— Vous connaissiez bien Evguena ?
— Non, pas vraiment, avoua Malko.
— C’était une bonne copine, fit-elle pensivement. Mais, nitchevo… elle n’est plus là, et la vie continue.
Soudain, elle se pencha et l’embrassa légèrement sur la bouche.
— Vous êtes très séduisant, soupira-t-elle, et très généreux.
Tournée vers lui, elle le fixait avec un vrai sourire de salope. Visiblement, elle le prenait pour un riche pigeon et voulait en profiter. Sa jupe avait encore remonté, ce qui ne parut pas la déranger. Comme la plupart des gens des ex-pays communistes, elle était douée pour la survie, sans trop de scrupules. Après le caviar, il y eut du saumon grillé. Pas mauvais. Et une seconde bouteille de Taittinger Comtes de Champagne Blanc de Blancs.
Viktoria Posnyaki, épanouie, était de plus en plus provocante. Dans leur box surélevé, ils étaient invisibles de l’allée qui desservait les tables. Elle s’étira et proposa :
— Si on allait danser en bas ?
Le sous-sol de L’Égoïste avait une décoration très différente, plus moderne, avec l’inévitable écran plat de télé dans les deux salles. De la musique douce filtrait des haut-parleurs invisibles. Viktoria s’abandonna contre Malko et leva ses magnifiques yeux bleus.
— Je suis très heureuse de vous avoir rencontré.
— Moi aussi, jura Malko.
Ce corps tiède appuyé au sien, ajouté aux bulles du Champagne, le mettait dans un état euphorique. Évidemment, il n’avait pas encore abordé le fond du problème.
— J’ai envie de m’amuser, continua Viktoria. C’est le Champagne, peut-être… Il était très bon.
Le Taittinger ne ressemblait pas vraiment en effet à l’infecte bibine de Crimée dont les Ukrainiens faisaient une consommation effrayante… Ils dansèrent encore un peu, puis remontèrent.
— On rentre ? proposa Viktoria.
Malko abandonna une grosse liasse de hrivnas et ils se retrouvèrent sous une sorte de neige fondue. Viktoria arrêta une vieille Volga et Malko l’entendit demander combien son propriétaire prendrait pour les emmener au Premier Palace. Ils tombèrent d’accord sur vingt hrivnas.
Dans la voiture, elle posa sa tête sur l’épaule de Malko puis, arrivée devant l’hôtel, sortit la première et monta les marches menant à la réception, sans la moindre hésitation. Si Malko avait encore eu des doutes sur ses intentions, ils auraient été dissipés dans l’ascenseur. À peine la cabine se fut-elle ébranlée que Viktoria se colla à lui pour leur premier baiser. Malko ne put résister à l’envie de glisser une main sous la micro-jupe, puis encore plus loin, tandis que la langue de Viktoria se démenait de plus belle dans sa bouche, essayant de lui attraper les amygdales.
Ils parcoururent ensuite le couloir tapissé de moquette bleue presque au pas de course.
Malko eut à peine le temps d’ouvrir la porte. Déjà, Viktoria faisait glisser son beau manteau blanc et déboutonnait celui de Malko, l’enlaçant furieusement. Pendant quelques instants, ils oscillèrent dans la petite entrée, soudés l’un à l’autre, puis la jeune femme se figea d’un coup. Malko mit quelques fractions de seconde à comprendre pourquoi.
Les doigts de la jeune Ukrainienne venaient d’effleurer la crosse du Makarov glissé dans sa ceinture, à la hauteur de la colonne vertébrale.
Elle fit un saut en arrière, les pupilles brutalement dilatées. Voulant la calmer, Malko prit le pistolet pour le poser quelque part, mais n’en eut pas le temps. D’un revers, Viktoria le fit sauter de sa main. Il tomba par terre. Comme il se baissait pour le ramasser d’un geste machinal, elle le bouscula et s’en empara la première.
— Viktoria ! commença-t-il.
Les traits convulsés de peur, les coins de la bouche tirés vers le bas, elle braqua l’arme sur lui et cria :
— Salaud ! Tu voulais me faire comme à Evguena !
