— Et une bite comme elle dit, consent à inclure Moulfol, vous ne pensez pas que cet arrangement conviendrait à tout le monde ? Bien entendu, je ne vous compterais pas la chambre ni le petit déjeuner ; vous auriez juste votre dîner avant de monter dormir.
— Si tu crois qu’il viendra pour dormir ! place ma bouleversante maîtresse.
L’homme toussote et se détourne.
Je regarde ma partenaire. Une gigantesque envie de lui faire rebelote me point. Un vrai mystère ! Je ne vais pas pouvoir attendre plusieurs jours, moi. Oh ! la la ! que non.
— C’est à envisager, certes, admets-je, mais si vous le permettez, cher ami, je vais en discuter avec Mado pendant que vous allez confectionner votre matelote d’anguille.
— Ce n’est pas une matelote, mais une mousse, rectifie le cuisinier. Autrement délicat à préparer.
Il s’en va. On l’entend fredonner dans l’escalier. Je remets le verrou.
— Regarde, dis-je à Mado en lui désignant mon métronome a frifri, c’est mon chant du coq !
Et tout recommence.
— Vous ne voulez pas un petit Meursault avec la mousse ? demande Moulfol à voix basse, car je suis installé au téléphone.
— Non, non, du Bourgueil ! C’est le sang de la France.
Il hoche la tête, impressionné par cette formule tricolore.
Ça carillonne à la maison. Enfin, maman décroche, essoufflée.
— C’est toi. Je t’ai fait attendre, mais figure-toi que je ne parviens pas à ouvrir la porte des toilettes au rez-de-chaussée, comme si elle était fermée de l’intérieur.
— Elle l’est, maman. Pinaud y roupille depuis hier soir.
— M. Pinaud ! Mon Dieu, il ne serait pas malade ?
— Non, non, il dort. Il finira bien par sortir. Utilisez les tartisses du premier en attendant qu’il quitte sa chambrette. A part ça, quoi de neuf ?
Comme si je ne le savais pas, ce qu’il y a de neuf. Il y a de neuf le Vieux, pardine. Et m’man me relate le coup de turlu incendiaire qu’elle vient d’essuyer, la pauvre choute, comme quoi je suis banni à tout jamais, expulsé de la Rousse, excommunié. Quand il ne m’a point vu dans son antichambre, à dix plombes, aussitôt il a prévenu qui de droit. Sanctions disciplinaires au plus grave niveau. Fini, Santonio. Trop individualiste. Son s’enfoutisme est un mauvais exemple, pernicieux à outrance au moment où les poulagas descendent monomer dans la rue, avec des pancartes revendicateuses.
— Il m’a laissé un numéro où il te sera possible de le joindre avant midi, annonce ma chère Félicie pour conclure. Tu devrais peut-être lui lancer un petit coup de fil, non ?
Ce conseil, par esprit de devoir. Pour mon standinge professionnel, que sinon, elle en rêve, je te dis, de ma mise à pince, maman. Mais elle sait bien, dans son for intérieur, que ça ne se produira jamais.
— Je vais le noter, dis-je pour la rassurer.
Et de sortir mon porte-cartes plein de petits bouts de papelards portant des notes, des adresses, des réflexions, menus fafs dont je ne me ressers jamais.
Que j’évacue lorsque je juge mon larfouillet trop rebondi.
Elle me dicte un numéro de Passy. Je griffonne distraitement. Distraitement car mon regard toujours à l’affût s’est posé sur une tache jaunasse-verdâtre qui s’inscrit à travers le plastique transparent du porte-brèmes. Il s’agit d’un billet de cinq cents pions. Mais pas d’un billet courant, un faux talbin que j’ai conservé en souvenir d’une enquête sur une affure de fausse mornifle. Je le garde comme on laisse traîner un gadget sur un meuble, sans se décider à l’évacuer par le vide-ordures. Et bon, pendant que ma douce mère m’articule le numéro de raccroc du Dabe, une idée me télescope la coiffe ; une très choucarde idée, un poil rocambolesque, mais pas trop, compte tenu du participant auquel je veux l’appliquer.
