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— Tout droit, à gauche au ravin, puis suivez le sentier jusqu’à un pont, vous pouvez pas l’manquer », s’empressa de répondre Nounou.

Hwel saisit les rênes. « Vous avez oublié le coup des seigneurs.

— Merde. Pardon. Mes seigneurs.

— Et vous êtes une humble ramasseuse de bois, j’imagine.

— Dans l’mille, mon gars, fit joyeusement Nounou. J’commence juste, à vrai dire. »

Tomjan donna un coup de coude au nain.

« Tu as oublié, pour la rivière », dit-il. Hwel lui lança un regard noir.

« Oh, oui, marmonna-t-il, est-ce que vous pouvez attendre ici le temps qu’on trouve une rivière ?

— Pour vous aider à traverser », expliqua prudemment Tomjan.

Nounou lui adressa un sourire radieux. « Y a un pont excellent, fit-elle. Mais si vous m’emmenez, j’dis pas non. Poussez-vous. »

Au grand déplaisir de Hwel, Nounou Ogg releva ses jupes, se hissa comme elle put sur le banc, s’inséra entre Tomjan et le nain puis se tortilla comme un couteau à huîtres jusqu’à ce qu’elle occupe la moitié du siège.

« Vous avez parlé de porc salé, dit-elle. Y aurait pas de la moutarde, des fois ?

— Non, répondit Hwel avec humeur.

— J’supporte pas le porc salé sans condiments, poursuivit Nounou sur le ton de la conversation. Mais j’en prendrai bien quand même. » Sans un mot, Cabelan lui tendit le panier qui contenait le repas de la troupe. La sorcière souleva le couvercle et jugea en connaisseuse.

« Vot’fromage, là, il date un peu, dit-elle. Faudrait se dépêcher de l’manger. Y a quoi dans la bouteille en cuir ?

— De la bière, fit Tomjan une fraction de seconde avant que Hwel ait la présence d’esprit de répondre : de l’eau.

— Manque de corps, ce truc-là », dit en fin de compte Nounou. Elle farfouilla dans sa poche de tablier et ramena sa blague à tabac.

« Vous auriez pas du feu ? »

Deux acteurs exhibèrent des bottes d’allumettes. Nounou hocha la tête et rempocha sa blague.

« Bon, fit-elle. Vous auriez pas du tabac ? »

* * *

Une demi-heure plus tard, les chariots traversaient bruyamment le pont de Lancre, les champs de quelques fermes isolées et les forêts qui formaient la majeure partie du royaume. « C’est ça ? fit Tomjan.

— Enfin, pas tout, répondit Nounou qui s’attendait à davantage d’enthousiasme. Y en a encore beaucoup derrière les montagnes, là-bas. Mais ça, c’est la partie plate.

— Vous appelez ça plat ?

— À peu près plat, concéda Nounou. Mais l’air est sain. C’est le palais, là-haut, d’où on a des vues imprenables sur le paysage tout autour.

— Vous voulez dire les forêts.

— Ça va vous plaire, fit Nounou, encourageante.

— C’est un peu petit. »

Nounou réfléchit. Elle avait passé presque toute sa vie dans le périmètre de Lancre. Le royaume lui avait toujours paru de la bonne dimension.

« C’est coquet, rectifia-t-elle. Bien pratique pour aller partout.

— Partout où ? »

Nounou céda. « Partout pas loin », répondit-elle.

Hwel ne disait rien. L’air était effectivement sain, il dévalait les pentes ingravissables des montagnes du Bélier comme une solution pour sinus, teinté de la térébenthine des forêts en altitude. Ils franchirent une porte pour entrer dans ce que les habitants devaient appeler une ville ; le cosmopolite qu’il était désormais se dit que, plus bas dans les plaines, on aurait pris ça pour un espace dégagé.

« Il y a une auberge », fit Tomjan, pas très sûr.

Hwel suivit son regard.

« Oui, dit-il enfin. Oui, sans doute.

— Quand est-ce qu’on va jouer la pièce ?

