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« On a un reçu quelque part… » commença le nain.

Tomjan lui donna un coup de coude. « Ceux-là ne ressemblent pas à des voleurs de la Guilde, souffla-t-il. À moi, ils me font l’effet d’indépendants. »

Il serait de bon ton de dire que le chef des voleurs était une brute de fier-à-bras à la barbe noire, affublé d’un bandeau rouge autour de la tête, d’une boucle d’oreille en or et d’un menton à récurer les casseroles. Ouais, ça s’imposerait presque. À la vérité, c’était le cas. Hwel songea que la jambe de bois était de trop, mais l’homme avait visiblement travaillé son rôle.

« Tiens, tiens, fit-il donc. Qu’est-ce qu’on a là, et ils ont de l’argent ?

— On est des acteurs, fit Tomjan.

— Ça devrait répondre aux deux questions, dit Hwel.

— Et on réplique pas, fit le bandit. Je suis allé à la ville, moi. Je reconnais une réplique quand j’en vois une et… – il se tourna à demi vers sa bande et leva un sourcil pour signifier que sa prochaine remarque allait être spirituelle –, si vous faites pas attention, je peux vous envoyer quelques réparties blessantes de mon cru. »

Un silence de mort tomba derrière lui, jusqu’à ce qu’il fasse un geste impatient de son coutelas.

« D’accord, dit-il sur fond d’un chœur de rires incertains. On va prendre que la menue monnaie, les objets de valeur, les vivres et les vêtements.

— Je peux dire un mot ? » fit Tomjan.

La compagnie s’écarta de lui. Hwel se contempla les pieds et leur sourit.

« Tu vas demander grâce, hein ? fit le bandit.

— C’est vrai. »

Hwel se fourra les mains au fond des poches et leva les yeux au ciel ; il siffla tout bas et retint un rictus dément. Il était conscient que les autres acteurs regardaient eux aussi Tomjan, l’air d’attendre.

Il va leur sortir la tirade de grâce du Conte de Troll, songea-t-il…

« Ce que je voudrais faire comprendre, c’est que… attaqua Tomjan, et sa posture se modifia légèrement, sa voix se fit plus profonde, sa main droite s’envola brusquement en un geste dramatique… La valeur de l’homme n’est pas dans ses actions d’éclat, ni dans son désir ardent de rapines… »

Ça va rendre comme lorsque ce type a voulu nous voler l’autre fois à Sto Lat, se dit Hwel. S’ils finissent par nous donner leurs épées, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire ? Et c’est tellement gênant quand ils se mettent à pleurer.

C’est à cet instant que le monde autour de lui prit une teinte verte et qu’il crut percevoir d’autres voix, à la limite de l’audible.

« Y a des hommes avec des épées, Mémé !

— …pourfendre de leurs glaives rutilants les merveilles du monde… » disait Tomjan, pendant que les voix à fleur d’imagination poursuivaient : « Mes rois à moi, ils demandent grâce à personne. Passe-moi ce pot à lait, Magrat.

— …la compassion au cœur, le baiser…

— C’est un cadeau de ma tante.

— …ce joyau parmi les joyaux, cette couronne parmi les couronnes. »

Suivit un silence. Un ou deux bandits pleuraient sans bruit dans leurs mains.

Leur chef lança : « Ça y est ? »

Pour la première fois de sa vie, Tomjan eut l’air désemparé.

« Ben, oui, répondit-il. Euh… vous voulez que je recommence ?

— Un bon discours, concéda le bandit. Mais j’vois pas en quoi ça me concerne. J’ai du sens pratique, moi. Aboulez c’que vous avez. »

Il brandit son épée à hauteur de la gorge de Tomjan.

« Et vous autres, restez pas là comme des crétins, ajouta-t-il. Allez. Sinon, le p’tit gars va y avoir droit. »

Le débutant Cabelan leva une main prudente.

« Quoi ? fit le bandit.

— V-vous êtes s-sûr d’avoir bien écouté, monsieur ?

