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On pouvait maintenant discerner quelques détails à la surface. De longues rides annelées convergeaient vers les panneaux solaires ; sans doute devaient-elles recouvrir les énormes tuyauteries contenant un fluide ou un gaz caloporteur. On distinguait ici et là dans l’obscurité quelques cratères, certains profonds de 400 mètres. Nul débris alentour : rien ne pouvait demeurer à la surface externe de Thémis.

Cirocco verrouilla les commandes. À ses côtés, Bill opina, l’air endormi. Cela faisait deux jours qu’ils étaient dans le CONMOD.

Elle traversa le SCIMOD comme une somnambule. Quelque part plus bas l’attendaient un lit, des draps moelleux, un oreiller et une confortable gravité d’un quart de G maintenant que le carrousel tournait à nouveau.

« Rocky, on vient de trouver quelque chose de bizarre. »

Elle s’arrêta, un pied sur le premier barreau de l’échelle D, et resta immobile.

« Qu’est-ce que t’as dit ? » À son ton crispé, Gaby leva les yeux.

« Moi aussi je suis crevée », dit-elle avec irritation. Elle pressa une touche ; une image s’inscrivit sur l’écran supérieur.

C’était une vue du bord de Thémis. On y remarquait une excroissance qui semblait s’agrandir tandis qu’elle les rattrapait.

« Ce n’était pas là avant. » Cirocco fronça les sourcils. Elle essayait de balayer son épuisement.

Un avertisseur résonna faiblement. Au début, elle ne put le localiser, puis les choses se mirent nettement en place tandis que l’adrénaline parcourait ses terminaisons nerveuses. C’était l’alarme radar du SCIMOD.

« Capitaine », c’était la voix de Bill dans le haut-parleur. « J’ai quelque chose d’étrange sur mon écran : nous ne nous approchons pas de Thémis mais quelque chose s’approche de nous.

— J’arrive. » Elle avait les mains glacées lorsqu’elle agrippa une poutrelle pour se retourner ; elle jeta un œil à l’écran.

L’objet explosait : on eût dit une protubérance ; et elle grossissait.

« Je l’aperçois maintenant, dit Gaby. Il est toujours rattaché à Thémis. On dirait un long bras, ou une flèche. Et ça s’ouvre. Je crois que…

— Le dispositif d’appontage ! glapit Cirocco. Ils vont s’emparer de nous ! Bill, mets la séquence d’allumage, arrête le carrousel, paré à foncer.

— Mais ça va nous prendre une demi-heure…

— Je sais. Fonce ! »

Elle quitta le hublot pour se jeter dans son siège, saisit le micro.

« Appel à tout l’équipage. État d’urgence ! Alerte dépressurisation. Évacuez le carrousel. Aux postes d’accélération. Tout le monde en scaphandre. » Elle écrasa de la main gauche le bouton d’alarme et derrière elle jaillit le hululement sinistre de la sirène. Elle jeta un œil sur sa gauche.

« Toi aussi, Bill. Va t’habiller.

— Mais…

— Tout de suite ! »

Il avait jailli de son siège et plongeait déjà dans le sas d’accès. Par-dessus son épaule, Cirocco lui lança :

« Et ramène-moi ma combinaison ! »

L’objet était maintenant visible par le hublot. Il approchait rapidement. Elle ne s’était jamais sentie aussi désemparée. En court-circuitant la programmation des systèmes de contrôle d’altitude, elle put mettre à feu toutes les tuyères qui faisaient face à Thémis mais ce fut loin d’être suffisant : la grande masse du Seigneur des Anneaux bougea à peine. Qui plus est, elle ne pouvait rien faire d’autre que rester assise à surveiller le déroulement automatique de la séquence de mise à feu en décomptant les secondes qui s’écoulaient interminablement. Elle savait que sous peu ils ne pourraient plus s’échapper. Cette chose était énorme et fonçait plus vite qu’eux.

Bill reparut, en scaphandre, et elle se rua dans le SCIMOD pour enfiler sa propre combinaison. Cinq silhouettes anonymes étaient harnachées sur les couchettes d’accélération, immobiles, les yeux fixés sur l’écran. Elle verrouilla son casque. Une cacophonie l’assaillit.

