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Dans ma chambre, j’affrontai le regard suppliant de Poupette et finis par la démarrer. Crachats de vapeur timide, un sifflement et la voilà partie, toute pimpante. L’odeur s’éleva telle une aurore de délivrance et amena son train de pensées agréables, inattendues, comme l’avant-veille. Je m’allongeai sur le lit, les mains derrière la tête, submergé d’images belles de ma femme… Oui… Thomas avait raison. Poupette m’arrachait des ténèbres, de la lugubre noirceur de ce monde pour me propulser sur les horizons clairs du passé. Le temps de quelques souvenirs, elle me ramenait Suzanne…

Chapitre six

Sonnerie stridente, une épine dans la brume printanière du sommeil. Au bout du fil, un bouledogue enragé, un clairon de chasse, un pétard de mariage. Le divisionnaire me roua de questions avant de m’ordonner de le rejoindre au 36 pour un point précis sur l’enquête. J’allais avoir des comptes à rendre…

À présent, grâce au modem ADSL que m’avait fait installer Thomas, je restais connecté à Internet jour et nuit, ce qui permettait aux ingénieurs du SEFTI de décortiquer les flux binaires voguant entre mon PC et le reste du monde. Un regard coutumier sur le contenu de ma boîte aux lettres électronique me révéla la présence d’un unique message, envoyé par Serpetti.

Franck,

Ton histoire de tatouage relevé sur le corps de la fille de Bretagne m’a tracassé au plus haut point. Une partie du sigle me disait vaguement quelque chose et, en creusant une bonne partie de la nuit, je pense avoir découvert des détails qui pourraient t’intéresser. Apparemment, le monde dans lequel semble évoluer ce malade est un monde d’allumés, de personnes dangereuses assoiffées de vice et de tout ce qu’il y a de pire ici-bas. Je préfère t’en parler en tête à tête. Je suis au champ de courses une bonne partie de la journée, puis je passe au FFMF (mon club de modélisme) en fin d’après-midi. Tu peux essayer de me joindre si tu le souhaites, mais la plupart du temps j’éteins mon portable quand je suis dans les tribunes de l’hippodrome. Brouhaha oblige… Passe à la ferme à 19 h 00, je t’y attendrai. Par la même occasion, nous dînerons ensemble. Je suis seul, Yennia est encore sur le Paris-Londres. J’espère de tout cœur que vous allez sauver la malheureuse des photos… J’ai l’impression que ton tueur n’a rien d’humain.

P-S : Il faudra que tu penses à me laisser ton numéro de portable. Tu es injoignable…

Amicalement,

Thomas S.

Les colères de Leclerc, mémorables, nous rappelaient, ô combien, que les murs de la Crim’ manquaient d’épaisseur. Quand il piquait une crise, une onde de choc secouait les couloirs… De sombre idiot, je devins irresponsable et les années défilèrent au fur et à mesure des phrases, quand je passai de jeune incompétent à vieux con. Mais Leclerc changeait comme la marée ; à bout de mots, la gorge en feu à trop crier, il m’annonça qu’il trouvait mon action courageuse et menée avec une certaine efficacité. Il me remit un dossier d’enquête dressé par le SRPJ de Nantes avant de disparaître derrière des volutes grisâtres, une cigarette écrasée entre les lèvres.

« Ils ont de nouveaux éléments sur Gad ? » lui demandai-je en m’écartant du halo de fumée.

« Non, à part la déposition de ce type, on n’a pas l’ombre d’un pet. L’autopsie du corps n’a pas été autorisée. De toute façon, après plus de deux mois… En conclusion, absolument rien ne nous permet de rejeter la thèse de l’accident. Cette fille n’était pas une sainte, comme tu pourras le voir dans le rapport, mais la loi n’interdit pas les penchants pervers et les gâteries au goût de cuir. Elle gardait sa vie privée si secrète qu’il nous est difficile d’obtenir la moindre piste. Factures de téléphone, que dalle. Voisinage, que dalle. Amis et famille, que dalle. Aucun hôtel réservé à son nom sur Paris, les dépenses par carte bleue n’ont rien révélé de spécial, si ce n’est des retraits importants dans le distributeur d’argent de la gare Montparnasse… Les habitués du train ont été interrogés, certains se souviennent juste de son visage, sans plus. Gad était une ombre dans le brouillard. Je compte sur toi pour me clarifier ce bordel, et le plus rapidement possible…

— Je ferai de mon mieux… Dites-moi, Thornton va nous coller au train longtemps ?

