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— Du Cheflet. (Roland, écœuré, avait regardé Eddie.) Dis-lui, toi. Moi, je n’y arrive toujours pas.

— Du Keflex. Tu peux avoir confiance, Jake ; ce truc vient d’une pharmacie dûment patentée de ce bon vieux New York. Roland en a avalé une flopée, et il a une santé de cheval. Même qu’il a un vague air de ressemblance avec un équidé, comme tu peux voir.

Jake était abasourdi.

— Comment t’es-tu procuré des médicaments à New York ?

— C’est une longue histoire, avait répondu le Pistolero. Tu l’entendras en son temps. Pour l’instant, prends cette gélule.

Jake avait obtempéré. L’effet du Keflex avait été à la fois rapide et satisfaisant. L’enflure rouge et enflammée autour de la piqûre avait commencé à désenfler en l’espace de vingt-quatre heures et, à présent, la fièvre elle aussi était tombée.

La chose chaude renifla son visage derechef. Jake s’assit d’un bond sur son séant, les yeux écarquillés comme des soucoupes.

La créature qui lui léchait la joue recula précipitamment de deux pas. C’était un bafou-bafouilleux, détail que Jake ignorait ; il n’avait jamais vu de bafou-bafouilleux de sa vie. Ce spécimen-là était plus maigrichon que ceux que Roland et sa bande avaient déjà aperçus, et sa fourrure rayée de noir et de gris était hirsute et pelée. Un caillot de sang séché souillait un de ses flancs. Ses yeux cerclés d’or observaient Jake avec crainte ; son arrière-train oscillait avec espoir d’avant en arrière. Jake se détendit. Sûr qu’il devait y avoir des exceptions à la règle, mais un animal qui remuait la queue — ou essayait de la remuer — n’était sans doute pas trop dangereux.

L’aube pointait à peine, il devait être environ cinq heures trente. Le garçon ne pouvait s’en faire une idée plus précise : sa montre digitale Seiko ne marchait plus… Ou, plutôt, elle marchait d’une manière on ne peut plus excentrique. Quand il lui avait jeté un coup d’œil après son parachutage, la Seiko affichait 98 : 71 : 65, une heure qui, à la connaissance de Jake, n’existait pas. Un coup d’œil plus appuyé lui avait appris que la montre fonctionnait à l’envers. L’eût-elle fait de façon constante, elle aurait pu lui être encore de quelque utilité, mais tel n’était pas le cas. Elle dévidait ses chiffres à ce qui paraissait être la bonne vitesse pendant un moment (Jake vérifia le fait en prononçant le mot « Mississippi » entre chacun), puis soit l’affichage s’interrompait complètement l’espace de dix ou vingt secondes — lui faisant conclure que la montre avait finalement rendu l’âme —, soit une série de chiffres s’estompaient tous en même temps.

Il avait signalé cet étrange comportement à Roland et lui avait montré la Seiko, pensant qu’elle l’étonnerait ; le Pistolero, en vérité, ne lui avait accordé qu’un examen de quelques secondes avant de hocher la tête en signe d’indifférence et de dire à Jake que c’était certes là un objet plein d’intérêt mais que, d’une façon générale, aucun appareil servant à mesurer le temps ne faisait du bon boulot ces jours-ci. Ainsi, la Seiko n’avait plus d’utilité, mais Jake répugnait encore à la jeter… parce que, supposait-il, elle appartenait à son ancienne vie, et que les souvenirs de ce genre n’étaient pas légion.

Présentement, la Seiko affirmait qu’il était quarante heures soixante-deux un mercredi, un jeudi et un samedi de décembre et de mars.

La matinée était fort brumeuse ; au-delà d’un rayon de cent cinquante à cent quatre-vingts mètres, le monde disparaissait purement et simplement. Si ce jour-là était semblable aux trois précédents, le soleil se montrerait sous la forme d’un pâle halo blanc d’ici deux heures ou à peu près, et, vers neuf heures et demie, la journée serait claire et brûlante. Jake regarda autour de lui et vit ses compagnons de voyage (il n’osait pas — pas encore, du moins — les appeler ses amis) endormis sous leurs couvertures de peau — Roland tout proche, Eddie et Susannah figurant une bosse plus grosse par-delà le feu de camp éteint.

