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Je déhote sur cette déconvenue. A quoi bon perdre son temps ?

Après une vague hésitation, je m’approche des ascenseurs. Justement, un négro aux tifs aplatis ouvre la lourde pour laisser passer un couple de gros Portoricains gras comme des beignets refroidis.

— Up ? me demande le liftier.

— No, down !

— O.K.

V’là comment on s’exprime aux U.S.A., les aminches ! Econocroques de mots ! La salive est ainsi tenue en réserve pour le collage des timbres.

Je descends une fois de plus à la réception et je m’adresse à un grand jeune homme blond qui ressemble à un lapin qui se prépare à léguer sa peau à un marchand de fourrures rares.

— Mister Potdzobb, please ? Room number 1742…

Il opine.

Puis il va vérifier dans le registre.

Lorsqu’il revient, il m’explique que Mister and Mistress Potdzobb sont repartis, ayant reçu un appel téléphonique leur apprenant la mort subite d’une parente !

Crotte d’arabe ! c’est bien ma veine ; j’arrive à la bourre ! C’étaient eux les pieds nickelés que nous cherchions. Ils ont piqué le collier du clébart et se sont tirés…

Très accablé, je remonte dans nos appartements afin de tenir un conseil de guerre avec mes éminents collaborateurs.

Je trouve Pinaud couché sur le lit voisin de celui de Béru. Les deux équipiers dorment comme des petits amours joufflus.

Je les réveille en employant la méthode la plus radicale, c’est-à-dire en renversant leurs matelas.

Lorsqu’ils ont cessé de gémir, je les bouscule.

— Vite, les enfants, on déménage.

— Pourquoi ?

— Je viens de me livrer à des voies de fait sur la personne d’un honorable clergyman et il faut décarrer de la taule avant qu’on l’ait découvert… Préparez-vous, je descends payer les chambres. Surtout n’oubliez pas les valises…

Je cligne du lampion pour le père Pinaud.

— Tu vois ce que je veux dire ?

Dix broquilles plus tard, nous sommes dans la rue, munis de nos trois minables valises, dont l’une contient un chien crevé. C’est peu pour partir en guerre contre une bande de malfrats internationaux.

Pour un coup foireux, c’est un coup foireux. Nous sommes baveaux tous les trois, ahuris, froissés, meurtris. Moi avec un bleu à la tempe, Béru avec de la sauce tomate sur sa cravate et Pinaud avec sa moustache pareille à une balayette de gogue usagée.

Plus la carcasse du chien, j’oubliais…

— Où on va ? demande le Gros.

— Pour commencer, il faut se débarrasser du chien. Ensuite nous emménagerons dans un autre hôtel…

— Et après ? fait Pinuche, lugubre comme un mec éveillé par la maison Deibler et Fils à quatre heures du matin.

— Après, comme avant, je t’em…, Pinaud !

Il secoue la tête.

— Venir à New York pour me faire insulter !

Son désarroi me va droit au cœur mais épargne mon visage. Je lui claque les reins.

— Nous sommes en plein pastaga, tu le vois bien. A quoi ça rime de nous charger de mission dans ce pays qui possède une police dix fois supérieure à la nôtre ?

— D’autant plus que nous avions réussi dans notre mission, renchérit le Gros.

— Exactement. On va passer pour des truffes, voilà tout. Je me demande ce que le Vieux avait dans le crâne pour mettre cette combine au point ! Il nous prend pour des surhommes, ma parole !

— Tu sais comme il est cocardier, fait Pinuche. Il voudrait que nous donnions une leçon aux poulets d’ici…

Il a mis dans le mille. Le chef a obéi à ce mobile, exactement ! Il a voulu nous piquer au jeu…

Nous parcourons quelques mètres sur la Huitième avenue. C’est une voie large et grouillante, assez populacière. Il y a des bars obscurs, pleins de pétasses tout le long des trottoirs… Nous la remontons sans savoir où nous allons, jusqu’au Madison Square.

