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— Oui.

— Evguena n’avait rien à voir avec louchtchenko, objecta Viktoria Posnyaki.

— Evguena, non, mais Roman Marchouk, oui. Il est très fortement soupçonné d’avoir versé le poison dans le plat de Viktor louchtchenko. Il travaillait comme extra dans la datcha de Vladimir Satsyuk, le soir de ce fameux dîner.

Viktoria Posnyaki se décomposa.

— Bolchemoi ! fit-elle d’une voix presque inaudible. Elle était si pâle qu’il proposa :

— Vous voulez boire quelque chose ?

— Oui. Un whisky, si vous avez.

Il prit dans le minibar une flasque de Defender et remplit un verre. Viktoria Posnyaki le vida d’un trait. Malko la laissa récupérer avant de reprendre :

— Je pense que vous pouvez me fournir des éléments qui me manquent…

Brusquement, elle se cabra.

— Je ne suis pas une stukacha ! Je ne veux plus entendre parler de tout cela.

Malko la fixa longuement, comme si ses prunelles dorées pouvaient l’hypnotiser. — Viktoria, il ne s’agit pas de moucharder. Plutôt de vous protéger. On a tué Evguena pour l’empêcher de parler. Si on vous soupçonne de connaître certaines choses, vous pourriez subir le même sort. Or, il n’est pas impossible que je sois surveillé. C’est la raison pour laquelle je porte ce pistolet. Ceux qui ont liquidé Evguena sont impitoyables. Peut-être vous surveillent-ils. S’ils vous ont vue avec moi, ils pourraient. ..

— Mais c’est dégueulasse ! explosa la jeune femme. Moi, je n’ai rien fait. Et, si cette conne d’Evguena m’avait écoutée, elle serait toujours là.

Elle se tut brusquement, ayant conscience d’en avoir trop dit.

— Dobre, fit Malko. Je pense que pour vous protéger, le mieux est de me dire tout ce que vous savez.

Viktoria Posnyaki demeura silencieuse quelques secondes, alluma une seconde cigarette et hocha la tête.

— Evguena avait besoin de fric, expliqua-t-elle d’une voix mal assurée. Elle gagnait à peine 2 000 hrivnas dans sa boîte de merde. Qu’elle investissait en fringues pour draguer des hommes riches. Il y a quelques mois, elle a rencontré un Polonais, beau mec, qui paraissait plein de fric. Évidemment, elle m’en a parlé.

— Comment s’appelait-il ?

— Stephan. C’est tout ce que je sais. Elle ne me l’a pas présenté. Je l’ai vu juste une fois, au café, cinq minutes. Elle avait probablement peur que je le lui pique. Ça a marché un certain temps, Evguena roulait sur l’or, se payait des fringues superbes. Elle m’a même offert des bottes, à Metrograd. Elle était folle amoureuse. Et puis un jour, il y a une semaine peut-être, elle m’a appelée pour me demander un service.

— Quel genre ? — Son Polonais lui demandait de planquer un type pendant quelques jours, en attendant qu’il quitte le pays. Un pote à lui. Ça embêtait Evguena à cause de sa fille, Marina, qui vivait dans son appart. Elle m’a demandé si moi, je ne pouvais pas le faire, pour 2000 hrivnas. J’ai refusé. C’était un truc trop risqué. Pourtant, elle m’a juré que la Milicija ne mettrait pas son nez là-dedans, que c’était politique… Je n’ai pas voulu quand même.

— Elle vous a parlé de Iouchtchenko ?

— Non.

— Et ensuite ?

— Elle a planqué le mec chez elle, pendant quelques jours. Jusqu’à ce qui est arrivé. C’était Roman Marchouk.

— C’est tout ?

Viktoria Posnyaki tira sur sa cigarette.

— Tak. Le lendemain de sa mort, je suis allée chez elle. J’étais inquiète pour la petite Marina. Je suis tombée sur son mari venu chercher ses affaires. La Milicija l’avait prévenu la veille. En fouillant l’appart, il a trouvé 10000 hrivnas planqués sous le matelas d’Evguena, en billets de 50. Probablement ce qu’elle avait reçu pour planquer ce type.

— Vous savez quelque chose sur lui ?

— Non, j’ai vu son nom dans les journaux, c’est tout Maintenant, je comprends mieux.

