Il lui fallait donc trouver un véritable allié et il n’en voyait qu’un : Vladimir Sevchenko, dit le Blafard, ex-agent du KGB, oligarque établi à Chypre où il était devenu vice-président de la chambre de commerce chyprio-russe.
À condition qu’il veuille bien lui donner un coup de main. Leur dernier contact remontait à 2002 et Vlaclimir Sevchenko qui, jadis, tuait comme il respirait, s’était fâcheusement embourgeoisé…
Il leva la main et une vieille Jigouli conduite par un vieux avec une casquette de cuir qui semblait tout droit sorti d’un film de l’époque du réalisme soviétique s’arrêta. Pour 15 hrivnas, Malko obtint de se faire conduire à l’hôtel.
— Malko ! Tu es dans ma ville ! Je sens déjà l’odeur ! Quand viens-tu à Chypre ? On fera une fête sublime. Je viens de recevoir de l’osciètre doré qui est une merveille et la nièce de Tatiana est arrivée de la Volga avec. C’est une ravissante petite de seize ans qui suce déjà comme une grande… En plus, il fait beau. À Kiev, le temps, ce doit être merderie absolue…
On ne pouvait plus arrêter Vladimir Sevchenko. Bien que leurs rapports n’aient pas toujours été au beau fixe, lui et Malko s’entendaient bien et Sevchenko avait prouvé que, convenablement motivé, il pouvait être un allié solide et efficace. En 1996, c’est lui qui avait sauvé la vie de Malko, justement en Ukraine. Ce dernier profita d’un break dans le torrent de paroles pour lancer :
— Volodia ! J’ai besoin de toi…
Brusque silence, puis l’Ukrainien dit avec tristesse :
— Et moi qui pensais que tu m’appelais juste pour prendre de mes nouvelles… O.K. Davai !
— Il faudrait que tu viennes à Kiev, dit Malko. Et ce n’est pas seulement à moi que tu rendras service, si tu vois ce que je veux dire.
L’Ukrainien voyait très bien. Il poussa un soupir, ressemblant au barrissement d’un éléphant blessé à mort, et laissa tomber :
— Niet. Impossible. Si je viens, ils m’arrêtent immédiatement. Ce salaud de Koutchma m’en veut beaucoup. Je lui ai piqué un gros marché d’armes pour des amis. Il a mis un zakasnoié sur moi. Ici, je ne crains rien, mais à Kiev… Les berkut lui mangent dans la main.
— Dommage, dit Malko, je suis justement avec ceux qui espèrent bien virer Koutchma et sa bande.
— Viktor Iouchtchenko ?
— Da.
— Que Dieu le bénisse ! Mais il est mal entouré. Des gens qui ne rêvent que de voler le pays à leur tour. Il aura du mal. Je voudrais bien t’aider.
Malko le sentait sincère. Il y eut un long silence au bout du fil, puis Vladimir Sevchenko se décida d’un coup.
— Écoute, je vais faire quelque chose pour toi. Tu te souviens de Tatiana ?
— On peut difficilement l’oublier. Pourquoi ?
Tatiana était une blonde à la poitrine aiguë, aux yeux de biche, dure comme du tungstène, que Vladimir Sevchenko qualifiait de meilleure fellatrice à l’ouest de l’Oural, ce qui, dans sa bouche, était un sérieux compliment… Elle travaillait avec le mafieux ukrainien depuis plusieurs années, un peu comme un factotum aux attributions extrêmement vagues, en raison de ses talents variés. Elle se servait aussi bien d’un pistolet que de sa bouche, et connaissait mieux les chiffres qu’un expert-comptable…
— Je vais te l’envoyer ! lâcha Vladimir Sevchenko. Elle n’est pas tricarde et connaît tous les gens qui pourraient t’être utiles. Et maintenant que sa nièce est là, je peux m’en passer quelques jours. À quel hôtel es-tu ?
— Premier Palace.
