Il se leva, enfila ses gants et ouvrit la porte. Le couloir était désert. Les choses se présentaient bien. Il partit d’un pas calme vers l’ascenseur. Dans moins de trois minutes, sa mission serait terminée et il aurait gagné pas mal d’argent, tout en se faisant un ami puissant.
CHAPITRE VIII
Malko était à mi-chemin de l’escalier menant au lobby lorsqu’il se dit brusquement que c’était idiot de laisser filer Irina Murray de cette façon, après avoir eu envie d’elle toute la soirée ! Surtout pour la laisser partir chez sa grand-mère. Pris d’une pulsion irrésistible, il redescendit le grand escalier et ressortit. Irina était en train de marchander avec le conducteur d’une voiture qu’elle venait d’arrêter. La discussion tourna court et le véhicule repartit sans elle : ils n’avaient pas pu se mettre d’accord sur le prix.
Malko y vit un signe du destin.
— Irina, appela-t-il en se dirigeant vers elle.
La jeune femme se retourna au moment où il la rejoignait.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle, un peu surprise.
— Je n’ai pas envie d’aller en boîte, expliqua Malko, mais nous pouvons rester encore un peu ensemble. Votre grand-mère n’en mourra pas.
Irina Murray sourit.
— Non, avoua-t-elle. Mais…
— Venez, on ne va pas discuter dehors.
Ils se retrouvèrent dans le minuscule lobby. Malko hésitait à emmener Irina directement dans sa chambre. C’était peut-être un peu abrupt…
— Allons prendre un verre au bar, suggéra-t-il.
Irina fit la moue.
— C’est sinistre !
— Ou au restaurant du huitième ?
— Cela ne vaut pas mieux. Il n’y aura pas un chat. Malko sentait bien que la jeune femme n’avait pas vraiment envie de partir. C’est elle qui les tira de ce mauvais pas en suggérant :
— Il y a un café branché, sympa, en face, dit-elle, le Nika. On peut aller y boire un verre.
— Va pour le Nika, approuva Malko.
Ils durent redescendre Tarass-Sevchenko jusqu’à la place Bessarabiaska, pour gagner le trottoir d’en face et revenir sur leurs pas. Le Nika ressemblait à une bibliothèque, avec des rayonnages de livres aux murs, des tableaux, des petites tables. Une ambiance de club intellectuel. On pouvait même acheter des livres ! Irina et Malko s’installèrent au premier, dans deux profonds fauteuils, dans un recoin calme.
Dès qu’elle eut retiré son manteau, Malko fut à nouveau frappé par l’extraordinaire magnétisme sexuel de la jeune femme. Chaque fois qu’elle croisait ses longues jambes, il ne pouvait s’empêcher de lorgner vers l’ombre au creux de son ventre. Irina s’en rendait parfaitement compte mais ne semblait pas s’en offusquer. Ils commandèrent : Defender pour elle, vodka Stolychnaya Standart pour lui; bavardèrent de choses et d’autres, de l’Ukraine, de la politique, de la vie, jusqu’à ce que Malko remarque :
— Votre relation avec votre peintre est quand même étrange…
— C’est vrai. Mais je peux rester longtemps sans faire l’amour. Au bout d’un moment, je n’y pense plus.
Il se revit effleurant ses seins, trois jours plus tôt, et dit en souriant :
— Moi, dès que je suis avec vous, j’y pense beaucoup. Vous êtes extrêmement attirante.
Irma eut un petit rire gêné.
— Regardez autour de nous ! C’est plein de filles jeunes et superbes. Il n’y a que l’embarras du choix pour un homme comme vous.
D’un geste spontané, Malko se pencha et posa une main sur le genou gainé de nylon noir.
— C’est de vous que j’ai envie, dit-il. Dès que je vous ai vue à l’aéroport.
Leurs regards se croisèrent et demeurèrent rivés l’un à l’autre. Les doigts de Malko remontèrent un peu, emprisonnant la cuisse d’Irma, dans un geste à la fois possessif et intime.
Elle n’écarta pas sa main et il sentit une vague euphorique l’envahir. Le silence d’Irina valait consentement. Il ne fallait pas rompre le charme. Sans un mot de plus, il déposa quelques hrivnas sur l’addition puis aida la jeune femme à enfiler son manteau. Sans qu’un mot fût échangé, ils redescendirent vers la place Bessarabiaska puis remontèrent vers le Premier Palace.
Le cœur de Malko battait comme celui d’un collégien. À chaque seconde, il craignait que le charme se rompe. Un des deux ascenseurs était là. Au moment d’y entrer, il aperçut un homme derrière eux et le maudit silencieusement. Sa présence allait retarder son idylle de quelques minutes.
Stephan Oswacim avait attendu près de dix minutes près de l’ascenseur, ne comprenant pas pourquoi sa cible n’arrivait pas. D’abord indifférent, puis perturbé. Que s’était-il passé ? L’homme chargé de le prévenir du retour de celui qu’il devait abattre était parti. Désormais, il ne pouvait plus compter que sur lui-même. Au bout de quelques minutes, il était retourné dans sa chambre, ne sachant que faire. Il était comme un ordinateur programme pour un logiciel précis, et ce «cas non conforme » n’était pas prévu. Revenu dans sa chambre, il réalisa d’abord qu’il n’avait plus de cigarettes, puis s’allongea sur son lit, le cerveau en ébullition.
Plusieurs solutions s’offraient à lui. Soit il repartait comme prévu, mais sans avoir rempli son contrat, soit il essayait de le remplir, en improvisant. Il n’ignorait pas que son employeur n’apprécierait pas sa désertion. Or, il était entièrement entre ses mains. Un seul mot de lui et la Milicija venait le cueillir, pour l’extrader vers la Pologne. Un avenir pas vraiment riant.
Au bout d’une demi-heure de réflexion, il décida de prendre un risque calculé et appela la chambre 408. Le cœur battant, il laissa sonner cinq fois : sa cible avait donc changé d’avis et n’était pas rentrée. Il pouvait se trouver soit au restaurant du huitième, soit au bar du premier. Ou encore être ressorti. Cette dernière hypothèse lui laissait une occasion de l’intercepter, mais cette fois sans aide extérieure.
Stephan Oswacim se releva et, sans mettre son manteau, gagna le couloir et l’ascenseur.
Le bar-restaurant du huitième était vide. En reprenant l’ascenseur, il aperçut la pub pour le fitness club. À cette heure tardive, il y avait peu de chance que sa future victime ait été y faire un tour… Il restait donc le bar du premier. Il n’y trouva que deux Russes en train d’engloutir des bières à la chaîne. Pour éviter d’attendre l’ascenseur, il redescendit à pied jusqu’à l’étage de la réception, se glissant ensuite dans le petit couloir desservant les ascenseurs. Il n’eut pas le temps de faire demi-tour : un couple arrivait. Il ne connaissait pas la femme, mais l’homme était celui qu’il devait abattre.
Malko s’effaça pour laisser passer Irina Murray. Un homme pénétra sur leurs talons dans l’ascenseur. Sûrement un client de l’hôtel, car il ne portait pas de manteau. Malko, furieux d’être dérangé, lui accorda un bref regard : blond, la quarantaine, visage lisse aux yeux d’un bleu très pâle. Un homme du Nord, Pologne, Baltique ou Sibérie. L’inconnu regardait dans le vide, les bras croisés devant lui.