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— Mais pourquoi t’attacher au mobile ? Il a été nettement établi, non ?

— Absolument pas. Rien ne colle. Il est possible que le gosse ait participé aux barricades de mai dernier, mais d’assez loin. Peut-être même en spectateur. La fille qu’il a vue matraquer n’existe pas. Pris dans une rafle, il s’est retrouvé à Beaujon, mais a été libéré au bout de quelques heures, alors qu’il affirme avoir été arrêté plusieurs jours.

— Un cinglé, alors ? Et Lanier, dans tout ça ? Une victime choisie au hasard par un gars intoxiqué par les événements ?

— Non. Lanier et Daniel Barron se sont certainement rencontrés à Beaujon. J’irai même plus loin : Lanier a fait relâcher le garçon, et c’est à partir de là que se noue toute l’affaire.

— Le copain de Lanier tient un bar dans le dix-huitième, et il loue également des chambres. Il se nomme Charéac, est originaire des Cévennes comme lui. Il a même fait quelques années dans la gendarmerie mobile avant d’acheter ce fonds.

— Lanier le rencontrait souvent ?

— Au moins une fois par semaine. Derrière le bistrot, il y a un jeu de boules, et Lanier aimait bien faire une partie de temps en temps.

— Il montait avec des filles ?

— On n’a pas osé poser la question. Charéac n’aime pas bavarder au sujet de son ami.

À toi de jouer, mais ça ne sera certainement pas facile. Je t’accompagne ?

Non. Attends-moi, plutôt.

Raoul Sernast le laissa porte de Saint-Ouen.

— Je cherche une place et je t’attends au bistrot à terrasse, là-bas.

Dans le bar tenu par Charéac, il n’y avait que deux hommes en train de jouer au 421 à une table. L’endroit était petit, cinq tables en tout, et sombre. Un homme grand et sec lisait le journal derrière son comptoir. Son œil averti jaugea Pesenti.

— Un café.

Il déplia les morceaux de sucre, chercha le regard du bistrot.

— Vous avez une chambre à louer ?

— Pour la nuit ?

— Jusqu’à cinq heures.

— Je ne vous ai jamais vu dans le quartier.

— Non. Mais j’ai l’adresse depuis longtemps. Je suis d’Alès. C’est ce pauvre Lanier qui m’avait parlé d’ici.

Charéac continuait d’essuyer le même verre sans le lâcher du regard. Pesenti ne désespérait pas de le convaincre. Il était toujours habillé simplement, donnait l’apparence d’un homme tranquille et sans histoires.

— J’ai toujours eu envie de venir faire une partie de boules, mais j’ai jamais eu le temps. Et puis, depuis une semaine, ma femme est chez nous.

Il baissa le ton de sa voix.

— J’ai connu une brave fille. Si ça marche, elle viendra me rejoindre ici. À condition qu’on ne la voie pas.

Charéac déposa son verre sous le comptoir. Il semblait peser le pour et le contre.

— Vous étiez avec Lanier ?

— Non. Je suis dans une entreprise de nettoyage. Mais Lanier m’avait aidé à trouver un appartement. Escafier, il ne vous a pas parlé de moi ?

— Non. Jamais.

— Peut-être qu’il n’avait pas tellement le temps de causer, lorsqu’il venait ? insinua Pesenti avec un clin d’œil.

— Pour ça !… Jusqu’à cinq heures ? Bon, d’accord. C’est au premier, à droite, la porte du fond. Vous entrez par la rue.

Il lui glissa une clé dans la main.

— Vingt francs.

Pesenti les paya, chercha autour de lui.

— Je peux téléphoner ?

— Pas d’appareil. Je regrette.

— Je vais revenir ! lança Pesenti, secrètement ravi.

Au petit trot, il rejoignit son confrère à la terrasse du café, le mit au courant.

— Ça peut demander du temps. Je te rejoindrai à l’agence.

— Fais gaffe. On ne sait jamais.

— T’inquiète pas.

Il retourna au petit bar, ne trouva que le patron. Les joueurs de dés avaient filé.

