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Le général se tait pour arroser ses muqueuses au Dom Pérignon.

— Votre récit est passionnant, affirmé-je avec sincérité.

— Attendez, ça commence seulement.

Achille réapparaît, une giclée de pisse sur son bénouze gris. Durdelat considère la tache sénilesque puis me mate d’un air désastré. Je lève mes prunelles vers son plaftard mouluré. Eh oui, l’homme qui a besoin de pampers n’est plus loin de l’enfance.

— Alors, allez-vous nous narrer l’affaire, mon bon ? demande Chilou-au-crâne-étincelant.

— San-Antonio vous résumera le début, je continue, rétorque sèchement le général.

Le Vioque blêmit, son regard polaire s’assombrit. Il se dépose dans un fauteuil, au loin, et regarde par la fenêtre pousser les pois de senteur.

— Le départ de Strogonoff est découvert au petit matin, poursuit le narrateur. On pense, sur le moment, qu’il a eu un accident dans la forêt, en armant ses pièges. On veut entreprendre des recherches ; las ! les chenillettes sont toutes en panne. Ça paraît suspect. On alerte « qui de droit ». « Qui-de-droit » ordonne de contrôler le stock de factotum exubérant. Les collaborateurs du fugitif s’aperçoivent que la peinture est récente sur l’un des caissons. On l’ouvre : il est vide. Cette fois, plus d’erreur, Mikhael Strogonoff est un traître. Des hélicoptères spécialement équipés sont envoyés à la base, ainsi que des « spécialistes » de la chasse à l’homme. Un dispositif est mis en place pour la récupération de l’homme et de son butin.

Tout comme dans Zorro, l’inoubliable chanson d’Henri Salvador, je pousse trois :

— Et alors ? Et alors ? Et aloooors ?

Durdelat emplit sa coupe, la torche, la re-remplit (comme dit Béru).

— Vous ne buvez pas, Achille ? lance-t-il au bouddha boudeur.

— Sans façon, répond le Scalpé : je ne suis pas alcoolique, moi !

Le général encaisse, mais la perfidie du trait ne l’affecte pas outre mesure, comme dit mon tailleur. Il se contente de réprimer un rot mondain dans le creux de sa main, puis d’éventer les possibles conséquences olfactives de l’opération.

— Alors ? il me fait. Alors, figurez-vous que Strogonoff a réussi à passer la frontière finnoise, malgré les fils électrifiés, les patrouilles et les chiens. Il faut dire qu’il a tout prévu et tout préparé : des cisailles à manches de bois, des branchements de dérivation garnis d’isolant et jusqu’à de la graisse de loup pour mettre les chiens en fuite. Beau boulot ! A l’heure où son absence est constatée à la mine, il se trouve sur le sol finlandais. Il se dit qu’il a réussi, qu’il est sauf, qu’il est libre. Imaginez les sentiments qui l’envahissent ! Des années d’espoir, d’attente. Il a dû hurler sa joie.

Alexandre Durdelat reprend souffle. Il rubiconde à mort de trop jacter et de trop écluser de champ’. Ça lui titille l’asthme. Il tousse grumeleux. Un glave lui vient et il va l’expectorer par la fenêtre sur des plates-bandes de roses crémières (Béru).

— La région de Finlande où ce gars débarque est aussi désertique que du côté ruskoff. La forêt, la forêt avec ses fûts rectilignes. Epuisé par sa fuite, Mikhael Strogonoff installe un précaire bivouac et s’endort. Il est réveillé par un bruit de moteur. Il lève les yeux et constate qu’un hélicoptère soviétique l’a repéré et tourne au-dessus de lui. L’appareil descend jusqu’au ras des frondaisons et se met à lui tirer dessus à la mitrailleuse. L’ingénieur n’a que le temps de se couler entre les chenilles de son véhicule. Plusieurs salves encore, et l’hélico russe s’éloigne.

