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À peine eut-il poussé la porte du McDo qu’il fut assailli par un brouhaha incroyable. Bien qu’il ne soit que 17 Il 30, le restaurant était plein, avec une foule d’enfants qui piaillaient comme des fous. Malko inspecta les différentes salles sans apercevoir quelqu’un qui puisse être Iouri Bog-danov. Il finit par s’installer à une table, au milieu d’une nuée de gosses. Dix minutes plus tard, un homme de haute taille coiffé d’un calot multicolore, engoncé dans une parka et tenant par la main une petite fille aux cheveux frisés blonds, poussa la porte. Il s’arrêta, inspectant la salle et Malko lui adressa aussitôt un signe discret.

Le nouveau venu se dirigea vers lui.

— C’est vous qui m’avez téléphoné ? demanda-t-il en russe.

— Da. Je m’appelle Malko Linge.

— O.K. Je vais acheter une glace à la petite et je reviens.

Il enleva sa parka, découvrant un gros pull verdâtre, et s’éloigna vers le comptoir. Il revint avec un café, un Coca et une glace, qu’il donna à sa fille. Ses yeux gris se posèrent sur Malko, interrogateurs.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis autrichien, observateur de l’OSCE, expliqua Malko. Je fais partie d’une commission d’enquête qui cherche à établir la vérité sur l’empoisonnement de Viktor Iouchtchenko.

Iouri Bogdanov fronça les sourcils.

— Quel est le lien avec la mort d’Evguena ?

— L’homme qui se trouvait chez elle, Roman Marchouk, est très vraisemblablement celui qui a versé le poison dans l’assiette de Viktor Iouchtchenko, au cours du dîner dans la datcha de Vladimir Satsyuk.

Ils raconta en détails toute l’histoire à Iouri Bogdanov, qui l’écoutait, bouche bée.

— La Milicija ne m’a pas parlé de tout ça, conclut celui-ci. Pour eux, Evguena a été tuée par ce type dans une crise de démence et il s’est suicidé ensuite.

— À ceci près qu’un témoin digne de foi a vu Roman Marchouk se jeter ou être jeté par la fenêtre avant votre femme.

— Par qui ?

— Trois hommes non identifiés utilisant une voiture avec de fausses plaques sont entrés dans l’immeuble peu avant et ressortis peu après. Ce sont eux les coupables.

— Pourquoi ?

— Pour le faire taire. Et ils ont supprimé votre femme parce qu’elle avait été témoin du meurtre. Ces gens-là ne prennent aucun risque.

— Quels gens ?

Malko eut un geste évasif.

— Des tueurs professionnels, envoyés par des membres des services russes ou ukrainiens. Ou par les partisans de Ianoukovitch…

Iouri Bogdanov semblait accablé. Il but distraitement un peu de café et aida sa fille à déguster sa glace. Sage comme une image, elle regardait gravement Malko. Celui-ci repéra la petite écharpe orange enroulée autour de son cou. Il avait en face de lui un partisan de Iouchtchenko. Iouri Bogdanov s’ébroua.

— Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? Je suis journaliste, mais j’ai été obligé d’arrêter parce que j’avais dénoncé des affaires de corruption. Je suis au chômage et je ne voudrais pas qu’on touche à ma fille. J’aimais bien Evguena, même si elle était un peu folle.

— Que voulez-vous dire ?

Le journaliste eut un sourire triste.

— Oh, elle trouvait que je ne gagnais pas assez d’argent. Elle voulait vivre dans le centre, s’habiller avec des vêtements étrangers. Alors, elle a commencé à chercher des hommes riches. Nous nous sommes séparés. Et voilà.

— Connaissez-vous ce Polonais, Stephan ?

— Non. Nous ne nous parlions pratiquement plus, sauf pour Marina.

— Lorsque vous êtes allé chercher votre fille, vous n’avez rien pris dans l’appartement ?

Iouri Bogdanov réfléchit quelques instants.

— J’ai trouvé de l’argent sous son matelas. J’ai pris aussi quelques photos, des papiers.

