Выбрать главу

— ’xact.

— Alors j’ai fait huit cents kilomètres pour vous trouver. »

* * *

Plus tard le même jour, comme l’aurait noté Hwel dans ses indications scéniques. Le bruit des coups de marteaux qui scandaient l’édification du Dysk dans son berceau d’échafaudages rentrait dans le crâne du nain pour ressortir de l’autre côté.

Il se rappelait avoir bu, de ça il était sûr. Et les nains avaient payé beaucoup d’autres tournées quand Tomjan s’était lancé dans ses imitations. Ensuite ils étaient tous allés dans un autre bar que Tonnerafale connaissait, puis dans un restaurant klatchien de plats à emporter, et après tout devenait flou…

Il n’était pas très doué pour lamper. Trop de liquide lui tombait dans le gosier.

À en juger par le goût qu’il gardait dans la bouche, une quelconque créature nocturne incontinente avait dû, elle aussi, viser juste.

« Tu peux le faire ? » demanda Vitoller.

Hwel se passa la langue sur les lèvres pour se débarrasser du goût.

« J’espère, fit Tomjan. Ça m’a paru intéressant, de la façon qu’il l’a présenté. Un méchant roi qui gouverne avec l’aide de vilaines sorcières. Des tempêtes. Des forêts effrayantes. Le véritable héritier du trône dans une lutte désespérée. L’éclair d’une dague. Des cris, des clameurs. Le mauvais roi meurt. Le bien triomphe. Les cloches sonnent à la volée.

— On pourrait prévoir des pluies de pétales de roses, dit Vitoller. Je connais un gars qui peut les obtenir quasiment à prix coûtant. »

Ils regardèrent Hwel dont les doigts battaient la charge sur son tabouret. Tous trois portèrent leur attention sur le sac d’argent que le fou avait donné au nain. À lui seul, il représentait de quoi terminer le Dysk. Et il avait été question de rallonge à venir. Du mécénat, c’était le mot.

« Tu vas le faire, alors, hein ? redemanda Vitoller.

— Il y a là une idée, admit Hwel. Mais… je ne sais pas…

— Je ne veux pas te forcer la main », dit Vitoller. Les trois paires d’yeux revinrent au sac d’argent.

« Ça m’a l’air un peu louche, reconnut Tomjan. Je veux dire, le fou est correct. Mais sa façon de parler du projet… c’est très bizarre. Sa bouche dit une chose et ses yeux une autre. Et j’ai eu l’impression qu’il aurait de loin préféré qu’on croie ses yeux.

— D’un autre côté, se hâta de dire Vitoller, quel mal il y aurait ? Les pièces avant tout. »

Hwel leva la tête.

« Quoi ? fit-il, le cerveau embrumé.

— J’ai dit : la pièce avant tout. »

Le silence retomba, à peine troublé par les doigts de Hwel qui continuaient de tambouriner. Le sac d’argent paraissait plus gros. Il paraissait même remplir la chambre.

« Ce qu’il faut… commença Vitoller plus fort qu’il n’était nécessaire.

— Telles que je vois… » commença Hwel.

Ils s’arrêtèrent tous les deux.

« Après toi. Excuse-moi.

— Ça n’était pas important. Vas-y.

— J’allais dire : on pourrait quand même terminer le Dysk, fit Hwel.

— Seulement la carcasse et la scène, dit Vitoller. Mais pas le reste. Pas le mécanisme de trappes, ni la machinerie pour descendre les dieux du ciel. Ni la grande plate-forme tournante, ni les ventilateurs pour le vent.

— On s’est débrouillés sans tout ça jusque-là. Tu te souviens, dans le temps ? Tout ce qu’on avait, c’était quelques planches et un bout de toile de sac peinte. Mais on avait l’enthousiasme. Quand on voulait du vent, on le faisait nous-mêmes. » Ses doigts battirent un moment la charge. « Évidemment, ajouta-t-il aussitôt, on pourrait s’offrir une machine à vagues. Une petite. J’ai une idée de bateau qui fait naufrage sur une île où il y a…

— Je regrette. » Vitoller secoua la tête.

« Mais on a fait des salles combles ! s’étonna Tomjan.

