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« Exactement ça, reprit le duc en feuilletant les pages d’une seule main. C’est exactement, exactement ainsi que ça s’est passé.

— Que ça se serait passé », jeta sèchement la duchesse.

Le duc tourna une autre page.

« Vous y êtes aussi, dit-il. Étonnant. C’est mot pour mot ce que je vais me rappeler. Je vois que vous faites également intervenir la Mort.

— Un personnage toujours populaire, répondit Hwel. Très attendu du public.

— Quand pouvez-vous la jouer ?

— La monter, corrigea Hwel avant d’ajouter : On l’a rodée. Quand vous voulez. » Et après, qu’on s’en aille, poursuivit-il dans son for intérieur, pour ne plus voir tes yeux comme deux œufs crus, cette montagne de bonne femme en robe rouge et ce château qui a l’air d’attirer le vent comme un aimant. Ça ne passera pas à la postérité comme une de mes meilleures pièces, Ça, je le sais.

« Combien avons-nous dit que nous allions vous payer ? demanda la duchesse.

— Je crois que vous avez parlé d’encore cent pièces d’argent, répondit Hwel.

— Le prix est justifié », fit le duc.

Hwel se dépêcha de partir avant que la duchesse ne se mette à marchander. Mais il se sentait prêt à payer, et de bon cœur encore, pour se trouver loin de ce pays. Coquet, songea-t-il. Dieux, comment pouvait-on aimer un royaume pareil ?

* * *

Le fou attendait dans le pré autour du lac. Il contemplait le ciel avec mélancolie et se demandait où pouvait bien être Magrat. C’était leur coin à eux, avait-elle dit ; que plusieurs douzaines de vaches le partagent aussi pour l’instant n’y changeait rien.

Elle apparut en robe verte et d’une humeur massacrante.

« C’est quoi, cette histoire de pièce ? » fit-elle.

Le fou s’affaissa sur un rondin de saule.

« Vous n’êtes pas contente de me voir ? demanda-t-il.

— Ben, oui. Évidemment. Bon, cette pièce…

— Mon seigneur veut quelque chose pour convaincre le peuple qu’il est le roi de Lancre légitime. Surtout se convaincre lui, je crois.

— C’est pour ça que vous êtes parti en voyage ?

— Oui.

— C’est dégoûtant ! »

Le fou garda son calme. « Vous préférez la méthode de la duchesse ? À son avis, il faudrait tuer tout le monde. Elle est forte pour ça. Ce seraient bagarres et compagnie. Des tas de gens mourraient, en tout cas. Ce serait peut-être plus simple comme ça.

— Oh, où est votre cran, mon vieux ?

— Pardon ?

— Vous voulez donc pas mourir noblement pour une juste cause ?

— D’abord, j’aimerais mieux vivre tranquille. Pour vous autres, les sorcières, c’est très bien, vous faites ce que vous voulez, mais moi, je n’ai pas les coudées franches », dit le fou.

Magrat s’assit près de lui. Découvre tout ce que tu peux sur cette pièce, avait ordonné Mémé. Va trouver ton copain à clochettes. Elle avait répliqué : Il est d’une grande loyauté. Il me dira peut-être rien. Et Mémé : C’est pas l’heure de faire les choses à moitié. S’il le faut, séduis-le.

« Quand est-ce qu’on va donner la pièce, alors ? demanda-t-elle en se rapprochant.

— Foi de fou, je suis sûr que je n’ai pas le droit de vous le dire. Le duc, il m’a dit comme ça : ne dis pas aux sorcières que c’est demain soir, il a dit.

— Faut pas le dire, alors, convint Magrat.

— À huit heures.

— Je vois.

— Mais il y a un pot avant, à sept heures et demie, avec du sherry, ma foi.

— J’imagine que vous devez pas non plus me dire qui est invité, fit Magrat.

— Évidemment. La plupart des dignitaires de Lancre. Pas le droit de vous le dire, vous comprenez.

— Évidemment.

— Mais je crois que vous avez le droit de savoir en quoi consiste ce qu’on ne vous dit pas.

