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Puis, alors qu’il se détendait un peu, Nikolaï Zabotine avait été brutalement confronté à une nouvelle difficulté : l’arrivée à Kiev d’un chef de mission de la CIA connu comme le loup blanc et redoutable. Heureusement que le SBU contrôlait toujours la douane. La seule présence d’un agent adverse n’était pas suffisante pour le perturber. Mais, à la suite d’une coïncidence fâcheuse, cet agent de la CIA était entré en possession d’un élément éventuellement susceptible de perturber gravement la réalisation du plan B concernant Viktor Iouchtchenko. L’idée était, évidemment, de l’éliminer. Mais c’était une décision politique qui devait être approuvée par le Kremlin. Nikolaï Zabotine prit dans son tiroir un second portable, sécurisé, qui lui servait pour ses conversations avec Moscou. Il composa avec soin un numéro et lorsqu’on décrocha, annonça seulement son pseudo. Puis, d’une voix neutre, il fît son rapport, attendant ensuite la réaction de son interlocuteur. Celui-ci demanda :

— Est-ce que cela pose un problème d’exécution ?

— Non, fit Nikolaï Zabotine.

— Karacho. DavaV.

Il avait déjà raccroché. Ce n’était pas un bavard. Aussitôt, Nikolaï Zabotine reprit son premier portable et composa un numéro local. Lorsqu’il eut son interlocuteur en ligne, il demanda d’une voix chaleureuse :

— C’est Stephan ? As-tu acheté ton canapé finalement ?

— Pas encore, répondit l’homme à l’autre bout du fil.

— J’ai un peu de temps aujourd’hui, on pourrait y aller ensemble. Vers deux heures ? — Dobre. On se retrouve là-bas, conclut son correspondant.

Satisfait, Nikolaï Zabotine rangea ses papiers, les mit dans le coffre et sortit de son bureau, fermant soigneusement la porte à clef, brouillant ensuite le code digital de l’alarme. Il se méfiait du représentant du SVR à Kiev, un général qui passait le plus clair de son temps à la contrebande de caviar péché dans la Volga dans des conditions douteuses. Il n’avait d’ailleurs eu aucun contact avec lui.

* * *

De Viktoria Posnyaki, il ne restait qu’un léger parfum flottant dans la chambre. Dès son réveil, Malko appela Iouri Bogdanov, le mari d’Evguena, sans réussir à le joindre. Il n’y avait même pas de messagerie. Il n’y avait plus qu’à tenter de retrouver Stephan le Polonais, dont il ne connaissait, outre le prénom, qu’un vague signalement physique et la zone où il vivait. Autant dire rien.

Il descendit et arrêta une voiture pour se faire conduire à l’ambassade US. Le temps s’était éclairci, mais il faisait plus froid. L’incident avec Viktoria lui avait au moins servi à quelque chose : avant de partir, il avait fait monter une cartouche dans le canon du Maka-rov. La veille au soir, son oubli lui avait certes sauvé la vie, mais à l’avenir, il préférait être prêt à riposter instantanément…

Arrivé à l’ambassade, il se heurta au sourire de la secrétaire du chef de station.

— Désolée, dit-elle, M. Redstone a dû aller à Borystil accueillir un VIP. Il ne sera là que cet après-midi.

— Irina Murray est-elle là ? — Non plus.

La journée commençait mal. Il n’avait plus qu’à retourner au Premier Palace et à rappeler le mari d’Evguena.

* * *

Nikolaï Zabotine s’attarda quelques instants devant le marchand de meubles, vérifiant dans le reflet de la vitrine qu’il n’était pas suivi, puis continua à pied jusqu’au coin de la rue Kourska. Comme toujours, quelques marchandes alignées sur le trottoir, au début de la rue, proposaient du poisson, des fleurs et des gâteaux ukrainiens à la graine de pavot. Le Russe s’arrêta pour en acheter quelques-uns avant de continuer son chemin.

Cent mètres plus loin, dans la rue Kourska, il s’engagea dans une allée entre deux immeubles, menant à un parking à moitié désert, dont la plus grande partie était invisible de la rue.