— Vous n’avez pas trouvé son sac ?

— Ah si ! C’est la Milicija qui me l’a remis. Pourquoi ?

— Je cherche ce Polonais, Stephan. Il est responsable de la mort de votre femme. Or, je n’ai aucun élément pour le retrouver. Alors, je me dis que votre femme avait probablement son numéro de téléphone ou son adresse. Avez-vous examiné ses affaires ?

— Non. Je n’ai même pas ouvert son sac. Je regarderai, promit Iouri Bogdanov, et je vous appellerai si je trouve quelque chose.

Malko allait acquiescer lorsque deux hommes poussèrent la porte du McDo et s’arrêtèrent à l’entrée de la salle. Pas vraiment le genre de la maison. Des têtes de brutes, des bonnets noirs enfoncés jusqu’aux yeux, des carrures de lutteurs. Les mains dans les poches de leur blouson, ils parcoururent la salle des yeux. Le regard de l’un des deux s’arrêta très fugitivement sur Malko. Celui-ci n’y aurait pas prêté attention si brutalement une image ne lui avait pas sauté aux yeux : les deux hommes qui se trouvaient près de l’entrée du restaurant Pervak et qu’il avait pris pour des voituriers. C’étaient les mêmes : sa mémoire infaillible ne pouvait pas le tromper. Il sentit un picotement désagréable le long de sa colonne vertébrale.

C’était lui que les deux hommes cherchaient !

Il fut content de sentir la masse du Makarov contre ses reins. Déjà, les deux hommes étaient ressortis. Tournant le dos à l’entrée, Iouri Bogdanov ne les avait pas vus. Cela valait mieux, il risquait de prendre peur. Pourtant, cette apparition modifiait les choses. C’est avec son sourire le plus rassurant que Malko lui demanda :

— Vous habitez loin d’ici ?

— Non, dans Dekabruistiv. C’est tout près.

— Je pourrais venir avec vous et voir le sac ? Je voudrais ne pas perdre trop de temps.

Iouri Bogdanov jeta un coup d’oeil à la petite fille qui avait fini sa glace.

— Karacho. De toute façon, je rentrais. Je suis allé chercher Marina à l’école.

Il remit son manteau à sa fille et ils sortirent tous les trois du McDo. La rue Dekabruistiv prenait un peu plus loin. Discrètement, Malko fit passer son pistolet devant, de façon à pouvoir le saisir facilement. Désormais, il était sûr d’être surveillé. Peut-être même depuis son arrivée. Tandis qu’ils marchaient, lentement à cause de la petite fille, il se retourna et son pouls fit un bond.

Deux silhouettes massives étaient apparues au début de la rue : les deux hommes entrés dans le McDo. Au moment d’entrer dans l’immeuble, Malko les aperçut qui hâtaient le pas. Bien entendu, il ne dit rien. L’immeuble où demeurait Iouri Bogdanov ressemblait à tous ceux de la rue. Un clapier grisâtre de l’époque soviétique, sans ascenseur, d’une saleté repoussante, les murs couverts de graffitis. Ils entrèrent, au premier étage, dans un petit appartement qui sentait le chou.

Après avoir installé Marina sur un canapé, Iouri Bogdanov disparut dans une chambre et revint avec un sac en tissu qu’il commença à vider sur la table. Des papiers, un porte-monnaie, des clefs, un mouchoir et, enfin, un petit carnet qu’il commença à feuilleter. C’était un répertoire avec des noms, des adresses, des numéros de téléphone. Malko attendait, le cœur battant. Iouri Bogdanov s’arrêta soudain à la lettre S et leva les yeux.

— Ce doit être ça, fit-il. Stephan. 8044 616 002. Il n’y a pas d’autre nom, et c’est un des derniers inscrits.

Malko notait déjà le numéro. L’Ukrainien lui tendit le carnet qu’il regarda à son tour, sans rien découvrir d’intéressant.

— Je peux vous l’emprunter ? demanda-t-il. Juste pour le photocopier.