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Le lendemain, dix septembre, elle se lève à neuf heures, puis se rend rue Bonivard, chez un marchand de musique, pour acheter un orchestrion et des rouleaux de musique qu’elle destine à Marie-Valérie. Elle pense que l’orchestrion « fera plaisir à l’empereur et aux enfants… »

Puis, elle rentre à l’hôtel, s’habille pour le départ et boit un verre de lait dont elle oblige la comtesse Sztaray à prendre sa part.

— Goûtez ce lait, comtesse, il est délicieux ! À une heure trente-cinq, les deux femmes quittent l’hôtel à pied et suivent le quai pour gagner l’embarcadère. Elles ne remarquent pas un inconnu qui vient à leur rencontre et qui, cependant, agit d’étrange façon : il se cache derrière un arbre, repart, se cache encore. Soudain, il se dresse devant l’impératrice, la frappe d’un coup de poing, ou de ce qu’elle croit être un coup de poing, après avoir bousculé la comtesse, et s’enfuit tandis que Mme  Sztaray pousse un cri perçant et que l’impératrice s’affaisse. L’homme n’ira pas loin : dans une rue voisine, deux passants le poursuivent, le ceinturent et l’arrêtent.

Cependant, des gens s’attroupent autour de cette femme en noir, encore très belle, qui est tombée à terre. Son opulente chevelure dénouée a heureusement amorti le choc. Un cocher aide à se relever celle qui, pour tous, n’est qu’une étrangère de plus.

— Mais, je n’ai rien, dit-elle.

On veut l’aider à remettre de l’ordre dans sa toilette : elle refuse.

— Ce n’est rien ! Dépêchons-nous ! Nous allons manquer le bateau.

Puis, tout en se dirigeant vers la passerelle, elle dit à la comtesse :

— Que pouvait bien vouloir cet homme ? Peut-être ma montre ?

C’est de son pas habituel, refusant l’aide d’Irma Sztaray, qu’elle atteint le bateau. Mais elle a conscience d’avoir mauvaise mine.

— Je suis pâle, n’est-ce pas ?

— Un peu. Sans doute est-ce l’émotion. Votre Majesté souffre-t-elle ?

— La poitrine me fait un peu mal…

À ce moment, le portier de l’hôtel accourt.

— Le malfaiteur est arrêté ! crie-t-il. L’impératrice atteint la passerelle du bateau, la traverse, mais à peine a-t-elle mis le pied sur le pont qu’elle se tourne subitement vers sa compagne.

— À présent, donnez-moi votre bras, vite ! Vivement, la comtesse la saisit, mais elle n’a pas la force de la retenir. Élisabeth perd connaissance et s’affaisse de nouveau, lentement. Irma s’agenouille et prend sur sa poitrine la tête si blanche.

— De l’eau, de l’eau ! s’écrie-t-elle, et un médecin !…

On apporte de l’eau, elle en asperge la figure de l’impératrice, qui ouvre les yeux, des yeux qui déjà perdent leur regard. Faute de médecin, une passagère se propose. Elle est infirmière et se nomme Mme Dardalle. Le capitaine du bateau, Roux, approche et s’inquiète. Comme le bateau n’est pas encore parti, il conseille à la comtesse Sztaray de débarquer, mais on lui répond qu’il ne s’agit que d’une syncope due à la frayeur.

Pour que la malade ait de l’air, trois messieurs se proposent à la porter sur le pont. On étend Élisabeth sur un banc, et tandis que Mme Dardalle lui fait faire quelques mouvements respiratoires, la comtesse ouvre la robe, coupe le corset et glisse dans la bouche de l’Impératrice un morceau de sucre imbibé d’alcool. Sous son action, la malade ouvre les yeux, se redresse.

— Votre Majesté se sent-elle mieux, chuchote la comtesse.

— Oui, merci…

Elle s’assied, regarde autour d’elle, puis demande :

— Mais qu’est-il donc arrivé ?

