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Elle tombait mal. Si je lui disais que j’avais eu un accident, elle allait me demander tous les détails et je risquais de voir repartir Stephan. J’aurais bonne mine de le rencontrer dans l’allée. En ce moment, Andrée et lui devaient avoir une explication plutôt embrouillée. Ma femme ne devait rien comprendre à ce rendez-vous bizarre. Stephan devait flairer du louche.

J’avais bien senti, au téléphone, qu’il ne croyait pas à ce fabuleux remboursement des huit millions.

— Non, j’ai eu un petit accrochage à Étampes, il faut vite que je téléphone, excusez-moi…

J’ai gravi l’escalier quatre à quatre…

J’avais mes clés. J’ai ouvert précipitamment. Ma main tremblait et ce léger désarroi de mon individu me rendait furieux. Ce n’était pas le moment de flancher. Je devais rester calme. Qui donc avait écrit qu’en toutes circonstances on doit prendre le temps de réfléchir ?

« Doucement, Bernard, me disais-je… Pas d’affolement. Tu as la situation en main. Ton plan a réussi… Maintenant tu touches au but. »

J’avais besoin de me répéter cela. Ça me dopait.

En pénétrant dans le vestibule, j’ai entendu la voix calme de ma femme dans le salon :

— Il me semble que c’est lui !

Elle a ouvert la porte et m’a contemplé avec une curiosité teintée d’inquiétude.

— Oui, c’est lui, a-t-elle jeté par-dessus son épaule.

Et à moi, avec un air pas commode que je ne lui avais jamais vu :

— Qu’est-ce que ça signifie, Bernard ?

Je me suis avancé, sans répondre. Stephan était assis dans le salon, les jambes croisées… Il souriait. Je le sentais agacé et mauvais. Il n’aimait pas ça du tout, était mal à l’aise et s’en tirait en prenant une pose insolente.

— Voilà le Sphinx, a-t-il dit. Alors, Bernard, vous faites de la sénilité précoce ? Vous dites à votre femme que vous partez en voyage et…

Andrée avait les bras croisés et me regardait avec une acuité gênante.

— C’est une histoire de fou, ai-je lâché brièvement.

J’ai été surpris par les inflexions métalliques de ma voix. Un poids très lourd m’écrasait la poitrine.

— Nous allons régler nos affaires, Stephan, vous avez les papiers ?

— Je les ai, mais excusez-moi, Berny, vous semblez avoir bu !

— Erreur ! Venez par ici, tous les deux… J’avais ouvert la porte donnant sur notre chambre.

— Bernard ! a soupiré Andrée.

Elle aussi avait du mal à parler. Elle sentait qu’il se passait quelque chose de très grave. Elle avait peur. Et Stephan avait peur également, tout comme moi. Mon Dieu, comme cette situation était étrange. Nous avions peur tous les trois, les uns des autres… Peur d’une catastrophe que j’avais préparée, organisée, et qui n’attendait qu’un geste de moi pour nous choir sur la tête.

Ce geste, il fallait que je le fasse. Avec peine j’ai sorti mon pistolet de ma poche. Alors, comme si je venais de me libérer, j’ai retrouvé mon aisance, ma lucidité.

— Entrez dans cette chambre l’un et l’autre !

— Mais enfin, Ber…, a commencé ma femme.

Stephan s’est levé.

— Écoutez, mon vieux, j’en ai ma claque de vos plaisanteries de garçons de bains. Je…

— Entrez ou je vous descends comme un salaud que vous êtes, Stephan !

Il a pâli sous son hâle. Ses yeux bleus se sont assombris.

Je les ai suivis dans notre chambre. J’aimais cette pièce. Elle était claire, meublée avec infiniment de goût, et il flottait une odeur très agréable…

— Et maintenant ? a essayé de gouailler Stephan.

Il était lamentable, comme ces clowns qui ne font pas rire.

— Maintenant, déshabillez-vous !

— Pardon ?

— Je vous demande d’enlever votre veste !