Béru qui coltine le chien mort sue sang et eau.

— Dis, tu pourrais nous offrir un bahut !

— Il faut d’abord larguer Médor.

— Où je le mets ?

— Attends, il y a comme une impasse, là, on pourrait le laisser dans un coin ?

Nous jetons un regard meurtri dans cette zone crassouillarde. Un vieux nègre à barbe grise, au bitos de feutre verdi, est accroupi contre le mur et compte de la monnaie dans sa paume en sébile.

— Impossible, murmure Pinaud, le bougnoule nous repérerait…

Nous parcourons encore une centaine de mètres. Nous voilà la hauteur de la 47e rue. Bérurier est exténué.

— Je fais cadeau de cette valoche au premier venu, je vous avertis, fulmine-t-il en essuyant les ruisselets de sueur qui ennoblissent son beau visage d’intellectuel fatigué.

— Un coup de courage, Gros, on va arriver.

— Où ?

— Dans un endroit propice…

Je lui prends le bras.

— Tiens, le voilà !

A droite, je vois l’immeuble imposant de la gare routière des Greyhounds. De magnifiques cars bleus arrivent ou repartent. Une population nombreuse s’y presse.

— Tu sais ce qu’on va faire ?

— Vas-y !

— Mettre la valoche à la consigne. Y a des casiers fermés qu’on peut louer moyennant vingt-cinq cents, c’est l’idéal…

Nous parvenons dans le hall bruyant. J’avise, à gauche, des coffres blindés. Je glisse une pièce d’argent dans la fente indiquée et une clé me tombe devant le nez. J’ouvre le coffre, j’y fourre la sacrée valise et je referme.

— Bon, nous voilà débarrassés. On va pouvoir aviser…

En sortant, je bigle la file de taxis en attente. Je fais signe à l’un d’eux, mais le chauffeur me dit qu’il faut se mettre en queue des gens qui attendent. Ceux-ci étant fort nombreux, je n’ai pas la patience d’obtempérer.

— On va filer à pince, dis-je à mes assistants.

Mais un bahut stoppé tout en bout de file déboîte et s’avance d’une allure de maraude vers nous.

Le chauffeur est un petit vieux à lunettes cerclées d’or au naze en bec de rapace.

— Où voulez-vous aller ? me demande-t-il.

— Nous cherchons un hôtel confortable.

— Près de Central Park, O.K. ?

— Si vous voulez…

Inutile de vous dire que ces échanges de vues se sont effectués dans un anglais petit nègre.

Nous grimpons et nous nous répandons sur le siège arrière. Pinaud regarde la licence du chauffeur fixée au dossier de la première banquette, ainsi qu’il est d’usage en Amérique.

On y voit la bouille du gnace et son nom s’y étale en gros caractères : Isaac Rosenthal.

— Tiens ! un Breton ! fait Bérurier, lequel a la plaisanterie plutôt conventionnelle, vous le savez.

L’Isaac nous entraîne dans une démaranche record. On est littéralement cloué au dossier de notre siège.

— Il va nous tuer, soupire Pinaud.

CHAPITRE SIX

… CE QUE VOUS ALLEZ VOIR !

Nous avons sous les carreaux un nouvel aspect de la ville tentaculaire. Des gratte-ciel neufs alternent avec des immeubles de briques sales aux échelles d’incendie caractéristiques. Il y a de grands magasins aux étalages magnifiques, et des boutiques ignobles. Entre autres celle d’un naturaliste, près d’un feu rouge, que nous avons le temps de contempler au passage. En vitrine, il y a un mouton, un renard et un loulou de Poméranie empaillés.

— C’est ici qu’on aurait dû apporter notre brave toutou, fait Béru.

Le chauffeur reprend sa course.

Cela dure un petit quart d’heure et je commence à me faire vieux.