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— Un parc d’attractions.

— Mais oui ! Un dessin le représente remorquant des enfants dans ce parc, non ? Tous ont l’air hilares, sauf que j’ai toujours pensé qu’en réalité ils hurlaient.

— Oui ! cria Jake. Oui, c’est exact ! C’est tout à fait ça !

— Je croyais que Charlie allait peut-être nous emmener là où il habitait, et non au mariage de ma tante, et qu’il ne nous laisserait jamais revenir chez nous.

— Tu ne peux pas rentrer chez toi, à présent, murmura Eddie, qui passa nerveusement les doigts dans ses cheveux.

— Tout le temps qu’on a été dans ce train, je n’ai pas lâché le livre. Je me souviens même d’avoir pensé : S’il tente de nous kidnapper, je déchirerai ses pages jusqu’à ce qu’il mette les pouces. Mais faut-il le dire ? Nous sommes arrivés à bon port, et à l’heure, qui plus est. Papa m’a emmenée au bout du quai, pour que je voie la locomotive. C’était un diesel, pas une locomotive à vapeur, et je me rappelle que ce détail m’a réjouie. Puis, après le mariage, le dénommé Mort m’a lancé cette brique et je suis restée dans le coma un bout de temps. Après ça, je n’ai jamais revu Charlie le Tchou-tchou. Pas jusqu’à aujourd’hui.

(Elle hésita puis ajouta :) Ce pourrait être le mien, qui sait ?… Ou celui d’Eddie.

— Ouais, et c’est sans doute le cas, approuva Eddie. (Son visage était pâle et solennel… puis il eut un sourire de gosse.) « Voyez la TORTUE, c’est-y pas trognon ? Toute chose sert ce foutu Rayon. »

Roland observa l’ouest.

— Le soleil se couche. Lis-nous l’histoire avant que nous ne soyons privés de lumière, Jake.

Le garçon ouvrit le livre à la première page, leur montra le dessin représentant Bob le Mécano dans la cabine de Charlie et commença :

— « Bob Brooks travaillait comme mécanicien pour la compagnie ferroviaire de l’Entre-Deux-Mondes et faisait régulièrement le trajet de Saint Louis à Topeka… »

24

— « … Et de temps en temps, les enfants entendent Charlie chanter sa vieille chanson de sa petite voix bourrue », termina Jake.

Il leur montra la dernière image — les enfants hilares qui, en réalité, auraient aussi bien pu être en train de hurler, puis referma le livre. Le soleil était couché ; le firmament était pourpre.

— Eh bien, c’est un peu tiré par les cheveux, dit Eddie. L’histoire s’apparente davantage à un rêve dans lequel il arrive que les rivières coulent vers l’amont, mais ça tient suffisamment la route pour me flanquer une pétoche de tous les diables. C’est l’Entre-Deux-Mondes — le territoire de Charlie. Sauf que son nom, par ici, n’est pas Charlie. Dans le coin, on l’appelle Blaine le Mono.

Roland observait Jake.

— Donne-nous ton avis. Devrions-nous contourner la cité ? Croiser au large de ce train ?

Jake réfléchit, tête basse, ses doigts courant distraitement dans l’épaisse fourrure soyeuse d’Ote.

— J’aimerais bien, répondit-il enfin, mais si j’ai bien pigé ce truc à propos du ka, je ne crois pas que nous soyons supposés le faire.

Roland opina.

— S’il s’agit du ka, la question de savoir ce qu’on est supposés faire ou ne pas faire n’entre même pas en ligne de compte. Si nous évitions Lud, les circonstances nous forceraient à y revenir. En l’occurrence, mieux vaut se soumettre tout de suite à l’inévitable au lieu d’atermoyer. Qu’en penses-tu, Eddie ?

Eddie réfléchit aussi longuement et aussi soigneusement que Jake l’avait fait. Il ne voulait rien avoir à faire avec un train doué de la parole qui fonctionnait tout seul ; qu’on l’appelât Charlie le Tchou-tchou ou Blaine le Mono, tout ce que leur avait dit et lu Jake laissait supposer qu’il y avait de fortes chances que ce fût un engin mauvais. D’un autre côté, ils avaient des kilomètres et des kilomètres à parcourir, et, quelque part au bout du chemin, se trouvait ce qu’ils étaient venus chercher. À cette pensée, Eddie fut surpris de s’apercevoir qu’il avait les idées claires et savait exactement ce qu’il voulait. Il releva la tête et, pour la première fois ou presque depuis qu’il avait mis le pied dans ce monde, il fixa fermement le regard bleu délavé de Roland de ses yeux noisette.

— Je veux retourner dans ce champ de roses et voir la Tour qui s’y dresse. J’ignore tout ce qui se passera ensuite. Sans fleurs ni couronnes, sans doute, et pour chacun de nous. Mais je m’en tamponne le coquillard ! Je veux être de nouveau là-bas. Je me contrefiche que Blaine soit le diable et que le train traverse le cœur de l’enfer pour rejoindre la Tour. Je vote pour.

Roland hocha le menton et se tourna vers Susannah.

— Eh bien, je n’ai fait aucun rêve concernant la Tour Sombre, dit la jeune femme, je ne peux donc aborder la question à ce niveau — le niveau du désir, diriez-vous, je suppose. Mais à présent, je crois au ka, et je ne suis pas paralysée au point de ne rien sentir quand quelqu’un me martèle le crâne de ses poings et me répète : « Par là, idiote ! » Et toi, Roland ? Qu’en penses-tu ?

— Que nous avons eu notre content de parlotes pour aujourd’hui et que le moment est venu de laisser tomber jusqu’à demain.

— Et Tradéridéra, Devine-moi ! demanda Jake. Tu veux y jeter un coup d’œil ?

— Nous aurons largement le temps un autre jour. Dormons un peu.

25

Le Pistolero, cependant, fut long à trouver le sommeil ; quand le martèlement rythmé se fit de nouveau entendre, il se leva et retourna sur la route. Il s’immobilisa, le regard rivé sur le pont et la cité. Il était en tout point le fin diplomate que Susannah avait soupçonné ; il avait compris que le train constituait la prochaine étape sur la route qu’ils devaient prendre dès le moment ou presque où il en avait entendu parler… Toutefois, il avait senti qu’il ne serait pas sage de le dire. Eddie, notamment, détestait qu’on lui force la main ; quand il s’apercevait qu’on le manipulait, il baissait la tête, se campait fermement sur ses jambes, débitait ses plaisanteries stupides et regimbait comme une mule. Cette fois, ses désirs étaient les mêmes que ceux de Roland, mais il risquait tout de même de dire jour si Roland disait nuit et nuit si Roland disait jour. Il était moins risqué d’y aller en douceur, et plus sûr de questionner plutôt que de parler.

Il tourna les talons pour rebrousser chemin… et saisit son revolver à la vue d’une silhouette sombre qui le regardait, debout au bord de la route. Il ne tira pas, mais ce fut moins une.

— Je me demandais si tu arriverais à dormir après cette petite représentation, dit Eddie. Non, apparemment.

— Je ne t’ai pas entendu, Eddie. Tu fais des progrès… Sauf que, cette fois, tu as failli recevoir une balle dans le ventre pour ta peine.

— Tu ne m’as pas entendu, parce que ton esprit carbure à plein régime.

Eddie rejoignit le Pistolero et, même à la lumière des seules étoiles, celui-ci vit que le garçon n’était pas dupe pour un sou. Son respect pour lui s’en accrut encore. C’était à Cuthbert qu’Eddie lui faisait penser ; à nombre d’égards, toutefois, Eddie avait dépassé son ami de jadis.