Iouri Bogdanov hésita un peu, puis acquiesça avec un soupir résigné.
— Tak. Si vous pouvez retrouver les ordures qui ont jeté Evguena par la fenêtre…
Il avait les larmes aux yeux.
Malko empocha le carnet. Au moins, il avait un début de piste.
— Je vous tiens au courant, promit-il.
Ils se quittèrent et il quitta l’appartement, mais s’arrêta net en sortant de l’immeuble : les deux balèzes attendaient à quelques pas, les mains dans les poches de leur blouson, l’air mauvais. En voyant Malko, ils se dirigèrent vers lui, sans se presser, sûrs de leur force.
Comme il essayait de les éviter, ils se séparèrent, lui barrant la route. D’un geste naturel, l’un des deux se pencha et prit un poignard glissé dans sa botte. De l’autre main, il fit signe à Malko d’approcher. Celui-ci se retourna. La porte de l’immeuble s’était refermée et il ne connaissait pas le code.
À eux deux, ses agresseurs devaient peser trois cents kilos. Celui qui était le plus proche de lui lança d’une voix cassée :
— Viens ici, moudak …
CHAPITRE VII
La lame du poignard était à un mètre de Malko. Celui-ci sourit et dit en russe :
— Vous voulez de l’argent ?
D’un geste naturel, il ouvrit son manteau, plongea la main dans sa ceinture et en arracha le gros Makarov, qu’il braqua sur les deux hommes. Le temps parut suspendu pendant quelques fractions de seconde, puis Malko vit les pupilles de l’homme au poignard se rétrécir. Il pouvait deviner son cerveau en train de calculer s’il aurait le temps de poignarder Malko avant de recevoir une balle. Il dut conclure par la négative car, jetant un mot à son copain, il recula, puis les deux hommes s’éloignèrent en courant. Cinquante mètres plus loin, Malko les vit arrêter une voiture sur la chaussée et s’engouffrer à l’intérieur.
Son pouls redescendit lentement. La voiture à bord de laquelle étaient montés ses agresseurs s’éloigna et il se dit que, dans cette rue déserte, au bout du monde, elle n’était pas là par hasard… Lui-même dut marcher jusqu’à Mykoly-Bazhana Prospekt avant d’en trouver une.
— Kotsubinskogo Ulitza, dit-il. 20 hrivnas.
— Karacho, marmonna le chauffeur.
Donald Redstone allait être satisfait. Avec un numéro de portable, il pourrait en savoir plus sur le mystérieux Stephan.
Donald Redstone jubilait. Le carnet d’Evguena Bog-danov était déjà en train d’être photocopié. Le chef de station leva la tête.
— Je vais demander à Tchervanienko de trouver le propriétaire de ce portable. Il a les connexions qu’il faut. Si on remonte à ce type, on aura fait un pas de géant. En tout cas, faites très attention : ils ne vous lâchent pas.
— Je vais prévenir Iouri Bogdanov, dit Malko. Ces hommes risquent de s’intéresser à lui.
— Dommage que vous n’ayez pas pu les coincer, soupira l’Américain.
— Ils ne se seraient pas laissé faire, affirma Malko. Il aurait fallu que je les tue.
Après toutes ces années d’aventures, il éprouvait toujours la même répugnance à tuer de sang-froid. Même s’il s’agissait de brutes dépourvues de toute sensibilité, comme ceux qui avaient défenestré Evguena et Roman Marchouk.
On frappa à la porte du bureau et Donald Redstone cria d’entrer. C’était Irina Murray, toujours dans son manteau de cuir noir. Malko ne l’avait pas revue depuis la Maison du Café. Il lui raconta rapidement ce qui s’était passé après son départ et la soirée avec Viktoria. Puis la rencontre avec Iouri Bogdanov.
— C’est formidable ! conclut-elle. Je suis vraiment contente de vous avoir aidé de cette façon.
— Pour vous récompenser, proposa Malko, je vous invite à dîner ce soir, si vous êtes libre…
— Je suis libre, confîrma-t-elle, sous le regard amusé de Donald Redstone. Je passerai vous prendre à votre hôtel, vers neuf heures.
