Par prudence, il récupéra le Makarov dans son dos et le glissa devant, sous sa ceinture Hermès. Beaucoup plus accessible.
Stephan Oswacim attendait, tapi dans l’entrée d’un des ascenseurs de service, séparé du couloir par une porte à deux battants percés chacun d’un hublot. Ce qui lui permettait de surveiller le couloir sans être vu.
Depuis qu’il était redescendu du cinquième, il s’était planqué là, bien décidé à rattraper son échec du début de soirée. Il était possible que l’homme qu’il était chargé d’abattre ne ressorte pas avant le lendemain matin. Mais il pouvait aussi raccompagner la blonde en manteau de cuir, si elle ne passait pas la nuit là. Il avait décidé de patienter au moins deux heures.
Après onze heures du soir, le Premier Palace tombait en hibernation et il ne risquait pas d’être dérangé, les clients étant déjà tous couchés.
Il ignorait combien de temps s’était écoulé quand il entendit des voix dans le couloir et se précipita pour se coller à un des hublots. En un éclair, il aperçut deux silhouettes passer devant sa cachette. Sa cible et la blonde au manteau de cuir, qui se dirigeaient vers l’ascenseur ! Il eut le temps de remarquer que l’homme n’avait pas de manteau. Donc, il allait revenir très vite. Pour regagner sa chambre, il était obligé de repasser devant lui.
L’estomac noué, son pistolet équipé du silencieux au bout du bras, Stephan Oswacim se concentra, guettant les bruits. La moquette étouffant les pas, il n’aurait pas beaucoup de temps pour réagir.
Effectivement, il faillit se faire surprendre, n’apercevant que de dos l’homme qui regagnait sa chambre. Il attendit quelques secondes et, poussant avec précaution un des battants de la porte, déboucha dans le couloir. Le cœur battant, il aperçut le dos de l’occupant de la chambre 408, qui allait tourner le coin du couloir.
Stephan Oswacim se lança à sa poursuite à pas de loup, et, arrivé à trois mètres derrière lui, s’arrêta, allongea le bras droit à l’horizontale et bloqua sa respiration.
Deux balles dans le dos, puis deux dans la tête, et il pourrait enfin filer, l’âme en paix.
CHAPITRE IX
Malko avait dû faire un immense effort de volonté pour ne pas réagir en entendant un léger grincement derrière lui. Presque imperceptible, mais le silence feutré du couloir désert était tel que le moindre bruit prenait un relief particulier. Son pouls avait grimpé en flèche, mais il n’avait pas modifié son allure. D’un geste mesuré, il avait simplement posé la main sur la crosse du Makarov. Cette fois, il y avait une cartouche dans le canon et le cran de sûreté était ôté.
Il compta mentalement jusqu’à trois, puis se retourna d’un bloc, en arrachant le pistolet de sa ceinture.
Son regard photographia l’homme qui se trouvait derrière lui, celui qui avait pris l’ascenseur avec eux, une heure plus tôt. Son bras droit était tendu dans sa direction, prolongé par un pistolet au long canon. Pendant une fraction de seconde, les deux adversaires demeurèrent d’une immobilité de statue, puis ils appuyèrent en même temps sur la détente de leur arme.
La détonation du Makarov fut assourdissante. Malko vit l’homme blond pivoter, probablement atteint à l’épaule, et lui-même sentit comme une brûlure au cou. Assourdi, le pouls à 200, il vit son adversaire faire demi-tour et, après avoir parcouru quelques mètres, plonger dans une porte latérale. Il fonça, écarta les portes battantes, découvrit un escalier de service. Il jaillit sur le palier et entendit des pas pressés qui dévalaient l’escalier. Il se rua à leur poursuite, sautant les marches quatre à quatre.
Arrivé au rez-de-chaussée, il n’entendit plus rien. La minuterie s’était éteinte. Il dut tâtonner pour trouver l’interrupteur et aperçut une porte latérale qui donnait sur un petit couloir menant à une issue de secours. Lorsqu’il l’ouvrit, il reçut une bouffée d’air glacé en plein visage. L’accès donnait sur le trottoir. Personne en vue. Il rentra et passant une main sur son cou, il la ramena pleine de sang. Une balle l’avait effleuré en séton. Quelques millimètres de plus et elle lui sectionnait une carotide.