— Votre Majesté s’est trouvée mal. Mais cela va mieux, n’est-ce pas ?

Cette fois, elle n’obtient pas de réponse. Élisabeth vient de retomber en arrière, sans connaissance.

— Frottez-lui la poitrine ! conseille Mme Dardalle. La comtesse délace alors le cache-corset et sur la chemise de batiste mauve aperçoit une tâche brunâtre percée d’un petit trou puis, au-dessus du sein gauche, une petite blessure qui retient un caillot de sang.

— Grand Dieu ! dit-elle. Elle a été assassinée. Alors, affolée, Mme  Sztaray appelle le capitaine :

— Pour l’amour du ciel, accostez vite ! Cette dame est l’impératrice d’Autriche ! Elle est blessée à la poitrine, je ne puis la laisser mourir sans médecin et sans prêtre. Accostez à Bellevue. Je l’amènerai à Pregny chez la baronne de Rothschild :

— Vous n’y trouverez pas de médecin et probablement pas de voiture ! Nous retournons à Genève.

Et l’on revient à l’embarcadère. Avec deux rames et des fauteuils pliants, un brancard est improvisé. Six personnes le portent, tandis que quelqu’un protège d’une ombrelle la tête de la mourante, car c’est une mourante, qui ne reprendra pas connaissance, que l’on amène au Beau-Rivage et que l’on couche dans la chambre qu’elle avait quittée si peu de temps auparavant. L’hôtelière, Mme Mayer, et une nurse anglaise aident à la déshabiller, mais le docteur Golay ne laisse aucun espoir à la comtesse Sztaray épouvantée : l’impératrice se meurt. Quelques minutes plus tard, tout est fini. Élisabeth s’est endormie pour l’éternité, retrouvant dans la mort son inimitable sourire.

Cependant à Schönbrunn, l’empereur était occupé à écrire à sa femme.

« J’ai été heureux du bon moral qui perce dans tes lettres et de ta satisfaction pour ce qui est du temps, du climat et de ton appartement… »

Puis, il passa le reste de sa journée à revoir des documents et à préparer son départ pour les grandes manœuvres. À quatre heures et demie il voit arriver son aide de camp, le comte Paar, et lève la tête.

— Qu’y a-t-il donc, mon cher Paar ?

— Majesté !… Votre Majesté ne pourra pas partir ce soir. Je viens de recevoir une très mauvaise nouvelle, hélas !

— De Genève ?

Et il arrache la dépêche des mains du comte, la lit et chancelle.

— Un second télégramme ne peut manquer d’arriver ! Télégraphiez ! Téléphonez ! Cherchez à savoir !…

Il n’a pas le temps d’achever sa phrase. Un second aide de camp apparaît… portant une seconde dépêche.

« Sa Majesté l’impératrice décédée à l’instant… » Alors, l’empereur s’écroule en sanglotant, la tête dans ses bras. On l’entend murmurer :

— Rien ne me sera donc épargné sur cette terre… Mais déjà, la terrible nouvelle court le monde, arrive chez la fille aînée, Gisèle, à Munich, et chez Marie-Valérie. Toutes deux accourent auprès de leur père. Elles sont là, et toute l’Europe avec elles quand, le 16 septembre, s’ouvrent, devant la dépouille mortelle d’Élisabeth, les portes de bronze de la crypte des Capucins, où elle va reposer auprès de son fils et de son beau-frère, les deux autres victimes de la malédiction de la comtesse Bathyany.

Quant à Luccheni, qui, non seulement ne montra aucun regret de son crime, mais encore fit preuve durant le procès de la plus révoltante satisfaction, il devait être condamné, selon la loi suisse, à la prison perpétuelle. Mais il ne put supporter, lui qui se considérait comme un héros romain, le régime des condamnés de droit commun et, au bout de deux années, se pendit dans sa prison à l’aide de sa ceinture…

LA SANGLANTE

COURONNE DU MEXIQUE

Le roman tragique

de Charlotte et Maximilien

Le tour d’Europe d’un archiduc