Mais c’est moi qui vais te flinguer !
Le bras tendu, elle braquait le gros pistolet sur lui. Sa main tremblait légèrement, mais à cette distance, cela n’avait pas beaucoup d’importance. II vit l’index de la jeune femme se crisper sur la détente qui commença à reculer. Le trou noir du canon lui paraissait énorme. Il se dit en un éclair qu’il était à une fraction de seconde de l’éternité.
CHAPITRE V
Le percuteur extérieur du Makarov claqua avec un bruit sec au moment précis où le cerveau de Malko lançait un message rassurant : il n’y avait pas de cartouche engagée dans la chambre du pistolet automatique. Ses nerfs se détendirent d’un coup. Les traits de Viktoria Posnyaki se défirent et elle fixa le pistolet avec incrédulité. Comme s’il l’avait trahie. Visiblement, elle n’était pas familière des armes à feu. Malko saisit le canon de la main droite et le fit pivoter, forçant la jeune femme à lâcher la crosse. Les prunelles bleues s’agrandirent et Viktoria Posnyaki recula jusqu’au mur, terrifiée.
— Pajolsk ! ne me tuez pas, lança-t-elle d’une voix suppliante.
Elle était si terrifiée que ses jambes se dérobèrent sous elle. Comme une poupée cassée, elle glissa le long du mur, jusqu’au sol. Tout s’était passé si vite que Malko réalisa brutalement que cet incident lui permettait d’entrer dans le vif du sujet, en lui apprenant du même coup que Donald Redstone avait vu juste. Viktoria Posnyaki pouvait lui être très utile.
Afin de la rassurer, il jeta le Makarov sur le lit, puis aida la jeune femme à se relever. Elle tremblait de tous ses membres. Malko l’installa dans un des fauteuils et dit gentiment :
— N’ayez pas peur, je ne suis pas un mokhrouchniV. Elle tendit le bras vers le lit, désignant le pistolet.
— Alors, pourquoi vous avez ça ?
Malko comprit qu’il fallait se jeter à l’eau. Il ne retrouverait pas une occasion pareille.
— Pour me défendre. Maintenant, je dois vous dire la vérité. Je ne vous ai pas rencontrée par hasard.
Viktoria Posnyaki le fixa, abasourdie.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Calmez-vous et je vais vous expliquer, répondit Malko.
Elle récupéra son sac et prit une cigarette très fine qu’elle alluma, soufflant longuement la fumée. Peu à peu, le tremblement de ses mains s’atténuait. De nouveau, elle regarda le pistolet, puis Malko.
— Qui êtes-vous ?
— J’enquête sur la mort de votre amie, Evguena Bog-danov, expliqua-t-il. Je sais que vous étiez liées. C’est pour cela que je vous ai draguée. On m’avait dit que vous veniez souvent à la Maison du Café. Pourquoi avez-vous eu si peur ?
Elle hésita, tira une autre bouffée de sa cigarette.
— Parce qu’Evguena a été mêlée à un truc bizarre juste avant sa mort. Je me demande si ce type, Roman Marchouk, l’a vraiment tuée. Il n’était pas son amant. Je le sais parce qu’elle me disait beaucoup de choses. Son amant, c’était un Polonais dont elle était folle amoureuse. Alors…
Elle laissa sa phrase en suspens.
— Vous avez raison, Viktoria, répliqua Malko.
Evguena a été assassinée, mais pas par Marchouk. Je vais vous expliquer comment. Viktoria l’écouta attentivement, buvant ses paroles, et posa immédiatement la question :
— Comment connaissez-vous tous ces détails ? Vous étiez là ?
— Non. Mais Evguena était sous surveillance.
— De qui ?
— Des amis de Viktor louchtchenko, qui enquêtent sur son empoisonnement, et dont je fais partie. Je suis à Kiev pour comprendre pourquoi elle a été tuée. Et par qui.
— Vous êtes avec les Ameriki ? louchtchenko est soutenu par eux.