— Vous avez bien fait de refuser, dit Malko, sinon, c’est vous qui seriez passée par la fenêtre. Ces gens-là ne veulent pas laisser de traces. Vous ne savez vraiment rien sur ce Stephan ?

— Pas grand-chose, avoua Viktoria. Evguena m’a dit qu’il habitait dans la datcha d’un copain friqué à Osogorki.

— Et physiquement ?

— Grand, blond, des yeux bleu pâle et, d’après Evguena, il a une grosse queue. Elle aimait les mecs bien montés, presque autant que le fric…

C’était difficile de retrouver quelqu’un avec de telles indications…

— Et le mari d’Evguena ? insista Malko.

— C’est un type sympa. Il s’appelle Iouri Bogdanov.

— Vous savez où il habite ?

— Non, mais il m’a laissé son portable quand je l’ai vu. Vous le voulez ?

— Oui.

Elle prit un petit carnet dans son sac, le feuilleta et annonça :

— Voilà. 8044 2023693. Mais il ne sait rien. Quand elle a rencontré Stephan, Evguena l’avait déjà quitté.

Elle se tut, termina sa cigarette et se tourna vers Malko.

— Je peux partir maintenant ? J’ai plus envie de rien faire. Merci quand même pour le dîner.

Elle était debout.

— Vous pourriez quitter Kiev pour quelques jours ? demanda Malko. Ce serait plus sûr.

— Oui, bien sûr. Je peux aller chez mes vieux, à Khar-kiv. Mais il me faudrait un peu d’argent.

Sans hésiter, Malko prit dans sa poche une liasse de billets de cent dollars, en détacha dix et les tendit à Vik-toria Posnyaki.

— Partez dès demain, conseilla-t-il. Donnez-moi votre numéro de portable. Je peux avoir besoin de vous joindre. Peut-être pour identifier ce Stephan, si je retrouve sa trace.

— Je ne l’ai vu qu’une fois, répéta-t-elle. Et pas longtemps.

Visiblement, elle n’avait qu’une idée : filer. Son manteau enfilé, elle le regarda bien en face et lâcha :

— J’espère bien ne jamais vous revoir et ne plus jamais entendre parler de cette histoire.

Son regard s’était éteint, ses traits étaient tirés, elle avait les épaules voûtées. Il ne restait plus rien de la créature sexy qu’il avait draguée le matin. La porte claqua. Malko regarda sa Breitling. En trois heures, il avait quand même avancé. Stephan, le mystérieux Polonais, faisait sûrement partie du complot contre Iouchtchenko. Cependant, il aurait du mal à le retrouver, avec le peu d’indices dont il disposait, en admettant qu’il se trouve encore à Kiev. Quant au mari d’Evguena, c’était une vérification purement formelle. Les organisateurs de l’attentat avaient bien verrouillé leur affaire.

* * *

Nikolaï Zabotine leva les yeux du dossier qu’il étudiait, fixant distraitement l’autre trottoir de Profitoflotskyi Prospekt où se trouvait un magasin de meubles faisant face à la modeste ambassade de Russie en Ukraine. Le Russe, en dépit de son entraînement de bon silovik luttait contre une rage aveugle. Après s’être donné tant de mal pour mettre au point une manip’ tordue et sophistiquée, il se trouvait désormais confronté à un choix douloureux. Soit liquider le grain de sable qui venait de surgir afin de retrouver sa tranquillité d’esprit, au risque de déclencher d’autres problèmes, soit ne rien faire, en priant pour que la chance soit de son côté. Solution qui lui déplaisait souverainement. Dans son métier, il ne fallait jamais laisser de place à l’impondérable.

De nouveau, il contempla la triste avenue où passait un vieux bus rougeâtre. Jusqu’en 1991, il n’y avait pas eu d’ambassade russe à Kiev, l’Ukraine faisant partie de l’Union soviétique. Aussi le Kremlin, pris de court, avait-il installé ses diplomates dans un modeste hôtel particulier au fond d’un quartier assez sinistre. Le personnel était réduit, les locaux exigus et NikolaïZabotine, depuis son arrivée discrète de Moscou par la route, devait se contenter d’un bureau minuscule au second étage de l’immeuble au toit vert qui abritait les services de l’ambassade.