— Je n’en sais rien. Je crois qu’on va envoyer annoncer au château qu’on est là. » Hwel se gratta le menton. « Le fou a dit que le roi ou je ne sais qui voudrait lire le texte. »

Tomjan fit des yeux le tour de la ville de Lancre. Elle avait plutôt l’air paisible. Pas du genre à flanquer les acteurs dehors à la tombée de la nuit. Elle avait besoin de population.

« C’est la capitale du royaume, dit Nounou Ogg. Des rues bien tracées, vous remarquerez.

— Des rues ? fit Tomjan.

— Une rue, corrigea Nounou. Et aussi des maisons bien entretenues, à un jet de pierre de la rivière…

— Un jet ?

— Un lâcher, concéda Nounou. Des tas de fumier bien rangés, regardez, et vastes…

— Madame, on vient pour distraire la ville, pas pour l’acheter », fit Hwel.

Nounou Ogg jeta un regard en coin à Tomjan.

« J’voulais juste vous montrer qu’elle est belle.

— Votre fierté civique vous honore, dit Hwel. Et maintenant, s’il vous plaît, descendez du chariot. Je suis sûr que vous avez du bois à ramasser. Juste ciel.

— Merci beaucoup pour l’en-cas, fit Nounou qui descendit.

— Les repas », rectifia le nain.

Tomjan lui donna un coup de coude. « Tu devrais être plus poli, dit-il. On ne sait jamais. » Il se tourna vers Nounou. « Merci, bonne… Oh, elle est partie. »

* * *

« Ils sont venus faire du théâtre », dit Nounou.

Mémé Ciredutemps continua d’écosser des haricots au soleil, au grand déplaisir de sa collègue.

« Alors ? Tu veux rien dire ? J’ai découvert des choses, moi, fit-elle. J’ai recueilli des renseignements. J’suis pas restée là, assise, à faire de la soupe…

— Du ragoût.

— M’est avis que c’est très important, renifla Nounou.

— Quel genre de théâtre ?

— Ils l’ont pas dit. Quelque chose pour le duc, je crois.

— Pourquoi il veut du théâtre, lui ?

— Ils l’ont pas dit non plus.

— C’est sans doute une ruse pour entrer dans le château, fit Mémé d’un air entendu. Très finaud, comme idée. T’as vu quelque chose dans les chariots ?

— Des malles, des paquets, tout ça.

— Pleins d’armes et d’armures, j’te l’garantis. »

Nounou Ogg n’avait pas l’air convaincue.

« Ils m’ont guère fait l’effet de soldats. Ils sont tout jeunes et boutonneux.

— Finaud. J’imagine qu’au milieu de la pièce le roi dévoilera son destin, en plein devant tout le monde. Bon plan.

— Y a autre chose, fit Nounou qui ramassa une cosse de haricot et la mâcha. Il a pas l’air de beaucoup aimer le pays.

— Bien sûr que si. Il a ça dans le sang.

— Je l’ai fait passer par où c’est joli. Il a pas eu l’air très impressionné. »

Mémé hésita.

« Sans doute qu’il se méfiait de toi, conclut-elle. Sans doute qu’il était trop saisi pour parler, en fait. »

Elle posa la jatte de haricots et regarda les arbres d’un air songeur.

« T’as toujours de la famille qui travaille au château ? demanda-t-elle.

— Shirl et Daff donnent un coup de main aux cuisines depuis que le chef a perdu la boule.

— Bien. J’vais en causer à Magrat. Je crois qu’on devrait voir ce théâtre. »

* * *

« Parfait, dit le duc.

— Merci, fit Hwel.

— Vous avez vu tout à fait juste à propos de ce terrible accident. Comme si vous y étiez. Ha. Ha.

— Vous n’y étiez pas, hein ? demanda lady Kasqueth qui se pencha en avant et fusilla le nain des yeux.

— Je me suis seulement servi de mon imagination », répondit précipitamment Hwel. Le regard mauvais de la duchesse laissait entendre que son imagination pouvait s’estimer heureuse qu’on ne la traîne pas dans la cour pour une explication devant quatre chevaux sauvages furieux et une longueur de chaîne.