Выбрать главу

Pour la distraire, je lui cloque une revue scientifique consacrée à la culture du macaroni en branche dans les parcs à huîtres de la Nouvelle-Zélande. Y a des planches en couleur fantastiques et des graphiques permettant de suivre le rythme de la production des macaroni néo-zélandais par rapport à celle des pays sous-développés, sous-estimés et sous-cutanés.

Dans le burlingue voisin, le gros Béru fait sa vaisselle en chantant : « Laissez pleurer mon cœur, vous qui ne m’aimez plus. »

Je lui glisse un discret coup de sifflet dans les plats d’offrandes.

— Hé, Gros, j’ai une bergère à côté qui m’a l’air de cafarder. Ça t’ennuierait, mine de rien, d’aller lui faire un brin de causette pendant que je monte chez le Vieux ?

— Penses-tu, avec plaisir ! affirme le tas d’immondices, toujours prêt à rendre service.

— Du tact, hein, c’est une personne de la Haute !

Il hausse les épaules.

— C’est pas à moi qu’y faut faire des recommandations pareilles ! proteste Béru en essuyant ses mains mouillées dans ses cheveux graisseux.

Il sort un mégot sinistré de sa poche, le pétrit un peu afin de lui restituer une forme cylindrique et ajoute en se le collant entre les limaces :

— De toute façon, les gonzesses de la haute, tu sais, c’est pas parce qu’elles ont un arbre gynécologique qu’elles m’impressionnent.

D’un pas souple, je gravis les deux étages qui me séparent du Vieux.

CHAPITRE IV

Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé de débarquer chez quelqu’un avec la bouche en cœur et un œillet à la boutonnière de votre slip de cérémonie et de vous apercevoir soudain qu’il a autant envie de vous voir que de s’engager comme Dalaï-Lama dans les troupes de Mao Tsé-toung. Si vous avez vécu ces moments désagréables, vous avez eu envie de vous désintégrer comme un vulgaire satellite. En tout cas, c’est ce que le valeureux commissaire San-Antonio, votre camarade de poirade, ressent à la puissance dix en pénétrant dans le burlingue du Vioque.

Il est en conférence, le Dabe. Son front ressemble à un accordéon dans son étui et ses yeux pâles reflètent autant de tendresse que ceux d’un chat siamois qui vient de se faire coincer l’appendice caudal dans une porte blindée. Trois bonzes des ministères sont laga, en demi-cercle, avec des costars bleus croisés fleuris de décorations mystérieuses (j’en connais qui se mettent de la ficelle à empaqueter les gâteaux à la boutonnière pour se donner l’air d’en avoir).

— Qu’est-ce que c’est ? me demande le Boss d’une voix qui foutrait de l’urticaire à une langouste.

Je distribue un salut déférent aux invités d’honneur et je balbutie, avec des cordes vocales élimées par l’émotion.

— Puis-je vous entretenir un instant, monsieur le directeur ?

— Ça ne peut pas attendre ? rétorque le tondu en refrénant son envie de me lancer le contenu de son encrier sur la cravate.

— C’est très urgent.

Il hésite, puis murmure à son trio bleuté :

— Vous m’excusez un instant, messieurs ?

Le trio opine de la tasse. Le Vieux m’entraîne alors dans une petite pièce sans fenêtre ou s’alignent des classeurs !

— Je vous écoute !

Le traczir me prend. C’est pourtant pas que je sois intimidable, mais quand le Dabuche fait ces roberts-là, l’archevêque de Canterbury lui-même prendrait des vapeurs. Du coup, je trouve l’histoire de Geneviève Coras foireuse et j’ai plutôt envie de raconter à mon supérieur celle du Martien débarqué sur la terre qui, s’approchant d’une pompe à essence, lui ordonna : « Conduisez-moi à votre chef. »

Pourtant, j’y vais de mon voyage. En termes circoncis, comme on dit à Tel-Aviv, je lui fais un résumé succinct du cas Coras. (Cacora ! Voilà que je cause papou maintenant.)

Le chevelu-à-rebours m’écoute, plus glacial que la coupole polaire. Quand j’ai achevé, il me déballe la question la plus déconcertante qu’on puisse imaginer.