— Ça marche. Dans une demi-heure, elle sera là. Faudra que je la guette.

— La rue est tranquille. Avec les vacances qui commencent, on ne voit pas grand-chose. De quel quartier vous êtes, à Alès ?

— Grand-Rue.

Par chance, il connaissait parfaitement la ville et put soutenir une conversation qu’il fit glisser discrètement vers Lanier. Charéac, d’abord réticent, finit par se montrer plus bavard.

— On se connaissait depuis toujours. Depuis des années, il était tranquille. Un emploi administratif, dans ce métier, c’est bon. Il a fallu les barricades pour qu’il soit de nouveau envoyé à la bagarre.

— J’ai vu sa bonne femme. Pas marrante, hein ?

Charéac devint soupçonneux.

— Chez lui ?

— Pour la visite, avant l’enterrement. Je n’ai pas pu aller au cimetière.

Heureusement qu’il avait soigneusement étudié ses coupures de journaux dans l’avion.

— Moi, j’y étais. Ça avait de la gueule, avec le peloton que sa caserne avait envoyé. S’il avait eu une autre femme, comme vous dites… Je ne sais pas d’où il la sortait.

— D’Algérie, voyons. Il y avait passé deux ans.

L’autre se frappa le front, en bon comédien. Il ne cessait de lui tendre des pièges.

— C’est vrai. Une pas grand-chose.

— Il se rattrapait ailleurs. Enfin, qu’il disait.

— Vous pouvez y croire. Une fois en civil, il faisait des ravages. On le prenait pour un représentant. Ça marchait bien. Et pas que des filles faciles.

— Je sais, approuvait Pesenti avec admiration. Tenez, mettez-nous deux cognacs.

— La vôtre, elle n’arrive pas vite.

Le journaliste alla jeter un coup d’œil dans la rue, prit une expression ennuyée.

— Pourvu qu’elle ne me pose pas un lapin ! Moi, les femmes… Il a fallu que la mienne parte en vacances pour que je tente le coup avec une voisine… Mais j’ai peur qu’elle ne se dégonfle au dernier moment. Fernand me racontait qu’il avait emballé des femmes drôlement huppées. Il ne se vantait pas un peu ?

— J’en ai aperçu une ou deux qui venaient directement du seizième ou d’à côté.

Pesenti alluma calmement une cigarette en l’observant. Il avait décidé de se jeter à l’eau.

— La dernière fois, un peu avant sa mort, il m’a parlé d’une jolie blonde dont le nom m’aurait, disait-il, drôlement surpris. Moi, j’étais certain qu’il en rajoutait.

— Celle-là, il l’a conservée longtemps. Des mois. Ils se retrouvaient ici toutes les semaines.

— Vous l’avez vue ?

— Non. Je ne m’occupe pas de ce qui se passe là-haut. C’est mieux. Et puis, Lanier tenait à la discrétion.

Ils burent leur cognac en silence. Très déçu, Pesenti ne savait plus que faire. Il alla jeter un regard à la rue, revint en grimaçant.

— C’est peut-être pas le bon jour. Lanier, il venait quand ?

— Le mercredi, presque toujours. Il s’arrangeait pour être libre ce jour-là. Deux ou trois fois, il n’a pas pu, à cause de son horaire, mais, en général, il arrivait vers les deux heures, buvait un petit verre et montait tout de suite. Ma femme me disait que, quelques minutes après, elle entendait les talons de la bonne amie dans l’escalier. C’était militaire, quoi.

Pesenti resta impassible, paya les deux cognacs.

— Je vais jusqu’au bout de la rue. Si elle arrive, je monte directement.

— D’accord. Laissez la clé sur la porte, ensuite.

Il marcha jusqu’au coin de la rue et du boulevard, revint rapidement sur ses pas. Il pénétra dans le corridor qui empestait le plâtre humide, grimpa au premier en faisant du bruit. Lorsqu’il introduisit la clé dans la serrure, il se retourna brusquement. Juste le temps de voir un rai de lumière à l’autre bout du couloir, un éclair vite disparu.