Le sang coulait, imbibant sa chemise. Il s’arrêta, laissant les battements de son cœur se calmer. Immobile dans le noir, il tendit l’oreille sans rien entendre.
Il revint sur ses pas, tamponnant sa blessure avec son mouchoir, de l’adrénaline encore plein les artères. Il remonta un étage à pied et déboucha dans le couloir désert du premier étage. Il appela l’ascenseur et appuya sur le bouton du quatrième. Il regagna sa chambre sans rencontrer personne. La détonation du Makarov semblait être passée inaperçue. Au passage, il ramassa deux douilles sur la moquette bleue : la sienne et une de calibre 22, tirée par le tueur. Aucune trace des deux projectiles et il ne perdit pas de temps à chercher dans quelle boiserie ils s’étaient enfoncés.
Revenu dans sa chambre, il parvint à arrêter l’hémorragie de son cou avec le crayon hémostatique dont il ne se séparait jamais. Ensuite, il réalisa brusquement qu’il avait une piste pour retrouver l’homme qui avait tiré sur lui : l’employée de la réception lui avait même donné le nom sous lequel il était descendu au Premier Palace : Gregor Makaline. Il appela le standard et demanda à lui parler, sachant qu’il s’était enfui.
— La chambre 427 ne répond pas, annonça la standardiste.
— Merci, dit Malko.
Il ressortit et gagna la chambre 427. Écouta, l’oreille collée au battant. Aucun bruit. Le Polonais ignorait que Malko savait qu’il était descendu à l’hôtel. Il y avait donc une chance pour qu’il revienne dans sa chambre, au moins pour y récupérer ses effets personnels. Il devait se douter que Malko n’irait pas porter plainte à la Milicija.
Celui-ci attendit près d’une heure, embusqué dans le couloir, avant de se décider à regagner sa chambre. Là, il se fit couler un bain pour se détendre les nerfs.
Allongé dans l’eau chaude, il fit mentalement le point. D’abord, sa pulsion sexuelle lui avait probablement sauvé la vie. Le tueur devait le guetter et, bénéficiant d’une surprise totale, il l’aurait probablement abattu facilement, lorsqu’il était supposé rentrer, après s’être séparé d’Irina. Pourquoi ?
C’est là que le bât blessait. Impossible que ce soit lié à l’incident de l’après-midi avec Iouri Bogdanov. D’après la réceptionniste de l’hôtel, le tueur était arrivé ce matin. Le meurtre de Malko était donc déjà programmé. Par un professionnel, comme le montrait l’arme munie d’un silencieux. Mais pourquoi vouloir se débarrasser de lui ? Il eut beau récapituler ses activités, il ne trouva aucune raison. En trois jours il n’avait rien appjis qui puisse mettre quelqu’un en danger.
A moins que ce ne soit un message, destiné à la CIA, pour que les Américains ne se mêlent pas des affaires intérieures ukrainiennes… En tout cas, l’amant polonais d’Evguena Bogdanov avait désormais un visage. Et une profession. C’était un tueur professionnel. Dont Malko possédait le numéro de portable, grâce à Iouri Bogdanov. À présent, il pouvait l’identifier. Il finit par s’extraire de la baignoire mais eut du mal à s’endormir : sa gorge le brûlait et il avait beau tourner et retourner la question dans sa tête, il n’arrivait pas à comprendre la raison de cette tentative de meurtre.
La chambre 427 ne répondait toujours pas. L’homme qui s’était enregistré sous le nom de Gregor Makaline ne reviendrait probablement pas. Malko s’abstint de questionner la réception. À quoi bon ? L’échange de coups de feu de la nuit n’avait visiblement pas été remarqué. Malko gagna le boulevard Tarass-Sevchenko. La température avait brutalement chuté et on grelottait sous le vent glacial. Avant de se hasarder dehors, il inspecta soigneusement le boulevard, sans rien apercevoir de suspect.