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Ce retour ne fut pas, tant s’en faut, salué par des cris d’allégresse de la part de sa mère :

— Je ne sais plus que faire de lui, dit-elle un soir alors que la famille était réunie. Il est revenu de ce voyage plus triste et plus sombre que je ne l’ai jamais vu. Il demeure des journées entières enfermé dans son appartement, sans en sortir, sans voir personne.

L’empereur ne répondit pas. Debout auprès d’une fenêtre, dans la petite tenue d’officier général qu’il affectionnait, il tambourinait contre une vitre en regardant, au-dehors, la pluie noyer la cour. Ce fut l’impératrice qui répondit à sa belle-mère :

— Il a revu la comtesse von Linden à Berlin, dit-elle doucement. Cela lui a fait beaucoup de mal.

L’archiduchesse s’assit d’un coup et fixa sa belle-fille d’un air horrifié :

— Grand Dieu, Sissi, que dis-tu là ? Il l’a revue… mais c’est abominable.

Sissi haussa les épaules.

— Oh ! non… même pas. Elle est mariée et vous n’avez plus rien à craindre. Mais Maxl a très mal. Je crois qu’il faut le laisser tranquille pour le moment. Sa peine s’endormira d’elle-même.

François-Joseph se détourna, vint lentement se placer entre sa mère et sa femme :

— Sissi a raison, mère. Laissons-le se remettre et voyons comment les choses tourneront.

— Le laisser tranquille, le laisser tranquille… comme tu y vas. Le temps passe, Franz… et ton frère ne rajeunit pas.

— Vingt-quatre ans, mère, ce n’est pas un bien grand âge. Laissons-lui six mois ou un an de réflexion.

— C’est bon, soupira Sophie, comme tu voudras. Après tout, je suis lasse de me donner tant de mal pour lui. Laissons-le donc à ses rêves. Mais les miens sont en fort mauvais état.

Enfermé chez lui, Maximilien ruminait sa peine et sa déconvenue. Il lui avait toujours semblé que celle qu’il aimait tant devait, réfugiée en quelque endroit mystérieux d’Europe, couler ses jours à l’attendre comme il le faisait lui-même. Les liens tissés entre eux ne devraient-ils pas être plus forts que tout ? Et voilà qu’il la découvrait infidèle, mariée à un autre, perdue à tout jamais pour lui…

Peu à peu, l’image blonde s’estompa. Une autre prit sa place : celle d’une jeune fille brune en robe de dentelles blanches, une jeune fille aux yeux étranges, d’un vert extraordinaire, moirés de noir et d’or… et dans ces yeux, il y avait des larmes. Celle-là l’aimait. Celle-là, malgré son chagrin, avait su garder sa dignité de princesse. Celle-là méritait le bonheur…

On ne peut tourner toute sa vie en rond autour d’un appartement, fût-il princier. Quand vint Noël, Maximilien s’en alla trouver sa mère et lui demanda la permission d’épouser la princesse Charlotte de Belgique.

Sophie faillit s’évanouir de joie et de saisissement. Mais c’était une femme de tête qui ne la perdait pas facilement. Elle savait, d’autre part, qu’il faut battre le fer quand il est chaud.

Le lendemain de cette annonce tant désirée, un messager extraordinaire quittait Vienne pour Bruxelles. Le comte Arquinto portait une lettre impériale qui demandait la main de la princesse Charlotte pour l’archiduc Maximilien.

27 juillet 1857

Dans sa chambre du palais royal, Charlotte se contemplait dans son miroir. En cette mariée resplendissante sous les diamants de sa couronne et sous le voile de précieuses dentelles qui avait été celui de sa mère, la blonde Louise d’Orléans, la jeune fille ne retrouvait plus l’enfant désolée du printemps de l’an passé. Cette fois, elle était heureuse, elle voyait un avenir merveilleux, fait d’amour et de joie, s’ouvrir devant elle.

Au-dehors, dans le chaud soleil d’été, les cloches sonnaient à toute volée. Le grand carrosse doré attendait la future épousée pour la conduire sous les voûtes solennelles de Sainte-Gudule, pour la mener vers celui qui l’y attendait et dont l’amour chaque jour se montrait davantage. Au-dehors, tout un peuple en fête clamait déjà sa joie et son impatience…

— Je serai heureuse, se promit Charlotte à mi-voix. Je serai heureuse et il le sera aussi. Parce que je le veux.

