Je n'ai pas encore compris. En vérité, ce sont autant d'énigmes sous d'obscurs oracles. Je ne sais qu'en penser.
Strophe V.
Ah! ah! dieux! dieux! qu'est-ce que ceci? serait-ce quelque filet de Aidès? C'est le voile qui enveloppe les époux, l'instrument du meurtre! Érinnyes insatiables de cette race, criez lugubrement, à cause de ce meurtre horrible!
A quelle Érinnys ordonnes-tu de pousser des cris sur cette demeure? Tes paroles ne me rendent pas joyeux. Mon sang couleur de safran a reflué vers mon cœur. C'est comme si j'avais reçu un coup de lance; c'est comme l'ombre sur les rayons d'une vie mourante. Certes, Atè est rapide.
Antistrophe V.
Hélas! hélas! voilà, voilà! Éloignez le taureau de la vache! Elle le frappe, ayant embarrassé ses cornes noires dans un voile. Il tombe dans l'eau de la baignoire, je vous le dis, dans la baignoire de la ruse et du meurtre.
Je ne me vante point d'être un habile interprète des oracles, mais je pense que ceci cache quelque malheur. Quelle prospérité les oracles ont-ils jamais prédite aux hommes? En effet, la science antique des divinateurs n'annonce que les maux et n'apporte que la terreur.
Strophe VI.
Ah! ah! malheureuse! ô mes misères lamentables! Certes, je pleure et je gémis aussi sur ma propre calamité. Pourquoi m'as-tu menée ici, moi, malheureuse! si ce n'est pour y mourir avec toi? Pourquoi, en effet?
Es-tu tellement saisie de la fureur du souffle divin, que tu te lamentes sur toi-même en cris discordants? Ainsi le fauve rossignol, insatiable de gémissements, hélas! et passant sa vie dans les douleurs, le cœur déchiré, va, gémissant: Itys! Itys!
Antistrophe VI.
Dieux! dieux! le destin du sonore rossignol! Les dieux lui ont donné un corps ailé et une douce vie sans douleur; mais moi, ce qui m'est réservé, c'est d'être déchirée par l'épée à deux tranchants!
D'où te viennent cette angoisse vaine et prophétique qui t'envahit, ces cris terribles et funestes, ces chants aigus? Pourquoi hantes-tu les sombres chemins de la colère divinatrice?
Strophe VII.
Ô noces, noces de Pâris, funestes aux siens! ô Skamandros, fleuve de la patrie! Alors, auprès de tes eaux, malheureuse! ma jeunesse a grandi. Maintenant, sur les bords du Kôkytos et du fleuve douloureux, je vais bientôt prophétiser!
Les paroles que tu as dites sont très claires; un enfant les comprendrait. Je suis déchiré au fond du cœur d'une morsure sanglante, quand je t'entends gémir et te lamenter sur ta malheureuse destinée.
Antistrophe VII.
Ô travaux! travaux d'une ville renversée à jamais! Fêtes sacrées de mon père au pied des tours! Immolation des innombrables bœufs de nos pâturages! Rien n'a pu sauver la ville de sa ruine présente, et moi, toute chaude du souffle divin, je serai bientôt étendue contre terre!
Ces paroles ne démentent pas celles que tu as déjà dites; mais quel daimôn fatal s'agite en toi et te contraint de chanter la douleur, le deuil et la mort? Je ne comprends pas ce qui doit arriver.
Certes, l'oracle ne regardera plus à travers des voiles comme une jeune mariée, mais voici qu'il va éclater et resplendir au lever de Hèlios! Soufflant et grondant à la façon de la mer soulevée, un malheur bien plus terrible que celui-ci va écumer à la lumière! Et je ne parlerai plus par énigmes. Et vous, soyez témoins que ma course suit tout droit, à l'odorat, la piste des malheurs qui se sont accomplis ici autrefois. Il n'abandonne point ces demeures, le chœur discordant et horrible à entendre! Certes, pour irriter sa rage, il a bu le sang humain, sans quitter cette demeure, le troupeau des Érinnyes qu'on ne peut chasser! Toujours assises dans ces demeures, elles chantent le crime, le premier de tous. Puis elles maudissent celui qui viola le lit de son frère. Maintenant, ai-je manqué le but ou l'ai-je atteint comme un habile archer? Suis-je une fausse divinatrice qui va bavardant et frappant aux portes? Sois témoin! Atteste et jure que je connais les crimes antiques de ces demeures.
Pourquoi attester et jurer? Cela nous sauvera-t-il? Certes, j'admire qu'élevée par delà la mer, dans une ville étrangère, tu puisses parler comme si tu avais toujours été ici.
Le prophète Apollôn m'a fait ce don.
Le Dieu n'était-il point saisi d'amour?
Autrefois, la pudeur m'eût empêchée de l'avouer.
Certes, qui possède la puissance en abuse.
Ce fut un lutteur violent, car son cœur était plein d'amour pour moi.
Lui as-tu accordé de s'unir à toi, comme font ceux qui s'aiment?
Je promis, mais je trompai Loxias.
Étais-tu déjà douée de l'art de la divination?
Déjà je prophétisais tous leurs malheurs à nos concitoyens.
Mais la colère de Loxias t'a-t-elle épargnée?
Personne ne me croit plus depuis que j'ai ainsi menti.
Tu nous sembles, cependant, une divinatrice véridique.
Hélas, hélas! ô malheur! De nouveau le travail prophétique gonfle ma poitrine, prélude du chant terrible! Voyez-vous ces enfants assis dans les demeures, semblables aux apparitions des songes? Ce sont des enfants égorgés par leurs parents. Ils apparaissent, tenant à pleines mains leur chair dévorée, leurs intestins, leurs entrailles, misérable nourriture dont un père a pris sa part! C'est pourquoi je vous dis qu'un lion lâche médite, en se roulant sur le lit de l'époux, la vengeance de ce crime. Malheur à celui qui est revenu, à mon maître, puisqu'il me faut subir le joug de la servitude! Le chef des nefs, le destructeur d'Ilios, ne sait pas ce qu'il y a sous le visage souriant et les paroles sans nombre de l'odieuse chienne, et quelle horrible destinée elle lui prépare, telle qu'une fatalité embusquée! Elle médite cela, la femelle tueuse du mâle! Comment la nommer, cette bête monstrueuse? Serpent à deux têtes, Skylla habitante des rochers et perdition des marins, pourvoyeuse du Hadès qui souffle sur les siens les implacables malédictions! Quel cri elle a jeté, la très audacieuse, comme un cri de victoire dans le combat, comme si elle se réjouissait du retour de son mari! Maintenant, si je ne t'ai point persuadé, et pourquoi le serais-tu? ce qui doit arriver arrivera. Certes, tu seras témoin et tu diras, plein de pitié, que je n'étais qu'un prophète trop véridique.