« Strogonoff pense alors que cette incursion soviétique en territoire finlandais constitue une sorte de baroud d’honneur, une suprême tentative de neutralisation. Il repart. Mais très vite, il s’aperçoit que les tirs de l’hélico ont endommagé le moteur de la chenillette et comprend qu’il n’ira plus très loin avec son engin. Il décide alors de se défaire de sa cargaison de factotum exubérant et de la cacher. Si tout se passe bien pour lui, il reviendra la chercher plus tard.

« Alors le voilà à l’ouvrage. Il y a une pelle à bord de son véhicule. Il enterre le caisson en ciment dans la forêt, prend des repères et repart. Hélas pour lui, il ne va pas loin : maintenant c’est toute une escadrille d’hélicos russes qui, bravant le territoire finnois, est à sa recherche. Au mépris des lois internationales, les appareils font un ballet de mort au-dessus du “traître”. Ils le canardent à qui mieux mieux. Une pluie de feu ! Strogonoff a beau se planquer sous sa chenillette, des balles l’atteignent mortellement.

« Alertée, la chasse finlandaise finit par intervenir, les services de protection aérienne ayant fait leur boulot. Sommations radio aux hélicos, lesquels abandonnent leur proie. Par la suite, incident diplomatique ; mais jusqu’à ces dernières années, la Finlande avait vis-à-vis de l’U.R.S.S. un statut de vassal. Les relations diplomatiques entre les deux pays, c’était : “on te tolère, mais sois sage et ferme ta gueule !”. Les choses ont été vite aplanies. »

Durdelat essuie son front que son récit a emperlé. Il constate que la roteuse est naze et hurle à dame Hortense d’en ramener une seconde, au trot.

— Effectivement, cette équipée fut fantastique, laissé-je tomber (pas de très haut et il y a de la moquette au sol). Mais comment diantre en connaissez-vous la genèse et les détails puisque le pauvre Mikhael est mort ?

Le général hoche la tête.

— Justement, il n’est pas mort tout de suite, mon bon San-Antonio. Des éléments de l’armée finnoise, guidés par les avions de chasse, sont arrivés sur les lieux. Ils ont mis le mourant dans une ambulance et la chenillette sur une dépanneuse géante. L’homme a été transporté à l’hôpital de Rovaniemi, capitale de la Laponie finlandaise où il est décédé le surlendemain. Seulement, dans l’intervalle, il a repris connaissance et s’est confié à son infirmière, une très ravissante fille. Probablement avait-il compris qu’il ne se tirerait pas de ce mauvais pas. Durement touché, affaibli par les calmants, il lui a tout dit en lui faisant jurer de ne révéler son secret qu’aux Services secrets américains ou, à la rigueur, français.

« Vous parlez si c’est commode pour une aimable fille scandinave, travaillant dans un hôpital et vivant chez ses parents ! Et pourtant, elle a tenu parole. Quatre ans plus tard, au cours d’un voyage organisé, cette bonne demoiselle débarque à Paris et se met en quête de mes Services auprès de son consulat. Elle arrive jusqu’à moi à force de persévérance et me raconte la triste histoire de Mikhael Strogonoff. Avant de venir en France, elle est allée reconnaître les lieux et croit avoir repéré l’endroit où l’ingénieur a caché son caisson de factotum exubérant, d’après les indications qu’il lui avait fournies. Mais elle prétend que l’espace est surveillé. Elle a aperçu d’étranges touristes dans le secteur.

« Selon les renseignements qu’a pu me communiquer mon homologue finnois, à la suite de ce coup de main, les Russes ont réclamé la restitution du fameux caisson aux autorités finlandaises qui, et pour cause, ont affirmé ne pas l’avoir. Les Services soviétiques ont dû se livrer à une enquête serrée pour vérifier cette affirmation. A la suite de ladite, ils ont subodoré la vérité et ont entrepris des recherches discrètes dans la région concernée. Mlle Heinaven est persuadée que celles-ci sont toujours en cours, et qu’en tout cas une espèce de “permanence” est en place. Ces sacrés Popoffs sont des coriaces et le temps ne leur fait pas lâcher prise. »