En cadeau de noces, François-Joseph avait confié à son frère la vice-royauté de Vénétie et de Lombardie. À peine la cérémonie terminée, le jeune couple prit le chemin classique des voyages de noces : l’Italie. Ce fut dans le plus beau palais de Milan que le jeune couple s’installa pour une longue, une merveilleuse lune de miel, qui vit éclore chez Maximilien un profond amour pour sa jeune femme. Un amour tel qu’il força même la sympathie des Italiens, hostiles à l’occupant étranger. Charlotte italianisa son prénom, devint Carlotta et apprit des romances italiennes. Elle apprit aussi la joie d’être presque reine et de faire les honneurs d’un grand palais. Elle avait des dames d’honneur, toute une cour, elle avait Maxl. Rien ne manquait à son bonheur, sinon peut-être un petit enfant, qui se faisait désirer.

Le temps passa sur ce couple heureux que l’Histoire eût dû oublier. Mais l’Histoire oublie rarement ceux que le destin a marqués. Bientôt, l’horizon s’obscurcit ; aidés par Napoléon III, les Italiens secouaient le joug autrichien. Au lendemain de Solferino, Charlotte et Maximilien durent s’enfuir et aller se réfugier au château de Miramar, somptueuse demeure que Maximilien avait fait bâtir près de Trieste, alors en terre autrichienne, et qui dominait les flots bleus de l’Adriatique.

Dès lors, inactifs, réduits aux seules occupations d’un seigneur sur sa terre et d’une femme d’intérieur, Maximilien et Charlotte ne tardèrent pas à connaître l’ennui. N’étaient-ils donc faits que pour couler ainsi une vie sans gloire, sans relief, terne et plate, à l’écart des remous du monde et du fracas des grandes affaires ? Ils avaient goûté au pouvoir, étaient nés tous deux aux marches d’un trône… Ils ne pouvaient plus se satisfaire de ce qui eût été pour beaucoup le comble du bonheur : vivre à deux au soleil d’Italie dans un décor de rêve. Le temps passa encore, mais de plus en plus lourd. Maximilien jouait de l’orgue et cultivait les fleurs, Charlotte brodait et jouait de la harpe. Aucun enfant ne s’annonçait…

Les deux époux, isolés dans leur prison dorée, se demandaient ce qu’il allait advenir d’eux quand, un matin de printemps 1862, un homme élégant et prolixe se présenta à Miramar. Il venait de la part de l’empereur Napoléon III, se nommait Guttierez Estrada. C’était un Mexicain, et il avait d’étonnantes, de passionnantes choses à dire.

— Ah ! prince, ne daignerez-vous pas devenir le sauveur du Mexique ? Apportez-lui le secours de votre grande patrie dont mon pauvre pays ruiné faisait autrefois partie comme l’un des plus beaux joyaux de la couronne de Charles Quint.

Guttierez Estrada parlait bien. Le petit Mexicain laissait déborder cette flamme latine, cet enthousiasme réchauffé au soleil tropical et, assis dans leurs fauteuils, dans un salon de Miramar dont les fenêtres ouvraient sur les magnifiques jardins et sur l’étendue bleue de l’Adriatique, l’archiduc Maximilien et l’archiduchesse Charlotte l’écoutaient, stupéfaits et déjà ravis. Ce fut Charlotte qui traduisit leur sentiment à tous deux :

— Régner sur le Mexique ? Vous nous offrez de porter couronne dans votre pays ? Quelle chose incroyable.

— Je vous offre, reprit Estrada, de relever le puissant empire aztèque d’autrefois, de monter au trône de Montezuma. Le Mexique a besoin d’ordre. Seul un empereur de grande race, aux origines incontestables tranchant sur tant d’agitateurs brouillons sortis de rien, dépositaire de la religion du Christ que chassent les révolutionnaires anarchistes, peut réaliser ce miracle. Le Mexique, Madame, est le plus beau pays du monde.