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Hwel voyait brûler les fanaux tout au long de l’échafaudage, car les ouvriers embauchés pour la circonstance de même que certains des acteurs refusaient de laisser l’obscure clarté qui tombait des étoiles interrompre leur travail.

Non seulement les nouveaux bâtiments étaient rares à Morpork, mais celui-là était d’un nouveau type.

Le Dysk.

Au début, l’idée avait atterré Vitoller, mais le jeune Tomjan l’avait harcelé. Et tout le monde savait que le gamin, une fois lancé, pouvait persuader l’eau de remonter les pentes.

« Mais nous nous sommes toujours déplacés, petit, avait dit Vitoller du ton désespéré de qui se sait battu d’avance. Je ne vais pas me fixer à mon âge.

— Ça ne te fait pas de bien, avait assuré Tomjan. Toutes ces nuits froides et ces matins glacés. Tu n’es plus tout jeune. On devrait s’établir quelque part et laisser les gens venir à nous. Et ils viendront. Tu vois bien le monde qu’on attire maintenant. Les pièces de Hwel sont connues.

— Ce ne sont pas mes pièces, avait rectifié Hwel. Ce sont les acteurs.

— Je ne me vois pas assis près du feu dans une chambre mal aérée, dormir dans des lits de plumes et toutes ces fadaises », avait dit Vitoller, mais devant l’expression de son épouse, il avait cédé.

Puis il y avait eu le théâtre proprement dit. Faire remonter les pentes à l’eau, c’était un talent de société à côté du tour de force qui consistait à soutirer de l’argent à Vitoller. Cependant, le fait était là, les affaires avaient bien marché ces derniers temps. Depuis le jour où Tomjan avait été assez grand pour porter une fraise et aligner deux mots sans que sa voix se casse.

Hwel et Vitoller avaient regardé s’élever les premières poutres de la structure de bois.

« C’est contre nature, s’était plaint Vitoller, appuyé sur son bâton. Capturer l’esprit du théâtre pour le mettre dans une cage. Ça va le tuer.

— Oh, je ne sais pas », avait timidement fait Hwel. Tomjan avait bien monté son affaire, il avait consacré toute une soirée à Hwel avant même d’aborder le sujet devant son père, et aujourd’hui le nain se sentait l’esprit en ébullition à la pensée de toutes les possibilités qu’offraient les toiles de fond, changements de décor, coulisses, cintres, machines magnifiques pour faire descendre les dieux des cieux et trappes pour faire monter les démons des enfers. Hwel n’était pas plus capable de désapprouver le nouveau théâtre qu’un singe de protester contre une plantation de bananes.

« Ce foutu machin n’a même pas de nom, avait dit Vitoller. Je devrais l’appeler la Mine d’Or, vu ce que ça me coûte. Où on va trouver l’argent, c’est ce que j’aimerais savoir. »

En vérité, ils avaient essayé des tas de noms, mais aucun n’avait plu à Tomjan.

« Faut que ce soit un nom qui représente tout, avait-il exigé. Parce qu’il y a tout dedans. Le monde entier sur scène, vous voyez ? »

Et Hwel avait proposé, conscient de tenir la bonne réponse au moment où il la livrait : « Le Disque. »

À présent le Dysk était presque achevé, et lui n’avait toujours pas écrit la nouvelle pièce.

Il ferma la fenêtre, revint sans se presser à son bureau, saisit la plume et approcha une autre feuille de papier. Une pensée lui vint soudain. Le monde entier était bien une scène, pour les dieux…

Il se mit alors à écrire.

Le Disque entyer n’est qu’un Théâstre, écrivit-il, et tous les hosmes et les femmes n’en sont que les Acteurs. Il commit l’erreur de marquer une pause, et une autre inspiration tomba comme neige fondue, qui entraîna le fil de ses pensées sur une piste de délestage.

Il regarda ce qu’il avait noté puis ajouta : Sauf Ceux qui vendent le popcorn.