Elle s’éclipsa avec un sourire, découvrant de magnifiques dents d’un blanc éblouissant.
— Je vais voir Evgueni Tchervanienko, proposa Malko. Pour lui communiquer le numéro de ce Stephan.
En même temps, cela lui donnerait peut-être une occasion d’apercevoir Svetlana, l’inconnue de l’aéroport, bénévole de l’équipe de campagne du candidat Iouchtchenko.
Iouri Bogdanov ouvrit sans méfiance au coup de sonnette, pensant à un voisin. Il n’eut pas le temps de réagir. Deux hommes, larges comme des armoires, des bonnets noirs enfoncés jusqu’aux yeux, lui faisaient face. Ils avaient sûrement crocheté ou cassé le code de la porte d’entrée de l’immeuble. L’un d’eux, qui pesait bien vingt kilos de plus que lui, le repoussa brutalement dans l’appartement, pointant aussitôt la lame d’un couteau contre son ventre.
— Ne pizdi, ebany, sinon, je te plante.
Effrayée, la petite fille installée sur le divan cessa de jouer et demanda :
— Papa, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’ils veulent, les messieurs ?
— Ce n’est rien, affirma l’Ukrainien, va jouer.
Docile, elle sortit de la pièce. Soulagé, il lança aux deux intrus :
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Pourquoi il est venu te voir, l’autre enfoiré du McDo ? grommela l’homme qui le menaçait.
— C’est un ami d’Evguena, ma femme, répondit Bogdanov. Il voulait de ses nouvelles.
— Menteur !
Le coup de genou le prit par surprise, lui écrasant le bas-ventre. La douleur fut telle qu’il se plia en deux,s’égratignant à la pointe du poignard qui le menaçait. Le souffle coupé, au bord de la nausée, il essaya de garder son sang-froid. Le second type sortit de sa poche une sorte de bâton noir, et en appuya l’extrémité contre son oreille.
— Tu vas nous dire la vérité, enfoiré !
Iouri Bogdanov eut soudain l’impression que sa tête explosait. Un éclair aveuglant, une douleur intense comme si on lui faisait bouillir le cerveau. Il réalisa en un clin d’oeil : c’était un aiguillon électrique, dont on se servait pour guider le bétail. Sa bouche était sèche comme de l’étoupe. L’autre hurla :
— Tu vas répondre, sinon on fout le jus à la petite…
Terrifié, Iouri Bogdanov balbutia :
— Je n’ai rien à cacher. Cet homme enquête sur la mort de ma femme. C’est la première fois que je le voyais.
— Qu’est-ce que tu lui as dit ?
— Rien, je ne sais rien.
De toutes ses forces, il essayait de ne pas penser au sac d’Evguena resté ouvert sur la table. Mais son agresseur l’avait aperçu. Il le brandit devant lui.
— Tu lui as donné des papiers ?
— Non.
À ce moment, le portable de Iouri Bogdanov, posé sur la table, se mit à sonner. D’un geste réflexe, il le saisit et répondit. C’était l’homme qu’il venait de rencontrer au McDo. Il n’eut pas le temps de prononcer un mot, son agresseur lui arracha l’appareil des mains. Il écouta quelques secondes, puis coupa la communication.
— Qui c’était ?
— Je ne sais pas, jura Bogdanov, je n’ai pas eu le temps de demander !
— Menteur !
De nouveau, un coup de genou. L’autre homme sortit de la pièce et en revint, tirant la fillette terrifiée par la main. Il montra l’aiguillon électrique.
— Tu crois qu’elle va aimer… ?
Malko fixa quelques secondes son portable, intrigué et inquiet. En route pour aller voir Evgueni Tchervanienko, il s’était dit qu’il était préférable d’alerter louri Bogdanov, après l’attaque dont il avait fait l’objet en sortant de chez lui, pour lui dire de se méfier. Il avait entendu Bogdanov répondre, des bruits bizarres, puis la communication avait été coupée. Son pouls grimpa brusquement. Et si les deux hommes aux bonnets noirs étaient revenus ? Se penchant vers le conducteur, il lui lança :