Il repéra tout de suite une Skoda verte dont le tuyau d’échappement fumait. Un seul homme se trouvait à l’intérieur, au volant, engoncé dans une veste de cuir noir, un bonnet noir sur la tête. Il tourna la tête vers Nikolaï Zabotine qui venait d’ouvrir la portière et lui adressa un sourire froid. Ses yeux bleu très pâle n’avaient aucune expression.

— Dobredin Volodymyr, dit-il. Tu as besoin de moi ? Le Russe monta à côté de lui et dit simplement :

— Da, Stephan.

CHAPITRE VI

— Voilà, conclut Malko, Iouri Bogdanov ne répond toujours pas. J’appelle toutes les heures et j’ai fini par laisser un message.

Donald Redstone, de retour à son bureau après le déjeuner, avait écouté le rapport de Malko en prenant fiévreusement des notes. Il posa son stylo et lança :

— C’est ce Polonais qu’il faut absolument retrouver. C’est la cheville ouvrière de l’opération, et probablement lui qui a confié le poison à Roman Marchouk…

— Vos amis du SBU ne peuvent rien faire ?

— Je marche sur des œufs, assura l’Américain. On ne sait jamais ce qu’ils pensent réellement. J’ai confiance en Igor Smeshko mais il ne connaît pas les détails opérationnels : il serait obligé de demander à ses subordonnées qui, eux, ne sont pas sûrs. Il faut retrouver ce Polonais par nos propres moyens.

Autrement dit, avec une boule de cristal… Malko eut soudain une idée : Evguena devait posséder son numéro. Qu’étaient devenues ses affaires ? Pendant qu’il réfléchissait, son portable sonna et une voix d’homme grave demanda :

— C’est vous qui m’avez appelé ? Le pouls de Malko fit un bond.

— Da. Vous êtes Iouri Bogdanov ?

— Tak.

— L’ex-mari d’Evguena ?

— Nous étions toujours mariés, corrigea Iouri Bogdanov d’une voix neutre. Qui êtes-vous ? C’est Viktoria qui vous a donné mon numéro ?

— Oui. J’aurais besoin de vous parler. Je suis à la recherche de ceux qui ont assassiné votre femme.

Il y eut un long silence, puis Iouri Bogdanov répéta :

— Assassiné… pourquoi dites-vous cela ? Celui qui l’a tuée, c’est ce type, Roman Marchouk. La Milicija me l’a confirmé.

Visiblement, il était sur ses gardes. Malko avança sur la pointe des pieds.

— Il faudrait que je vous voie, répéta-t-il, mais je ne veux pas parler au téléphone. Il s’agit d’une affaire très délicate. Et c’est urgent.

Long, long silence. Iouri Bogdanov laissa enfin tomber :

— Venez à cinq heures au McDonald’s à côté du métro Kharkivskaya. C’est dans le quartier de Khar-kivski Masiv, sur la rive est du Dniepr. Assez loin du centre.

— Comment vais-je vous reconnaître ?

— Je serai avec Marina, ma petite fille. Elle est blonde, frisée. Dosvidania.

Malko, à peine eut-il raccroché, se précipita sur la carte de Kiev épinglee au mur. Le lieu du rendez-vous se trouvait à plusieurs kilomètres du centre, près de Mykoly-Bazhana Prospekt. Un coin perdu.

— C’est un quartier plutôt ouvrier, confirma Donald Redstone. J’espère que ce type va pouvoir vous aider, mais je n’y crois pas trop.

Malko prit congé et partit à pied, traversant le parc en face de l’ambassade US. L’hiver, c’était plutôt sinistre… Une petite idée commençait à faire son chemin dans sa tête : seul, il ne s’en tirerait pas. Donald Redstone, à part la très sexy Irina Murray, n’avait pas grand-chose à lui offrir. Les gens de Viktor Iouchtchenko n’avaient pas réussi à empêcher l’empoisonnement de leur leader et le SBU était pourri. Sans parler de ce qu’il ignorait : l’implantation des services russes à Kiev. Le FSB avait sûrement une structure clandestine, en contact avec leurs anciens collègues du SBU.