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— Pardon. »

Flic, flic, faisait la canne sur les copeaux de bois qu’elle envoyait en l’air.

« Enfin… tu sais qu’il n’est ni de ma chair ni de mon sang.

— Il est quand même ton fils, fit Hwel. Ces histoires d’hérédité, ça n’est pas aussi formidable qu’on le raconte.

— Ça te va bien de dire ça.

— Je le pense. Regarde-moi. Je n’étais pas destiné à écrire des pièces. Les nains ne sont même pas censés savoir lire. Je ne m’inquiéterais pas trop du destin, si j’étais toi. Le mien, c’était de faire mineur. Le destin se trompe la moitié du temps.

— Mais tu prétends qu’il ressemble au fou. Moi, je ne trouve pas, remarque.

— Faut que la lumière soit bonne.

— Pourrait y avoir du destin là-dessous. »

Hwel haussa les épaules. Le destin, c’est un drôle de truc, il le savait. On ne peut pas lui faire confiance. Souvent, on ne le voit même pas. À l’instant où l’on est sûr de l’avoir coincé, il se change en autre chose : en coïncidence, peut-être, ou en providence. On barricade sa porte pour l’empêcher d’entrer, et on l’a derrière soi. Puis, quand on croit lui avoir cloué le bec, c’est lui qui s’en va avec le marteau.

Il s’en servait beaucoup, du destin. Comme ressort pour ses pièces, c’était encore mieux qu’un fantôme. Rien ne valait un peu de destin pour faire décoller un bon vieux drame. Mais il fallait s’abstenir de croire qu’on pouvait deviner quelle tournure il allait prendre. Quant à s’imaginer qu’on pouvait le maîtriser…

* * *

Mémé Ciredutemps loucha d’un œil irrité dans la boule de cristal de Nounou Ogg. Ce n’était pas une très bonne boule vu qu’il s’agissait d’un flotteur de verre pour la pêche de couleur verdâtre qu’un de ses fils lui avait ramené de l’étranger. Tout y apparaissait déformé, y compris, soupçonnait-elle, la vérité.

« Pas de doute, il vient, dit-elle enfin. En chariot.

— J’aurais préféré un destrier blanc fougueux, déclara Nounou Ogg. Tu sais. Caparaçonné, tout ça.

— Il a une épée magique ? » demanda Magrat en tendant le cou pour voir.

Mémé Ciredutemps se redressa.

« Vous m’faites honte, toutes les deux. Ça m’dépasse, moi… Des destriers magiques, des épées fougueuses. Tout l’temps à lancer des œillades comme des laitières.

— Une épée magique, c’est drôlement important, dit Magrat. Indispensable. On pourrait lui en fabriquer une, ajouta-t-elle, rêveuse. En fer de foudre. J’ai un sortilège pour ça. On prend du fer de foudre, expliqua-t-elle sans assurance, et puis on en fait une épée.

— Moi, j’veux pas m’embêter avec ce vieux truc-là, dit Mémé. Faut attendre des jours que le foutu machin frappe, et après, c’est tout juste s’il vous arrache pas le bras.

— Et une fraise », fit Nounou Ogg en ignorant l’interruption.

Les deux autres la regardèrent, attendant la suite.

« Une fraise, une marque de naissance, répéta-t-elle. Un de ces accessoires nécessaires au prince qui vient réclamer son royaume. C’est comme ça qu’on le reconnaît, ’videmment, j’sais pas comment on reconnaît que c’est de la fraise.

— J’supporte pas les fraises », fit distraitement Mémé qui lorgnait à nouveau dans la boule de cristal.

Dans les profondeurs vertes et fêlées aux relents de homard crevé, un Tomjan minuscule embrassait ses parents, serrait des mains, donnait l’accolade au reste de la troupe et grimpait dans le chariot de tête.

On dirait que ça a marché, songea la sorcière. Sinon il ne viendrait pas par ici, pas vrai ? Tous les autres, là, ce doit être sa bande de fidèles compagnons. Après tout, ça se comprend, il va faire huit cents kilomètres dans un pays difficile, tout peut arriver.