Il tourna de nouveau son attention vers l’animal qui l’avait réveillé. La créature était un hybride de raton laveur et de marmotte, avec un soupçon de teckel pour faire bonne mesure.

— Comment va, mon p’tit pote ? demanda doucement Jake.

— Ote ! rétorqua aussitôt le bafou-bafouilleux qui le regardait toujours avec crainte.

Il avait une voix basse et profonde, proche de l’aboiement ; la voix d’un footballeur anglais souffrant d’une angine.

Jake, sous le coup de la surprise, eut un mouvement de recul. Le bafou-bafouilleux, effrayé par la brusquerie du geste, s’éloigna encore de plusieurs pas, parut sur le point de prendre la fuite, puis se campa fermement sur ses pattes. Son arrière-train oscilla d’avant en arrière avec plus d’allant que jamais, ses yeux cerclés d’or continuèrent de fixer Jake nerveusement, ses vibrisses frémissant.

— Celui-là se souvient des hommes, remarqua une voix à hauteur d’épaule de Jake.

Le garçon se retourna ; Roland était accroupi derrière lui, les avant-bras posés sur ses cuisses et ses longues mains pendant entre ses genoux. Il observait l’animal avec un intérêt beaucoup plus marqué que celui qu’il avait porté à la Seiko.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Jake dans un chuchotement. (Il ne voulait pas effaroucher la créature ; il était aux anges.) Il a des yeux magnifiques !

— Un bafou-bafouilleux.

— Fouilleux ! s’écria l’animal, qui recula d’un nouveau pas.

— Il parle !

— Pas vraiment. Les bafou-bafouilleux ne font — ou ne faisaient — que répéter ce qu’ils entendent. C’est le premier que je vois se comporter ainsi depuis des années. Ce coco-là crève de faim. Il est sans doute venu se restaurer.

— Il me léchait la figure. Je peux lui donner à manger ?

— On n’arrivera plus à se débarrasser de lui. (Roland esquissa un sourire et fit claquer ses doigts.) Hé, bafou !

La créature se débrouilla pour imiter le claquement de doigts, apparemment en clappant de la langue contre son palais.

— Hé ! cria-t-elle de sa voix rauque. Hé, afou !

À présent, son arrière-train pelé battait littéralement comme un drapeau.

— Allez, donne-lui un morceau. J’ai connu jadis un vieux palefrenier qui disait qu’un bon bafouilleux porte chance. Celui-là me fait l’effet d’un bon gars.

— Oui, approuva Jake. Tout à fait.

— Autrefois, on les apprivoisait et chaque baronnie en avait une demi-douzaine rôdant autour du château ou du manoir. Ils n’étaient pas bons à grand-chose, excepté à amuser les enfants et à endiguer la prolifération des rats. Ils peuvent être très fidèles — du moins l’étaient-ils au temps jadis —, bien que je n’aie jamais entendu dire d’aucun qu’il fût aussi loyal qu’un chien. Ceux qui vivent à l’état sauvage sont des nécrophages. Pas dangereux, mais casse-bonbon.

— Bonbon ! s’écria le bafou-bafouilleux, dont les yeux anxieux ne cessaient de voleter de Jake au Pistolero.

Jake fourra la main dans son sac à dos avec lenteur, craignant d’effaroucher l’animal, et en sortit les reliefs d’un burrito à la pistolero. Il l’agita dans la direction du bafouilleux. Celui-ci recula, puis se retourna en poussant un petit cri d’enfant, exposant sa queue de fourrure en tire-bouchon. Jake ne douta pas qu’il s’apprêtait à détaler, mais l’animal s’immobilisa, jetant un regard incertain par-dessus son épaule.

— Viens, dit Jake. Mange ça, mon p’tit pote !

— Ote, marmonna le bafouilleux, mais il ne bougea pas d’un pouce.

— Laisse-lui le temps, dit Roland. À mon avis, il va venir.