— C’est vrai, mon gars. C’est vrai. Mais avec des spectateurs qui ne payent pas grand-chose. Les artisans veulent de l’argent, eux. Si on voulait devenir des hommes riches – des gens riches, rectifia-t-il en hâte –, on n’avait qu’à naître charpentiers. » Vitoller changea de position, mal à l’aise.

« Je dois déjà à Chrystophrase le Troll plus qu’il ne faudrait. »

Les deux autres le regardèrent fixement.

« C’est celui qui arrache les membres des gens ! fit Tomjan.

— Combien tu lui dois ? demanda Hwel.

— Ça va, s’empressa de répondre Vitoller, je paye régulièrement les intérêts. Plus ou moins.

— Oui, mais il veut combien ?

— Un bras et une jambe. »

Le nain et le jeune homme le fixèrent, horrifiés. « Comment tu as pu être aussi…

— Je l’ai fait pour vous deux ! Tomjan mérite une meilleure scène, il ne veut pas se ruiner la santé à dormir dans des chariots sans jamais avoir de foyer, et toi, mon vieux, tu as besoin d’un aménagement fixe avec tout ce qu’il faut, des trappes et… des machines à vagues, tout ça. C’est vous qui m’avez persuadé, et je me suis dit : ils ont raison. C’est pas une vie de courir les routes, de donner deux représentations par jour à des bandes de paysans et de passer le chapeau à la fin, quel avenir il y a là-dedans ? Je me suis dit : il faut trouver à s’installer quelque part, avec des sièges confortables pour un public distingué, des spectateurs qui ne lancent pas des pommes de terre sur la scène. Tant pis ce que ça coûte, je me suis dit. Je voulais seulement que vous…

— D’accord, d’accord, cria Hwel. Je vais l’écrire !

— Et moi, je vais la jouer, renchérit Tomjan.

— Je ne vous force pas, remarquez, fit Vitoller. C’est vous qui voyez. »

Hwel s’absorba dans la contemplation de la table, les sourcils froncés. L’idée, il devait le reconnaître, présentait des aspects intéressants. Trois sorcières, ça, c’était bien. Deux, ce n’était pas assez, et quatre, ça en faisait trop. Elles pourraient intervenir dans le destin de l’humanité et tout. Beaucoup de fumée et de lumière verte. Trois sorcières, ça offrait pas mal de possibilités. C’était étonnant, personne n’y avait encore pensé.

« Alors on peut dire à ce fou qu’on va le faire, hein ? » reprit Vitoller avec espoir, la main sur le sac d’argent.

Et bien sûr, impossible de se tromper avec une bonne tempête. Il y avait aussi le numéro de fantôme que Vitoller avait supprimé de Comme vous voudrez sous prétexte que la mousseline était au-dessus de leurs moyens. Et peut-être qu’il pourrait caser la Mort aussi. Le jeune Camar ferait sacrément bien la Mort, avec du maquillage blanc et des semelles compensées…

« C’est loin, il a dit, là d’où il vient ? demanda-t-il.

— Les montagnes du Bélier, répondit le directeur de troupe. Un petit royaume dont personne n’a jamais entendu parler. Un nom comme une infection de poitrine.

— Ça prendrait des mois pour y arriver.

— J’aimerais y aller quand même, dit Tomjan. C’est là que je suis né. »

Vitoller regarda le plafond. Hwel regarda par terre. Pour l’instant, tout valait mieux que se regarder l’un l’autre.

« C’est ce que vous avez dit, reprit le jeune homme. Au cours d’une tournée dans les montagnes, vous avez dit.

— Oui, mais je ne me rappelle pas où, fit Vitoller. Ces petites villes de montagne, elles se ressemblent toutes. On a passé plus de temps à pousser les chariots pour traverser les rivières et à les tirer dans les côtes qu’à jouer sur scène.

— Je pourrais emmener quelques-uns des plus jeunes gars et tourner pendant l’été, dit Tomjan. On reprendrait tous les vieux succès. Et on serait quand même revenus pour le jour du Gâteau des Morts. Vous, vous resteriez vous occuper du théâtre, et on reviendrait pour l’inauguration. » Il fit un grand sourire à son père. « Ça leur ferait du bien, ajouta-t-il finement.