— Très juste. Il y a toujours la petite porte par-derrière, celle qui conduit aux cuisines ?

— Et qu’on laisse souvent sans garde ?

— Oui.

— Oh, on la surveille à peine ces temps-ci.

— Vous croyez qu’il risque d’y avoir un garde vers huit heures demain ?

— Ben, moi, je risque d’y être.

— Bon. »

Le fou repoussa les naseaux humides d’une vache indiscrète.

« Le duc va vous attendre, ajouta-t-il.

— Vous avez dit qu’il a dit qu’on devait pas savoir.

— Il a dit que je ne devais pas vous le dire. Mais il a dit aussi : “Elles vont quand même venir, j’y compte bien. ” Très bizarre. Il avait l’air de bonne humeur en disant ça. Hum. Je vous verrai après le spectacle ?

— C’est tout ce qu’il a dit ?

— Oh, quelque chose comme quoi il allait montrer leur avenir aux sorcières. Je n’ai pas compris. J’aimerais bien vous voir après le spectacle, vous savez. J’ai acheté…

— Je crois que je vais me laver les cheveux, fit distraitement Magrat. Excusez-moi, faut vraiment que j’y aille.

— Oui, mais je vous ai apporté ce cad… » dit vaguement le fou qui regarda s’éloigner la silhouette de la sorcière.

Il s’affaissa lorsqu’elle disparut entre les arbres et baissa les yeux sur le collier roulé serré entre ses doigts nerveux. Un collier, il devait le reconnaître, de fort mauvais goût, mais du genre qu’elle aimait, tout en argent et en crânes. Il lui avait coûté cher, trop cher.

Une vache, trompée par les cornes de son chapeau, lui fourra une langue dans l’oreille.

C’est vrai, songea le fou. Les sorcières font vraiment des choses désagréables aux gens, des fois.

* * *

Le lendemain soir arriva, et les sorcières se rendirent au château par un chemin détourné, sans grand empressement.

« S’il tient à ce qu’on vienne, j’veux pas y aller, dit Mémé. Il a un plan. Il se sert de têtologie contre nous.

— Il se prépare quelque chose, dit Magrat. Il a envoyé ses hommes mettre le feu à trois chaumières de notre village la nuit dernière. Il fait toujours ça quand il est de bonne humeur. Et le nouveau sergent, c’est un rapide des allumettes.

— Ma Daff, elle a vu les acteurs répéter ce matin, fit Nounou Ogg qui portait un sac de noix et une bouteille de cuir d’où montait une odeur forte et piquante. Ils braillaient et se poignardaient, elle a dit, puis ils se demandaient qui avait fait l’coup et passaient de longs moments à marmonner tout seuls à haute voix.

— Ces acteurs, souffla Mémé avec un profond mépris. Comme si y avait pas assez d’histoires dans le monde sans en inventer d’autres.

— En plus, ils crient tellement fort, dit Nounou. On s’entend à peine causer. » Elle portait aussi, tout au fond de sa poche de tablier, un morceau de caillou du château hanté. Le roi allait entrer à l’œil.

Mémé hocha la tête. Mais, se disait-elle, le spectacle allait valoir le coup. Elle n’avait pas la moindre idée de ce que Tomjan projetait, mais son sens inné du drame l’assurait que le jeune homme allait faire quelque chose d’important. Elle se demanda s’il bondirait de la scène pour tuer le duc au couteau et s’aperçut qu’elle espérait à toute force qu’il en fût ainsi.

« Tous nos saluts, chaipasqui, fit-elle tout bas, qui plus tard seras roi.

— Grouillons-nous, dit Nounou. Va plus rester de sherry. »

Le fou attendait, l’air abattu, dans l’encadrement de la petite porte. Sa figure s’illumina à la vue de Magrat, puis se figea dans une expression de surprise polie à la vue des deux autres.

« Vous allez vous tenir tranquilles, n’est-ce pas ? fit-il. Je ne veux pas d’histoires. S’il vous plaît.