Выбрать главу

— Nous sommes maintenant en face de trois crimes.

— C’est un de plus que la dernière fois…

— Effectivement.

— C’est évidemment beaucoup, commenta Ballanger en regardant ses mains.

Camille lui expliqua rapidement de quelle manière les trois crimes avaient été commis.

— Nous avons maintenant la certitude que ces trois crimes reproduisent exactement American Psycho, Le Dahlia noir et Laidlaw. Vous connaissez ces livres ?

— Oui, je les ai lus tous les trois.

— Quel point commun leur trouvez-vous ?

— A priori aucun, dit Ballanger en réfléchissant. Un auteur écossais, deux Américains… Ils appartiennent tous à des écoles différentes. Entre Laidlaw et American Psycho, il y a un ravin. Je ne connais pas exactement les dates de parution. Là non plus, je ne vois pas quel point commun on pourrait leur trouver.

— Si l’hypothèse est bonne, il doit bien y avoir un trait commun à tout ça !

Ballanger réfléchit un instant et dit :

— Peut-être simplement qu’il aime ces livres !

Camille ne put s’empêcher de sourire et son sourire gagna son interlocuteur.

— Je n’avais pas pensé à ça, dit-il enfin… c’est idiot.

— Dans ce domaine, les lecteurs sont très éclectiques, vous savez…

— Les tueurs moins. D’une certaine manière, ils sont plus logiques. Ou du moins, ils ont « leur » logique.

— Si je ne craignais pas que ce soit de mauvais goût…

— Dites toujours.

— Je dirais qu’il choisit quand même de sacrés bons livres !

— C’est bien, dit Camille en souriant de nouveau, je préfère chercher un homme de goût. C’est plus valorisant.

— Votre… votre meurtrier… a de très bonnes lectures. C’est visiblement un connaisseur.

— Sans doute. Ce qui est certain, c’est que ce type est un malade. Un problème demeure, pour nous, central. Où tout cela a-t-il commencé ?

— C’est-à-dire ? demanda Ballanger.

— Nous connaissons ses crimes depuis qu’il les signe. Au mieux, nous savons où ça s’arrête. Nous ne savons pas où, quand, ni avec quel livre, toute cette série a commencé.

— Je vois… dit Ballanger qui, manifestement, ne voyait rien.

— On peut craindre qu’il y en ait d’autres, remontant sans doute plus loin, sans doute avant son crime à Glasgow. Son périmètre d’action est vaste, son projet est ambitieux. Les livres que nous connaissons, diriez-vous qu’il s’agit de classiques du genre ? demanda Camille.

— Oh, ce sont des ouvrages très connus. Des « classiques » peut-être pas. Enfin, pas au sens où on l’entendrait à l’Université.

— Dans ce cas, reprit Camille, visiblement encouragé par cette réponse, je suis étonné. S’il rend une sorte d’hommage à la littérature policière, pourquoi sa série n’aurait-elle pas débuté avec ce que vous appelleriez un « grand classique ». Ce serait logique, non ?

Le visage de Ballanger s’éclaira.

— Évidemment. Ça semble tout à fait plausible.

— A votre avis, les « grands classiques », il y en a combien ?

— Oh, je ne sais pas, il y en a plein. Enfin, ajouta Ballanger en réfléchissant, non, finalement, pas tant que ça. La définition de ce qu’est un classique, en cette matière, est très approximative. À mon sens, elle est même plus sociologique et historique que littéraire.

Et devant l’œil interrogatif de Camille :

— C’est affaire de sociologie dans le sens où, pour un public moyennement averti, certains livres sont considérés comme des chefs-d’œuvre même quand ce n’est pas le cas aux yeux de spécialistes. C’est aussi affaire d’histoire. Un classique n’est pas forcément un chef-d’œuvre. Nécropolis de Liebermann est un chef-d’œuvre mais pas encore un classique. Les Dix Petits Nègres, c’est l’inverse. Le Meurtre de Roger Ackroyd est à la fois un chef-d’œuvre et un classique.

— Il me faut des catégories, dit Camille. Si j’enseignais la littérature, je nuancerais sans doute, monsieur Ballanger. Mais j’enquête sur des crimes où l’on éventre de vraies jeunes filles… D’après vous, des chefs-d’œuvre, des classiques, bref des livres qui comptent, combien y en aurait-il ? À peu près…

— Comme ça, je dirais trois cents. À peu près.

— Trois cents… Vous pourriez dresser une liste des ouvrages… réellement indiscutables, et me dire où on peut trouver leur résumé ? Nous pourrions tenter une recherche au fichier avec quelques éléments significatifs de chaque histoire…

— Pourquoi me demander ça à moi ?

— Je cherche un spécialiste capable de structurer des connaissances, de les synthétiser. À la Brigade criminelle, vous savez, nous avons peu de spécialistes de la littérature. J’avais pensé à demander à un libraire spécialisé…

— Bonne idée, le coupa Ballanger.

— Nous en connaissons un mais il n’est pas très coopératif. Je préfère m’adresser, comment dire… à un fonctionnaire de la République.

Joli coup, sembla apprécier Ballanger. La référence à ce terme grandiloquent le plaçait en situation difficile pour refuser et l’inscrivait dans un devoir de réserve qui ne pouvait seulement reposer sur son honnêteté.

— Oui, c’est possible, dit-il, enfin… La liste n’est pas très difficile à établir. Encore que le choix restera très arbitraire.

Camille fit signe qu’il le comprenait très bien, que ça n’avait pas encore trop d’importance.

— Je dois disposer de monographies, de résumés, ici et là. Je peux aussi demander à quelques étudiants… Deux jours ?

— Parfait.

4

C’est aux moyens dont la police dispose qu’on mesure l’intérêt que suscitent, en haut lieu, les grandes affaires médiatiques. Camille se vit attribuer une grande salle du sous-sol. Aveugle.

— C’est bête, un crime de plus, on avait droit aux fenêtres, commenta-t-il.

— Peut-être, répondit Le Guen, mais avec un mort de moins, tu n’avais pas les ordinateurs.

Cinq postes informatiques étaient en cours d’installation, des ouvriers fixaient les tableaux de liège pour afficher les informations de l’équipe, les fontaines d’eau froide et chaude pour le café soluble, les fournitures de bureau, tables, chaises et lignes téléphoniques. Le juge l’appela sur son portable pour convenir de l’heure du premier briefing. On convint de 8 h 30, le lendemain.

L’équipe fut au complet à 18 h 30. Il ne manquait plus que deux ou trois chaises. De toute manière, fidèle à la tradition, Camille tint la première réunion debout.

— On va procéder aux présentations d’usage. Je suis le commandant Verhœven. Ici, on dit Camille tout court, on va faire simple. Voici Louis. C’est lui qui coordonnera l’ensemble de l’équipe. Tous les résultats que vous obtiendrez doivent, en priorité, lui être remis. Il est chargé de la répartition des tâches.

Les quatre nouveaux regardèrent silencieusement Louis en hochant la tête.

— Ici, c’est Maleval. Théoriquement, c’est Jean-Claude mais pratiquement, c’est Maleval. Il est chargé des moyens matériels. Ordinateurs, voitures, matériel, etc., vous vous adressez à lui.

Les regards passèrent de l’autre côté de la pièce vers Maleval qui leva une main en signe de bienvenue.