« Du calme là-dedans. « Les murmures se turent. » Je veux le silence sur le canal des scaphandres tant que je ne vous demande rien.

— Mais qu’est-ce qui se passe, commandant ? » C’était la voix de Calvin.

« J’ai dit silence. On dirait qu’un appareil automatique s’apprête à nous ramasser. Ce doit être le dispositif d’appontage que nous cherchions.

— Ça m’a plutôt l’air d’une attaque, grommela August.

— Ils ont déjà dû faire ça auparavant. Ils doivent savoir opérer sans risque. » Elle aurait bien voulu en être persuadée. Et ce n’est pas le tremblement de tout le vaisseau qui l’y aida.

« Contact, annonça Bill. On est pris. »

Cirocco se rua vers son poste et manqua de peu le spectacle du grappin qui les entourait. Le vaisseau frémit à nouveau tandis que des craquements épouvantables provenaient de l’arrière.

« À quoi ça ressemblait ?

— À de gros tentacules de pieuvre, sans les ventouses. » Il avait l’air abasourdi. « Il y en avait des centaines, à se tortiller dans tous les sens. »

Le vaisseau frémit de plus belle, de nouvelles alarmes se mirent à sonner. Une tornade de lampes rouges gagnait tout le tableau de bord.

« Rupture de la coque », annonça Cirocco avec un calme qu’elle était loin de ressentir. « Fuite d’air le long de l’axe central. Verrouillage des cloisons étanches 14 et 15. » Ses mains couraient sur les commandes sans qu’elle s’en rende compte. Les voyants et les manettes étaient lointains, vus par le mauvais bout d’un télescope. Le cadran de l’accéléromètre se mit à tourner tandis qu’elle était violemment projetée vers l’avant, puis sur le côté. Elle se retrouva sur Bill. Tant bien que mal, elle se rassit et boucla son harnais.

À peine l’avait-elle verrouillé autour de sa taille que le vaisseau fit une nouvelle embardée, vers l’arrière cette fois-ci.

Quelque chose surgit du sas derrière elle et vint percuter le hublot qui s’étoila.

Elle se retrouva à bas de son siège, le corps appuyé contre la ceinture. Une bouteille d’oxygène déboula du sas. Le verre se brisa et le bruit de l’impact disparut dans le tourbillon d’éclats coupants et glacés qui virevoltaient sous ses yeux. Tout ce qui dans la cabine n’était pas arrimé se rua par cette gueule édentée et béante qui naguère était un hublot.

Le visage congestionné, elle se retrouva suspendue au-dessus d’un gouffre obscur et sans fond. D’énormes débris tournoyaient paresseusement au soleil. L’un d’entre eux était le module de propulsion du Seigneur des Anneaux… dérivant devant elle, à un endroit où il n’avait absolument rien à faire. Elle pouvait distinguer le moignon brisé du tube central : son vaisseau partait en petits morceaux.

« Et merde ! » dit-elle et soudain lui revint cet enregistrement de la boîte noire d’un avion qu’elle avait eu l’occasion d’écouter : tels avaient été les derniers mots du pilote, prononcés quelques secondes avant l’impact, quand il avait su qu’il allait mourir. Elle le savait aussi et cette pensée l’emplissait d’un immense dégoût.

Avec une horreur sourde, elle vit la chose qui s’était emparée des moteurs l’enserrer sous ses innombrables tentacules. On eût dit une physalie piégeant un poisson dans son étreinte mortelle. Un réservoir de carburant se rompit – en silence – spectacle d’une étrange beauté. Son univers se brisait, sans un bruit pour marquer sa disparition. Un nuage de gaz comprimés s’épancha rapidement. La chose ne parut pas s’en soucier.

D’autres tentacules saisissaient d’autres fragments du vaisseau. L’antenne à grand gain donnait l’impression de fuir à la nage, mais ses mouvements étaient trop lents tandis qu’elle tournoyait au fond du puits en dessous de Cirocco.