Les armes et l’armure sont sûrement dans les chariots.

Elle sentit planer l’ombre d’un doute et entreprit de la gommer tout de suite. Il n’y a pas d’autre raison pour qu’il vienne, ça tombe sous le sens. On a exécuté le sortilège dans les règles. Sauf pour les ingrédients. Et pour la majeure partie de la poésie. D’ailleurs, ce n’était probablement pas la bonne heure. Et Gytha a presque tout emporté chez elle pour son chat, ce qui ne se fait sûrement pas.

Mais il est en route. Ce qui ne parle pas ne ment pas.

« Vaut mieux remettre le tissu sur la boule si t’as fini, Esmé, dit Nounou. J’ai toujours peur qu’on me regarde quand je prends mon bain.

— Il est en route », fit Mémé. Sa voix prenait des accents de satisfaction si durs qu’on aurait pu s’en servir pour moudre du blé. Elle laissa tomber la housse de velours noir sur la boule.

« Le voyage est long, dit Nounou. Il y a plus d’un jupon entre la robe et la culotte. Il pourrait tomber sur des bandits.

— On va veiller sur lui.

— C’est pas normal. S’il doit être roi, faut qu’il puisse se battre comme il veut, objecta Magrat.

— On tient pas à le voir gaspiller ses forces, dit Nounou, l’air collet monté. On tient à ce qu’il arrive ici frais et dispos.

— Et après, j’espère, on le laissera se battre comme il veut », insista Magrat.

Mémé applaudit d’un air sérieux.

« Tout à fait, dit-elle. À condition qu’on soit sûres qu’il gagnera. »

Elles avaient tenu leur réunion dans la chaumière de Nounou Ogg. Magrat trouva une excuse pour rester après le départ de Mémé aux premières lueurs du jour, soi-disant pour aider Nounou à ranger.

« C’est devenu quoi, la résolution de pas se mêler des affaires des gens ? demanda-t-elle.

— Comment ça ?

— Vous savez bien, Nounou.

— C’est pas vraiment se mêler de leurs affaires, répondit maladroitement Nounou. On donne juste un coup de pouce.

— Vous croyez pas ça, tout de même ! »

Nounou s’assit et tripota un coussin.

« Ben, tu vois, ces histoires de pas se mêler des affaires des autres, c’est bien joli en temps normal. C’est facile de pas intervenir quand y a pas besoin. Et puis faut que j’pense à la famille. Mon Jason, il s’est bagarré deux ou trois fois à cause de ce qu’ont dit les gens. Mon Shawn s’est fait renvoyer de l’armée. Telles que j’vois les choses, quand on aura le nouveau roi, il nous devra quelques faveurs. Ça serait que justice.

— Mais pas plus tard que la semaine dernière, vous avez dit… » Magrat s’arrêta, choquée de faire montre d’un tel pragmatisme.

« Une semaine, c’est long, en magie, fit Nounou. Quinze ans, par le fait. N’importe comment, Esmé est décidée et j’ai pas envie de la contrarier.

— Alors, si je comprends bien, conclut Magrat avec froideur, cette histoire de pas intervenir, c’est comme faire vœu de ne pas nager. On le rompt jamais sauf si, évidemment, on se retrouve dans l’eau ?

— Ça vaut mieux que s’noyer », remarqua Nounou.

Elle leva la main vers le dessus de cheminée et ramena une pipe en terre qui ressemblait à un puits de goudron miniature. Elle l’alluma avec une longue allumette rescapée du feu, tandis que Gredin la regardait attentivement depuis son coussin.

Magrat décoiffa nonchalamment la boule de son capuchon et la regarda d’un œil mauvais.

« J’ai l’impression, dit-elle, que je comprendrai jamais vraiment la sorcellerie. Dès que je crois avoir saisi, ça change.

— On est des gens comme les autres. » Nounou souffla un nuage de fumée bleue vers la cheminée. « Tout le monde est des gens comme les autres.

— Je peux emprunter la boule de cristal ? demanda soudain Magrat.

— Je t’en prie. » Elle eut un grand sourire dans le dos de Magrat. « Tu t’es disputée avec ton petit ami ?