Выбрать главу

Hot Lips Linda, strip-teaseuse.

Gino Montaldo, danseur mondain.

Mado Frou-Frou, transformiste.

Didier, Eddie, Paulo, videurs.

Ricky Royal, guitar hero.

Bambi Crazy Legs, artiste.

Sans parler de deux joyeux drilles qui se tenaient les côtes en me regardant, et qui avaient écrit dans une marge :

Jean Peuplu et Sam Eclatt, boute-en-train.

Des sentiments mêlés se sont emparés de moi, en même temps qu’un sérieux coup de fatigue. Partagé entre l’envie de fracasser la tête du premier innocent venu et celle de fuir, loin, dans des contrées perdues, là où l’on peut écouter l’herbe pousser et les insectes s’envoyer en l’air. Et puis, une sorte de compassion bizarre pour l’humanité entière m’est apparue. Toutes ces âmes, si tordues soient-elles, qui, malgré leur destin, leur dérive, prenaient le sort de Famennes à cœur et apportaient leur modeste contribution à sa cause d’un coup de griffe en bas de page. Il valait mieux voir ça comme ça, non ?

Il y a eu un roulement de tambour, un fracas de cuivres, et tout le monde s’est figé. Harrison a fait son entrée dans les lieux, au milieu d’un petit essaim fébrile qui s’est approché de nous. Marlène est montée sur une banquette pour tenter de le discerner, et j’en ai fait autant. Je l’avais tant attendu. Espéré. Et même si je devais lui faire cracher une minute d’interview pour ne pas me retrouver au chômage, lui faire signer une pétition pour sauver la vie d’un homme, lui dire à quel point nous étions faits pour nous rencontrer, lui présenter la femme de ma vie pour qu’enfin elle me préfère à lui, la première urgence, à cette seconde, c’était de le voir.

— Paraît qu’il vient de se faire agresser dehors par cinq cents personnes, quelqu’un a dit.

— Des fans ?

— Peut-être, mais pas commodes.

Il n’a pas même eu le temps de s’installer, les videurs n’ont rien pu faire quand la meute est entrée, Baptiste en tête, le regard déformé par la haine, un cri de guerre à la bouche, ordonnant le pillage à ses troupes.

— Attrapez-le, ce pourri !

Je me suis demandé ce que Ford avait bien pu leur faire pour les mettre dans cet état. Mais j’ai mieux compris qui ils cherchaient vraiment quand j’ai vu Marlène, juchée sur sa banquette dans un état second, pointer un doigt vers moi en regardant Baptiste.

— Il est là, avec sa pétition ! Tout est de sa faute ! Il ment, il est fourbe, ne le laissez pas s’échapper !

Baptiste, les yeux fous, a hurlé en me voyant, des verres ont commencé à voler, une bousculade générale a renversé les tables et un cataclysme a ravagé la salle. Une lame de fond d’une violence inouïe a submergé hommes et femmes, l’ivresse, la rage, la peur, et moi, seul, rampant sous les banquettes en essayant de survivre. Les gardes du corps de Ford ont sorti des revolvers et formé une sorte de carapace autour de lui, le climat de violence a redoublé d’un coup, et je ne sais pas ce qui m’a permis de tenir jusqu’à cette sortie de secours, sans doute l’image imprécise d’un demi-millier d’individus cherchant à me lyncher en place publique. Marlène, pourquoi m’as-tu trahi ? Nous aurions pu vivre quelque chose d’exceptionnel, toi et moi. Avec le temps, tu serais devenue moins frivole, nous aurions eu de merveilleux enfants, José, l’aîné, et Harrison, le petit. Nous aurions remplacé la vodka par la camomille, nous aurions construit un petit havre de paix, loin de Paris et de sa folie, loin du monde en marche. Marlène, tu étais sans doute mon destin, il n’a pas jugé bon de te le faire savoir. À bout de souffle, j’ai retrouvé l’air du dehors et me suis mis à courir comme un fou dans la nuit en me risquant çà et là dans des ruelles inconnues, puis j’ai grimpé dans un taxi qui devait avoir l’habitude de ce genre de situation.

— Où on va ?

Je lui ai donné l’adresse de 99.1, c’était sans doute le seul endroit au monde où j’avais une chance de sauver ma peau. J’ai même demandé au chauffeur de chercher la fréquence de la radio, histoire de prendre la température. J’ai entendu la voix de Bernard qui terminait l’édition de minuit.

« Pour des raisons encore inconnues, la discothèque le Wyatt a été mise à sac par plusieurs centaines de manifestants qui cet après-midi faisaient le siège de l’ambassade du San Lorenzo. Harrison Ford, en tournage à Paris, venait de se réfugier dans la discothèque après une vive altercation avec les manifestants. »

Quand je suis entré dans le studio, Bernard venait de lancer un disque de Charlie Mingus pour calmer l’ambiance. Je me suis précipité à mon bureau en renversant tout sur mon passage.

— Je suis innocent, Bernard, il faut que tu me croies…

— C’est à cause de toi, ce bordel au Wyatt ?

— Je suis innocent, je te dis. J’ai besoin d’une zone franche où l’on respectera mon immunité de journaliste.

— … ?

— Je n’ai rien à voir avec les crimes dont on m’accuse. Préviens le consulat, l’ambassade, la cour internationale de justice, je veux un passeport diplomatique et un droit d’asile dans un pays qui refuse l’extradition, Bernard.

— Bergeron t’a foutu à la porte, il n’a pas digéré que tu le mènes en bateau avec cette histoire d’interview bidon d’Harrison Ford.

— Harrison Ford… Qu’est-ce que vous avez avec ce mec ? C’est jamais qu’un acteur, un gars qui sait dire trois mots devant une caméra, comme toi et moi si on nous le demandait. Il sait tenir un flingue ? Moi aussi, je l’ai fait, et pas plus tard que cet après-midi. Il a déjà risqué sa vie pour de bon ? Non ? Eh bien moi, si.

Il m’a écouté, une lueur d’inquiétude dans l’œil, jusqu’à ce que le téléscripteur crépite. Derrière la vitre, je l’ai vu pâlir, et s’acheminer vers le micro pour couper la chique à Mingus. Il avait beau lire, on avait l’impression qu’il cherchait ses mots.

« Une dépêche de l’A. F. P. nous informe qu’un groupe d’individus armés a pénétré dans la discothèque le Wyatt. Il s’agirait, je cite, des membres d’un club de tir du boulevard de Grenelle. Les gardes du corps d’Harrison Ford, déjà échaudés par l’intervention des manifestants du comité de soutien de José Famennes, ont ouvert le feu afin de protéger l’acteur. Harrison Ford s’est déclaré victime du harcèlement d’un journaliste prêt à tout pour lui soutirer une interview qu’il n’a jamais accordée. Il semblerait qu’après une explication entre les divers opposants un terrain d’accord ait été trouvé. Les clients de la discothèque, les gardes du corps, les manifestants et les membres du club de tir se dirigeraient en ce moment même vers les locaux de… d’une radio… 99.1… afin de… »

Il y a eu comme un blanc terrible à l’antenne et dans nos esprits. J’ai imaginé Bergeron, l’oreille collée à son tuner, et me suis raccroché le plus longtemps possible à cette vision, comme une espèce de paravent mental qui m’en cachait une autre, bien plus terrible. Dans un état proche du mien, Bernard a réuni un reste d’énergie pour conclure :