Выбрать главу
KLYTAIMNESTRA.

Ne te refuse pas à mon désir.

AGAMEMNÔN.

Sache que mon esprit ne changera point.

KLYTAIMNESTRA.

As-tu promis aux dieux, par crainte, d'agir ainsi?

AGAMEMNÔN.

Je sais pourquoi j'agis ainsi, si quelque autre l'ignore.

KLYTAIMNESTRA.

Selon toi, qu'eût fait Priamos victorieux?

AGAMEMNÔN.

Je pense qu'il eût marché sur la pourpre.

KLYTAIMNESTRA.

Ne crains donc pas le blâme des hommes.

AGAMEMNÔN.

La voix du peuple, certes, est toute-puissante.

KLYTAIMNESTRA.

Celui qui n'est pas envié n'est point enviable.

AGAMEMNÔN.

Il ne convient pas qu'une femme soit opiniâtre.

KLYTAIMNESTRA.

Il est glorieux aux vainqueurs de se laisser vaincre.

AGAMEMNÔN.

Ainsi, tu tiens beaucoup à cette victoire?

KLYTAIMNESTRA.

Consens! Cède-moi volontiers cette victoire.

AGAMEMNÔN.

Alors, si cela te plaît, qu'on détache promptement ces sandales, esclaves accoutumées du pied, afin qu'aucun dieu ne me regarde de loin, avec un œil d'envie, marchant sur cette pourpre. J'aurais grandement honte, en vérité, de souiller, en les foulant aux pieds, ces richesses et ces tissus qui ont coûté tant d'argent. Mais, c'est assez. Reçois avec bienveillance cette étrangère dans les demeures. Un dieu regarde favorablement d'en haut qui commande avec douceur, car personne ne se soumet volontiers au joug de la servitude. Celle-ci, qui m'a suivi, est la fleur choisie parmi d'innombrables richesses, un don de l'armée. Enfin, puisque j'ai changé de dessein, et pour te complaire en ceci, j'entre dans la demeure en marchant sur la pourpre.

KLYTAIMNESTRA.

Il y a la mer, et qui la tarirait? qui nourrit abondamment la pourpre, aussi précieuse que l'argent, très riche teinture des vêtements. Grâces aux dieux, ô roi, notre demeure renferme suffisamment de ces richesses et elle ne connaît point l'indigence. Que de tissus j'eusse voués pour être foulés à tes pieds, si les oracles eussent voulu que j'achetasse ainsi le retour de ton âme! Tant que la racine est sauve, les feuillages jettent leur ombre sur la maison, la défendant contre le chien Seirios. Ton retour au foyer domestique est comme la chaleur de l'été en plein hiver. Quand Zeus cuit le vin dans la grappe verte, alors un air frais pénètre dans la demeure, si le chef est de retour. Zeus! Zeus qui accomplit toute chose, exauce mes vœux, songe à ce que tu dois accomplir!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Strophe I.

Pourquoi ce présage qui vole constamment autour de mon cœur comme un pressentiment, cette divination non invoquée et dont la voix n'est point payée? Pourquoi, le repoussant comme un songe obscur, la sûre confiance ne peut-elle s'asseoir dans mon esprit? Il est loin le temps où les nefs étaient amarrées par les câbles à ce rivage d'où la flotte est partie pour Ilios.

Antistrophe I.

De mes yeux je vois son retour, j'en suis le témoin, et je n'ai ni espérance, ni confiance, et mon esprit chante, mais non sur la lyre, la lamentation d'Érinnys! Le cœur ne trompe pas, agité du pressentiment de l'expiation certaine. Je prie les dieux qu'une part de mes terreurs soit démentie et ne s'accomplisse pas!

Strophe II.

La meilleure santé aboutit à d'inévitables douleurs, car la maladie habite à côté et n'est séparée d'elle que par un même mur. La destinée de l'homme, courant tout droit, se heurte toujours à un écueil caché; mais, si la prudence fait jeter à la mer un peu du riche chargement, toute une maison ne périt pas, lourde de malheurs, et la nef n'est point submergée. Certes, l'abondance qui vient de Zeus, les moissons qui naissent annuellement des sillons guérissent de la famine.

Antistrophe II.

Mais quelle incantation rappellera jamais le sang répandu sur la terre, le sang noir d'un homme égorgé? Zeus ne foudroya-t-il point autrefois le très savant qui tentait de faire revenir les morts du Hadès? Si la Moire divine ne me défendait d'en dire plus, mon cœur, devançant ma langue, eût tout révélé. Mais il frémit dans l'ombre, impatient de colère, et n'espérant point, consumé d'inquiétudes, parler jamais à temps.

KLYTAIMNESTRA.

Entre aussi, toi, Kasandra! Puisque Zeus bienveillant veut que, dans cette demeure, tu prennes ta part des soins communs, avec de nombreux serviteurs, devant l'autel domestique, descends de ce char et renonce à l'orgueil. On dit que le fils d'Alkmèna aussi fut vendu et contraint de subir le joug. Quand la nécessité réduit à cette fortune, c'est encore un grand bonheur de tomber aux mains de maîtres depuis longtemps opulents. Ceux qui, n'en ayant jamais eu l'espérance, viennent de faire une riche moisson, sont durs en toutes choses pour leurs serviteurs et sans équité. Tu auras auprès de nous tout ce qu'il faut.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Elle t'a parlé clairement. Si tu étais prise dans les rets fatals, certes, tu obéirais. Obéis donc. Ne le veux-tu pas?

KLYTAIMNESTRA.

A moins que, semblable à l'hirondelle, elle ait un langage inconnu et barbare, mes paroles entreront dans son esprit, et je la persuaderai.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Consens. Elle te conseille ce qu'il y a de mieux dans l'état des choses. Obéis. Ne reste pas assise dans ce char.

KLYTAIMNESTRA.

Je n'ai pas le loisir de l'attendre devant les portes, car les brebis qui vont être égorgées et brûlées sont rangées devant le foyer, au milieu de la demeure, puisque nous avons une joie que nous n'espérions plus jamais. Pour toi, si tu veux faire ce que j'ai dit, ne tarde pas; mais, si tu n'as point compris mes paroles, réponds-moi par gestes, comme les barbares.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Certes, l'étrangère a besoin d'un interprète. Elle a les façons d'une bête fauve récemment prise.

KLYTAIMNESTRA.

Certes, elle est en démence, elle obéit à un esprit insensé, cette femme qui, ayant quitté sa ville conquise d'hier, esclave, est venue ici. Elle ne s'accoutumera point au frein qu'elle ne l'ait souillé d'une écume sanglante. Mais je ne veux pas subir l'affront de lui parler encore.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Moi, la pitié me saisit, je ne m'irrite point. Va, ô malheureuse, quitte ce char, cède à la nécessité, fais l'apprentissage de la servitude.

KASANDRA.

Strophe I.

Ô dieux! dieux! ô terre! ô Apollôn! ô Apollôn!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Pourquoi cries-tu vers Loxias? Ce n'est point un dieu qu'on invoque par des lamentations.

KASANDRA.

Antistrophe I.

Ô dieux! dieux! ô terre! ô Apollôn! ô Apollôn!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Elle invoque de nouveau par des cris désespérés le dieu qui n'écoute point les lamentations.

KASANDRA.

Strophe II.

Apollôn! Apollôn! toi qui m'entraînes! vrai Apollôn pour moi! tu m'as perdue de nouveau!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.