— Il est là en observateur… Il évalue le travail de Williams. C’est l’une des premières fois où la police travaille avec un profiler, alors tu comprends, le juge Kelly est sceptique.

— Parce que vous croyez que Thornton est capable d’évaluer autre chose que son trou du cul ? »

Le téléphone de Leclerc sonna et je sortis, le maigre dossier sous le bras.

Je m’enfermai dans mon bureau, en chassai une pile de feuillets sur l’extrémité et, la tête entre les mains, parcourus les pages du rapport. La déposition de l’ingénieur de carrière restait, de loin, le passage le plus concret.

… Rosance Gad m’intriguait et me fascinait. Elle était assez renfermée, discrète, et je ne me souviens pas avoir souvent entendu le son de sa voix au travail. Elle aurait pu passer pour une petite fille modèle, méticuleuse, très appliquée dans ses tâches quotidiennes. Mais les Docteur Jekyll et Mister Hyde existent. Et quand vous tombez sur l’un, vous ne pouvez plus vous défaire de l’autre.

Je soulignai Docteur Jeckyll et Mister Hyde songeant alors à l’Homme sans visage, le malin de Doudou Camélia, il est partout, il est nulle part, il te surveille… et je me remis à lire la suite.

Je tiens à rappeler que je n’ai jamais eu le moindre rapport sexuel avec cette fille…

La première fois que nous avons passé la soirée ensemble, c’est resté assez soft. Elle m’a menotté, a joué avec mon sexe, m’a infligé de petits coups de fouet sur le torse et les fesses. Bien entendu, quand je dis soft, tout est relatif à la suite. Elle m’a piégé. Je suis devenu accro, dingue de ses jeux étranges. Plus nos rapports devenaient violents, moins je pouvais me passer d’elle. Je ne sais pas, on aurait dit qu’elle était capable de contrôler mes sensations, mes perceptions, au point de me rendre esclave. Un esclave de la douleur… Nous nous voyions deux fois par semaine, en début de soirée et cela a duré plus d’un mois. Je prétextais à ma femme des réunions ou des repas d’affaires avec d’importants clients de la région.

Vous allez me prendre pour un fou, un malade sexuel, pourtant il n’en est rien. J’aime ma femme plus que tout ; je crois que Gad n’était rien d’autre que la réincarnation d’une brûlure sexuelle se nourrissant de la souffrance qu’elle provoquait.

On me force à énumérer les actes qu’elle pratiquait. Les voici. Des menottes, elle est passée au ligotage. Je ne sais pas où elle apprenait tout ça. De toute façon, elle me bâillonnait tout au long de l’acte, et j’avoue que je n’ai jamais pensé à lui poser la moindre question. J’en étais incapable… Tortures à base d’épingles à linge et de pinces crocodile. Brûlures à la cire sur la totalité du torse. Pressions plus ou moins fortes au niveau de la carotide. Parfois je partais et je revenais, à demi conscient, avec une impression de béatitude extrême… Pissing, c’est-à-dire qu’elle m’urinait dessus. Certainement l’acte que je détestais le plus…

Sur la fin, elle m’a proposé de filmer notre relation. Elle voulait me mettre une cagoule et tourner avec un caméscope les actes sadomasos. Elle me disait que je pouvais gagner beaucoup d’argent et, de toute façon, jamais on ne verrait mon visage. J’ai refusé, ça l’a mise en colère, et ce soir-là, elle m’a fait vraiment mal… Elle est morte le surlendemain…