— Ma veste !

— Oh ! bon Dieu, la frousse vous rendrait-elle idiot, mon cher ?

J’étais bien, heureux même ! Enfin je le dominais. Il me suffisait d’un pauvre petit pistolet pour avoir raison de lui. Après tout ce n’était qu’un pauvre type froussard, malgré sa belle gueule, son fric et sa nonchalance !

Il a retiré sa veste.

— Posez-la sur la chaise.

Il a obéi.

— Votre cravate, dénouez-la !

Andrée a fait un pas vers moi. Dans un sens, elle était beaucoup plus courageuse que lui…

— Bernard, tu es devenu fou !

— Toi, défais ton corsage !

— Mais jamais de la vie !

— Défais ton corsage, Andrée, tu te rends bien compte que je suis sur le point de tirer. Ça ne se voit donc pas sur mon visage ?

Ça devait se voir, car elle a déboutonné son corsage.

Elle ne portait pas de combinaison, seulement un soutien-gorge blanc, bordé d’une fine dentelle. C’était très excitant.

— Vous vous rincez l’œil ? ai-je fait à Stephan.

— Vous êtes odieux !

Je n’ai pas répondu. Parbleu, je le savais bien que j’étais odieux. Andrée ne méritait pas cela. Elle avait été une épouse exemplaire dont le seul défaut était d’être trop parfaite pour un mari aussi farfelu que moi.

— Asseyez-vous sur le lit, côte à côte !

À cet instant seulement, Stephan a tout compris.

— Je sais ce que vous préparez, Bernard…

— Ingénieux, n’est-ce pas ?

— Vous n’allez pas faire une chose pareille…

Andrée s’était assise. Lui se tenait debout devant elle. J’ai pensé qu’à la rigueur ça pouvait coller. Après tout, il pouvait fort bien s’être dressé à mon entrée.

J’ai fait un pas en direction de la table de chevet, parce que j’étais censé prendre l’arme dans le tiroir… Puis j’ai tiré, posément, sans affolement, en « pensant » chaque balle… Je savais que le chargeur en contenait huit. Il y en avait quatre pour chacun… Et il fallait qu’elles tuent. Je ne pourrais pas les achever après…

J’ai commencé par ma femme parce qu’elle était près de moi. J’ai visé sa tempe. À moins d’un mètre je ne pouvais pas la rater !

Comme dans un rêve qui se serait déroulé lentement, j’ai vu s’ouvrir la tête d’Andrée… Un flot rouge a jailli. Deux balles avaient suffi. J’ai relevé l’arme. Stephan s’élançait vers la porte. En un éclair, je me suis dit que cette position ratifierait ma version. Je lui ai vidé six balles dans le dos. Il a fait encore un pas et s’est abattu devant la porte. Je me suis dit :

« Voilà, Bernard, c’est fait. Le jardin est labouré, toutes les mauvaises plantes sont enfouies dans son sol… »

Ne pas s’emballer. Réfléchir, bien réfléchir… Tout s’était déroulé comme je l’avais voulu, et presque comme je l’avais pensé. Maintenant, il s’agissait d’aller jusqu’au bout des détails : primo, prendre les reconnaissances de dettes dans les poches de Stephan. J’ai jeté mon revolver sur le tapis et me suis agenouillé devant la chaise où il avait jeté sa veste. Les trois papiers timbrés s’y trouvaient, réunis par une grosse agrafe métallique.

Je les ai pris et j’ai remis le portefeuille du mort en place…

Que devais-je faire encore ? Je sentais couler les secondes… Je percevais déjà le remue-ménage dans l’immeuble ! Huit balles, on ne pouvait croire à un échappement d’auto.

J’ai entrouvert le tiroir de la table de chevet… Bon, et après, qu’avais-je prévu ? Oh ! les lettres…

Je suis allé à la coiffeuse de ma femme. Dans un tiroir, il y avait une boîte contenant ses fards. J’ai glissé les trois lettres d’amour écrites par Stephan sous cette boîte…