— Je vous le redirai pas ! Soit j’entends tomber les pièces, soit vous entendez tomber une tête ! »

Ce qu’ils entendirent, ce fut un sifflement très haut dans les airs et le fracas d’un pot à lait aux parois couvertes de givre spatial qui tomba du ciel sur la pointe du casque du chef.

Les malandrins restants jetèrent un coup d’œil au résultat et prirent la fuite.

Les acteurs considérèrent le bandit étendu par terre. Hwel poussa un glaçon de lait du bout de sa chaussure.

« Tiens, tiens, dit-il faiblement.

— Il n’a même pas fait attention ! murmura Tomjan.

— Un critique né », dit le nain. Il s’agissait d’un pot bleu et blanc. Marrant comme on remarque les petits détails en un pareil moment. Il avait été plusieurs fois cassé par le passé, Hwel le voyait bien, on avait recollé les morceaux avec soin. Quelqu’un y tenait vraiment, à ce pot.

« Là, dit-il en rassemblant quelques lambeaux de logique, on a affaire à une tornade pas ordinaire. C’est évident.

— Mais les pots à lait, ça ne tombe pas du ciel, objecta Tomjan, preuve de l’incroyable faculté de l’homme à nier l’évidence.

— Ça, je n’en sais rien. J’ai déjà entendu parler de poissons, de grenouilles et de cailloux. Rien n’interdit la poterie. » Il commençait à se ressaisir. « C’est un de ces phénomènes bizarres. Il s’en produit tout le temps dans cette partie du monde, rien d’étonnant là-dedans. »

Ils retournèrent aux chariots et reprirent la route dans un silence inhabituel. Le jeune Cabelan ramassa tous les morceaux de pot qu’il trouva, les rangea soigneusement dans la malle des accessoires et passa le reste de la journée à scruter le ciel, dans l’espoir de récupérer un sucrier.

* * *

Les chariots gravissaient péniblement les pentes poussiéreuses des montagnes du Bélier, simples petits points dans le verre brouillé de la boule.

« Ils vont bien ? demanda Magrat.

— Ils se promènent partout, répondit Mémé. Ils sont peut-être bons comédiens, mais ils ont encore à apprendre pour ce qui est de voyager.

— C’était un joli pot. On en trouve plus, des comme ça. Comprenez, si vous m’aviez dit pour quoi c’était faire, y avait un fer à repasser sur l’étagère.

— Y a autre chose dans la vie que les pots à lait.

— Il avait un motif de marguerites tout autour du bord. »

Mémé l’ignora. « Je crois, dit-elle, qu’il serait temps d’examiner ce nouveau roi. En gros plan. » Elle ricana.

« Vous avez ricané, Mémé, fit Magrat, la mine sombre.

— C’est pas vrai ! J’ai… – Mémé chercha un mot – j’ai gloussé.

— Je parie qu’Aliss la Noire, elle ricanait.

— Tu devrais faire attention de pas finir comme elle, lança Nounou depuis son siège près du feu. Elle devenait un peu bizarre sur la fin, tu sais. Pommes empoisonnées et tout l’bazar.

— Tout ça parce que j’ai peut-être gloussé… un peu fort », renifla Mémé. Elle sentit qu’elle se mettait plus que de raison sur la défensive. « N’importe comment, y a pas de mal à ricaner. Avec modération. »

* * *

« J’ai l’impression, dit Tomjan, qu’on est perdus. »

Hwel parcourut des yeux la lande violacée cuite au soleil qui les entourait et s’étendait jusqu’aux cimes imposantes du Bélier. Même au plus fort de l’été, des banderoles de neige s’envolaient depuis les pics les plus hauts. C’était un paysage d’une beauté descriptible.

Les abeilles s’activaient, du moins s’efforçaient d’en avoir l’air et la chanson, dans le thym qui bordait la piste. Des ombres de nuages papillonnaient sur les prairies alpestres. Il régnait un grand silence vide, celui d’un environnement dépourvu de toute vie humaine ; et qui s’en passe fort bien, d’ailleurs.