Et plus je me la distille, plus je la juge intéressante, susceptible de porter des fruits.
Maman me lance vivement qu’elle entend la chasse d’eau de nos chiottezings du bas. J’espère que la Membrure ne s’est pas suicidée par trombe d’eau ? Tu l’imagines, l’épave, engouffrant le siphon des toilettes et s’abîmant corps et montre dans les tuyauteries jusqu’à la fosse à merde ? Sa fin excrémentielle, César. Troumf ! Un colombin de mieux. Ici repose César Pinaud, poulet de métier, ami fidèle, baderne de naissance…
Je raccroche.
Mon déjeuner est servi par un Moulfol aux petits soins, frémissant comme un chiot. Que sa dame a exigé de bouffer en tête-à-tête avec moi (en anglais : with me). Et c’est ma pomme qu’elle dévore du regard. Le traumatisme intégral. Je la fais devenir chèvre, cette vachasse. Tout commence et tout finit par le fion, ici-bas, le reste n’est que littérature de branleur.
Je clappe d’appétit, malmené par mes prouesses plumardières. Alfa, c’est les chevaux de feu, moi, c’est le piston incandescent. Va falloir que je me l’enveloppe dans de la mousse carbonique, miss Coquette, sinon elle va s’éplucher comme une banane.
A propos de mousse, celle d’anguille est succulente. C’est pas un bon baiseur, Moulfol, mais il s’exprime beaucoup mieux au piano qu’au dodo. Les clés d’or, je pense pas, mais il l’aura sa toque et sa petite étoile, un jour bientôt.
— A quoi t’est-ce vous pensez ? me demande Mado, enamourée. A nous deux ?
— Gagné ! Vous continuez ?
En fait, je pense à mon faf de cinq cents points de la très sainte farce.
Je sais comment l’utiliser, mais c’est la suite des événements que j’aimerais mettre au point.
Je me dresse comme un diable de sa boîte, une bite d’une braguette ou comme tout ce qu’il te fera plaisir de vouloir, merde, je ne vais pas user mon temps en métaphores de concierge en chômedu, non !
— Vous allez où est-ce ? demande Mado.
— Mettre ma montre à l’heure.
— Faisez vite, parce qu’on va nous servir le poulet au vinaigre.
— Considérez que je suis déjà de retour, ma tendre maîtresse, réponds-je, en la voussoyant pour la commodité du service et en l’appelant « maîtresse » pour faciliter celle de nos transports en commun. Si drôlement dégueulasses, moi je te le dis ; parce qu’une limerie pareille, c’est tunique dans les anus.
En trombant, je fonce à la recherche de Mister Tournelle, dit Riri.
Il est occupé à fendre des bûches sous le hangar, vu que Moulfol est un cuisinier formé à l’ancienne école et qu’il prépare sa tortore au feu de bois.
Me voyant radiner, il prend une mine tout enchifrognée. Je ne lui présage rien de fameux.
— Riri, dis-je, une chose me turlupine dont j’aimerais avoir le cœur net. Tu veux bien, je te prie, me montrer à nouveau ton magot ? Il s’agit simplement d’y jeter un coup d’œil.
Le gars renifle des choses, plante sa hache dans le billot avec presque autant de satisfaction que si c’était dans mon crâne et m’emmène chez lui.
Détail amusant : il a changé de cachette du fait que je connaissais la précédente. Maintenant, son auber est punaisé sous la table. Bon, il va devoir se mettre la cervelle en pas de vis pour dégauchir une troisième astuce.
J’ouvre son enveloppe, tire un talbin d’une liasse et m’approche de la fenêtre histoire de le mirer en transparence.
— Mouais, mouais, mouais, soliloqué-je (à l’économie, ça, j’en conviens). Mouais, mouais, mouais, c’est bien ce que je pensais…
Tu le verrais fondre comme une bougie de boîte de nuit, le gus ! On dirait que sa frime s’allonge de dix bons centimètres.
— Quoi ! Quoi ! Quoi ! il lance en ouvrant grand son bec.
Les corbeaux sont dans la plaine !
— Les deux types t’ont possédé, mon pauvre Riton.
— Possédé ?