Au bout d’un moment, il raya cette dernière phrase et tenta : Telle la Sceyne d’un Théâstre est le Monde, sur laquelle on se pavasne comme des Acteurs.

Ç’avait un peu meilleure allure.

Il réfléchit un instant et poursuivit avec conscience : Parfois ils y entrent. Parfois ils en sortent.

Est-ce qu’il perdait le fil ? Du temps, il lui fallait une infinité de temps…

Il y eut un cri étouffé et un choc sourd dans la pièce voisine. Hwel lâcha la plume et poussa doucement la porte.

Le jeune homme était assis dans son lit, la figure blême. Il se détendit à l’entrée du nain.

« Hwel ?

— Qu’est-ce qui se passe, mon gars ? Des cauchemars ?

— Dieux, c’était affreux ! Je les ai revues ! J’ai vraiment cru un moment… »

Hwel, qui ramassait distraitement les vêtements que Tomjan avait éparpillés dans la chambre, s’arrêta dans sa tâche. Il aimait beaucoup les rêves. C’était dans les rêves que venaient les idées.

« Cru quoi ? fit-il.

— C’était comme… Enfin, j’étais comme qui dirait à l’intérieur de quelque chose, un genre de bol, et il y avait trois figures affreuses qui me fixaient.

— Ah oui ?

— Oui, et elles ont toutes dit : “Salut…” puis elles se sont mises à discuter sur mon nom, et elles ont fait : “Bref, qui sera roi plus tard. ” Alors, il y en a une qui a dit : “Plus tard que quoi ?” et une autre a répondu : “Plus tard tout court, ma fille, c’est ce qu’on est censé dire dans ces cas-là, tu pourrais essayer de faire un effort”, ensuite elles ont toutes regardé de plus près, et l’une a dit : “Il a pas l’air très en forme, m’est avis que c’est cette cuisine étrangère”, alors la plus jeune a dit : “Nounou, je vous l’répète, rien n’vaut Thespies”, puis elles se sont un peu chamaillées, et l’une des vieilles a dit : “Il nous entend pas, hein ? Il s’agite un peu dans son lit”, et l’autre : “Tu sais, j’ai jamais pu avoir le son sur ce machin, Esmé”, puis elles se sont encore un peu chamaillées, ça s’est troublé, et après… je me suis réveillé, termina-t-il gauchement. C’était horrible, parce qu’à chaque fois qu’elles s’approchaient, le bol grossissait tout, et on ne voyait plus rien d’autre que les yeux et les trous de nez. »

Hwel se hissa sur le bord du lit étroit.

« Drôles de trucs, les rêves, fit-il.

— Pas très drôle, celui-là.

— Non, mais tu vois, la nuit dernière, j’ai rêvé d’un petit homme aux jambes arquées qui s’en allait sur une route. Il portait un petit chapeau noir et il marchait comme s’il avait les chaussures pleines d’eau. »

Tomjan hocha une tête polie.

« Oui ? fit-il. Et alors… ?

— Ben, voilà. Et alors rien. Il avait une petite badine, il faisait des moulinets avec et, tu sais, c’était incroyable comme… »

La voix du nain décrut. La figure de Tomjan avait cette expression familière d’étonnement poli et légèrement condescendant que Hwel avait fini par connaître et redouter.

« En tout cas, c’était très amusant », dit-il, à demi pour lui-même. Mais il savait qu’il ne convaincrait jamais le reste de la troupe. Sans tarte à la crème, pour eux, ce n’était pas drôle.

Tomjan balança les jambes hors du lit et tendit la main vers son pantalon.

« Je n’ai plus envie de dormir, dit-il. Quelle heure il est ?

— Minuit passé, répondit Hwel. Et tu sais ce qu’a dit ton père sur la question de se coucher tard.

— Je ne me couche pas tard, fit Tomjan en enfilant ses chaussures. Je me lève tôt. C’est très bon pour la santé de se lever tôt. Et je sors boire un coup, très bon pour la santé, ça aussi. Tu peux venir, ajouta-t-il, pour me surveiller. »