout ce qui précède n’est qu’une façon métaphorique de dire que le récit était, une fois encore, parvenu à son terme provisoire et que mon cœur a été assez sage pour m’empêcher de tenter d’aller plus avant.