— C’est tout ?

— Mais… bêlé-je.

— Ah ! ça, San-Antonio, rouscaille le Big Boss, vous me dérangez pour une broutille pareille !

Une broutille ! Il a les béquilles qui se dévissent, le Vioque. On voit que c’est pas sa pomme qui moisit dans la cellote des enrhumés et qui va éternuer sa tronche aux aurores dans le panier de son et lumière de la Compagnie Deibler and Family.

— Il y va de la vie d’un homme ! claironné-je, espérant qu’un lieu commun de cette sorte l’amadouerait.

Mais va-te-faire-traduire-tes-tatouages-en-arménien-moderne ! Il reste de marbre comme un palais vénitien.

— Et après ? objecte le Patron. La vie d’un homme ! Vous venez me raconter ces sornettes à moi ! À moi ! Comme si je n’avais pas d’autres chats à fouetter. Coupable ou innocent, ce Messonier a été jugé ; il a passé des aveux, il a été condamné à mort, l’affaire est donc classée.

Ma mine stupéfaite, outrée, meurtrie, réprobatrice, navrée, hostile, le fait sourire. Un sourire mince comme les revenus d’un chômeur.

— Allons, ne soyez pas romantique, mon cher. Le monde n’est fait que d’injustices, ajoute-t-il. D’ailleurs, rien ne nous prouve que cette femme ne ment pas. C’est peut-être une mythomane.

— Mais, patron, si par contre elle dit la vérité, on va dans quelques heures guillotiner un innocent ! Ne pourrait-on pas surseoir à l’exécution au moins pour quelques jours afin que nous puissions procéder à une nouvelle enquête ?

Il hausse les épaules.

— Le Garde des Sceaux n’interviendrait pas sur d’aussi fragiles arguments ! Quand la justice est en cours, San-Antonio, il est difficile de la stopper.

— Mais c’est l’injustice que je veux arrêter, chef !

Le Vieux, il faut se le farcir. C’est le Sahara. Paraît que là-bas, dès que le Mahomet a disparu on est obligé de s’arrimer les râteliers pour ne pas claquer des ratiches. Eh bien, lui passe tout aussi instantanément de la chaleur au zéro absolu.

— Excusez-moi, tranche-t-il. Je suis en conférence.

Et il me moule net au mitan des classeurs qui ont l’air de se gondoler devant ma poire. Je quitte le burlingue d’un pas rageur. Je sais bien qu’à notre époque, la vie d’un quidam compte pour ballepeau ; tous les mal-éclos de la terre vous le diront ; mais j’en ai quine de voir un haut fonctionnaire se désintéresser à ce point d’une question aussi angoissante.

Je redégringole dans mon antre, plutôt mal viré, avec un cyclone dans l’œil gauche, et un typhon dans le droit. Cette idée qu’à cause de mon mironton le zig Messonier va être transféré au parc à os demain avec une conscience peut-être aussi nette que celle de Jeanne d’Arc revue et corrigée par Persil me fout en rogne.

Je trouve le Gros en train de baratiner ma visiteuse. Il cause théâtre. Elle l’écoute d’une oreille distraite. Le Béru de service lui explique que sa femme est passionnée d’art lyrique et qu’elle le trimbale à l’Opéra tous les dimanches en matinée. La dernière fois, on donnait, dit-il, Pédéraste et Médisance ; et la fois d’avant un opéra dont il ne se rappelle plus le titre. Il me prend à parti.

— Comment que c’est, San-A., c’t’opéra que le titre c’est comme qui dirait « Saucisson d’Arles » ?

Gêné, je lui fais signe de s’évacuer, mais quand Bérurier cherche à se souvenir de quelque chose, c’est pas la peine d’essayer la transformation. On détournerait plus facilement le cours du Gange dans celui du Pô que sa volonté farouche. Il insiste, les sourcils joints par la concentration.

— C’est pas « Saucisson d’Arles », c’est plutôt « Saucisson Olida », vous ne voyez pas, madame ?

La douce Geneviève fait un signe aussi harmonieux que négatif.