— Karacho. Elle sera là après-demain. Je vais donner quelques coups de téléphone pour prévenir.
— Tu es un frère, dit Malko, touché malgré tout.
C’est chez les voyous qu’on trouvait parfois les amis les plus sûrs. En plus, maintenant qu’il avait fait fortune, Vladimir Sevchenko se sentait des devoirs de dame patronnesse. Ils ne put s’empêcher de souligner :
— Ils faudra quand même que tu fasses un petit cadeau à Tatiana. Pour moi…
— Je n’y manquerai pas, promit Malko.
Lorsqu’il coupa la communication, il se sentait moins seul. Vladimir Sevchenko, même à distance, pouvait être un sacré allié.
Stephan Oswacim débarqua devant le Premier Palace d’un luxueux taxi — une Mercedes 600 — qu’il avait pris à l’aéroport de Borystil, à l’heure d’arrivée d’un vol de Moscou. Bien sûr, cela coûtait près de 400 hrivnas mais ce n’était pas lui qui payait. Ils avait pris la précaution de se faire déposer à l’aéroport par Nikolaï Zabotine qui était aussitôt reparti dans une voiture munie d’une fausse plaque, une modeste Lada qui en avait six, interchangeables, avec les papiers correspondant aux différents numéros.
— J’ai une réservation, annonça-t-il à la réception. Gregor Makaline. Elle a été faite de Moscou, ce matin.
— Parfaitement, monsieur Makaline, approuva l’employée, émue par le charme du Polonais. Vous avez une préférence pour la chambre ?
— J’ai déjà séjourné au quatrième, sur la cour intérieure, c’est calme.
— Pas de problème. Votre passeport, s’il vous plaît ?
Stephan Oswacim le tendit sans un battement de cœur.
Fabriqué par la Division technique du SVR, il était à toute épreuve. Seule une puce infime signalait à l’immigration russe que c’était un « vrai-faux », émis par un service officiel. Cinq minutes plus tard, il suivait le groom dans l’ascenseur. Il n’avait pas ôté ses gants très fins, ce qui évitait de laisser des empreintes. Il donna généreusement 30 hrivnas et posa sa valise sur le lit. Celle-ci ne contenait que des affaires usagées, achetées dans une brocante, qui ne pouvaient mener nulle part. La valise elle-même avait été achetée dans le centre commercial Globus, sous la place de l’Indépendance, et payée en liquide. Il ouvrit le mini-bar, trouva un flacon de Defender « Success » et s’en versa un peu. Comme tous les gens de l’Est, il préférait le whisky à la vodka. Question de snobisme.
C’était plus chic.
Il s’allongea ensuite sur le lit et alluma la télévision. Il n’avait plus rien à faire jusqu’au soir et moins on le verrait dans l’hôtel, mieux cela vaudrait.
Malko se fit déposer en face de la station de métro Kharkivskaya. Il continuait à utiliser les taxis privés, beaucoup plus pratiques et discrets qu’une voiture de location. Même si le chef de station lui avait proposé un des véhicules banalisés de la station. On pouvait toujours remonter à la source grâce aux numéros.
Le Makarov 9 mm pesait dans son dos, mais il ne voulait pas s’en séparer. Les organisateurs du complot contre Viktor Iouchtchenko étaient des tueurs. S’ils étaient capables de jeter par la fenêtre une jeune femme innocente, ils n’hésiteraient pas à se débarrasser d’un agent de la CIA. Il regarda autour de lui et aperçut l’enseigne du McDo, de l’autre côté de Mykoly-Bazhana Prospekt. Il traversa l’avenue par le passage souterrain abritant des dizaines de petites boutiques et déboucha pratiquement en face du McDo. Bien qu’il fasse froid et humide, la zone grouillait d’animation, à cause de la station de métro et d’une petite gare routière. Des babouchkas installées sur le trottoir offraient des produits variés, emmitouflées comme des esquimaudes.