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— Marina.

— Mâche-le bien lentement, Marina. Dosvidania.

Il se releva et rejoignit ses deux compagnons qui l’attendaient dans l’entrée. Avant de partir, il se retourna. Marina était en train d’enlever avec soin le papier argenté enveloppant le chewing-gum. Elle tourna la tête et lui sourit.

CHAPITRE II

Le vol des Ukrainian Airlines Vienne-Kiev était pratiquement vide en « business ». À part Malko, il n’y avait qu’un vieil homme recroquevillé dans une pelisse, et qui semblait déjà à moitié mort. Le vieux Boeing 737 frôla les cimes des bouleaux enneigés et se posa sans secousse. Il faisait déjà presque nuit et l’aéroport de Borystil ressemblait à ce qu’il avait toujours été : celui d’une ville de province d’Union soviétique. Un seul bâtiment en demi-lune, quelques vieux Illiouchine abandonnés sur le tarmac et deux hélicoptères MI 16 hors d’âge, les pales en berne. Un peu de neige commençait à tomber lorsque Malko s’engagea sur la passerelle.

L’aérogare, mal éclairée, respirait la tristesse avec ses voyageurs emmitouflés de cuir, bonnet de laine enfoncé jusqu’aux yeux. En Ukraine, les chapkas étaient rares, réservées aux anciens fonctionnaires.

Malko prit place dans une des queues qui s’allongeaient devant les guichets de la police des frontières, et avançaient à une allure d’escargot. Tatillons, les policiers ukrainiens, encore imprégnés de la mentalité soviétique, scrutaient chaque document avec méfiance. Pendant qu’il prenait son mal en patience, une nouvelle vague de passagers vint s’agglutiner aux files d’attente, les voyageurs d’un vol d’Aeroflot, en provenance de Moscou, qui venait de s’immobiliser de l’autre côté des baies vitrées de l’aérogare. Une foule typiquement russe, encombrée de paquets hétéroclites.

Le regard de Malko fut soudain attiré par quelqu’un qui émergeait de ce magma tristounet comme une mouche dans un verre de lait. Une jeune femme superbe, aux longs cheveux blonds réunis en queue-de-cheval, élégante dans une robe de lainage marron descendant à mi-mollets, avec des collants et des bottes assorties. Pas maquillée, mais une allure de cover-girl. Ce qu’elle était probablement. La veste de fourrure noire ouverte révélait une poitrine pleine, un peu à l’étroit sous la robe ajustée. D’un pas rapide et décidé, en dépit de l’énorme valise qu’elle traînait, elle vint se placer derrière Malko.

À peine dans la queue, elle sortit un portable de sa poche et composa un numéro. Malko saisit des bribes de la conversation.

— Oui, tout va bien, je ramène les produits de beauté… Dans vingt minutes, je serai dehors. Dosvidania…

Elle parlait russe d’un ton ferme, avec sérieux. Il se demanda quels produits de beauté on pouvait bien ramener de Moscou, où tout était importé, puis ne pensa plus à elle.

La queue avançait avec une lenteur exaspérante. Enfin, son passeport tamponné et la douane franchie, où officiaient des mémères qui semblaient sortir tout droit du goulag, côté miradors, il se retrouva dans le hall de l’aérogare. Fendant la foule agglutinée devant la porte coulissante des arrivées, il gagna le petit bureau d’accueil des observateurs de l’OSCE1 venus surveiller les élections présidentielles ukrainiennes. Là où un agent de la station de la CIA de Kiev devait venir le récupérer.

L’OSCE était sa couverture, confirmée par une lettre officielle du gouvernement autrichien, fausse bien entendu, fabriquée par les ateliers de la Technical Division de l’Agence américaine de Langley.

Le bureau de l’OSCE était vide, fermé à clef.

Au moment où il baissait les yeux sur sa Breitling, étonné, son portable sonna. Une voix essoufflée et féminine annonça en anglais que la personne venant le chercher aurait un quart d’heure de retard. Qu’il ne s’inquiète pas. À peine avait-il raccroché que la superbe blonde du vol de Moscou surgit à son tour de la zone sous douane, tirant son énorme valise, les traits crispés par l’effort. Tandis que Malko la suivait des yeux, admirant sa silhouette, la poignée du bagage se détacha et lui resta dans la main ! L’inconnue s’arrêta net, regardant d’un air furieux sa valise gisant à terre. Elle se pencha, voulut la soulever, mais elle lui échappa et retomba sur le sol.

N’écoutant que sa galanterie et se disant qu’une bonne action est parfois récompensée, Malko se précipita et ramassa la valise.

— Dobredin, dit-il en russe. Laissez-moi vous aider !

Leurs regards se croisèrent. Ce qu’il lut dans celui de la femme l’étonna un peu : au lieu d’exprimer de la reconnaissance, il trahissait surtout de la méfiance. Comme si elle avait interprété le geste de Malko comme une tentative de séduction.

Plantée en face de lui, elle dit d’une voix mal assurée.

— Spasiba, je vais me débrouiller.

Malko lui adressa son sourire le plus séduisant.

— Mais non, c’est trop lourd pour vous. Vous prenez un taxi ? Je vais vous la porter jusque-là…

L’inconnue hésita puis sembla se résigner et marmonna qu’on l’attendait dans le parking.

— Davai ! lança Malko, portant la lourde valise dans les bras et ouvrant la marche.

L’inconnue le dépassa, marchant d’un pas vif. En bordure du parking où les voitures étaient garées en désordre, elle s’arrêta, regarda autour d’elle et se faufila entre les véhicules, après avoir lancé à Malko :

— Cela ira. Vous pouvez la poser là. Spasiba, spasiba bolchoi.

Il posa la valise à terre et suivit la jeune femme des yeux. Elle s’arrêta devant une Golf noire d’où sortit un homme brun coiffé avec une raie au milieu, au nez très long et pointu. La cinquantaine, vêtu d’un costume cravate, style businessman des pays de l’Est, il échangea quelques mots avec la blonde, qui revint vers Malko. Elle empoigna à deux mains la valise, la souleva et lança à Malko avec un sourire un peu crispé :

— Dosvidania. Spasiba.

Elle se glissa tant bien que mal entre les voitures garées n’importe comment et Malko la vit déposer la grosse valise dans le coffre ouvert de la Golf. Son conducteur était déjà remonté à l’intérieur. L’inconnue, hors d’haleine, prit place à côté de lui et le véhicule démarra immédiatement. Un peu frustré, Malko fit demi-tour. Cette bonne action ne serait pas récompensée… L’inconnue devait être extrêmement fidèle, en dépit du manque de galanterie de l’homme venu la chercher, qui ne s’était même pas déplacé pour lui venir en aide… Il retourna dans l’aérogare et arrivait devant le bureau de l’OSCE lorsqu’une jeune femme blonde fendit la foule et s’arrêta en face de lui, lançant d’une voix essoufflée :

— Privet Je suis Irina Murray et je suis envoyée par Donald Redstone. Je suis désolée ! Un flic du DAI m’a fait perdre vingt minutes parce que mon permis de conduire n’était pas signé.

L’apparition d’Irma Murray balaya instantanément le souvenir de l’inconnue boudeuse du vol de Moscou ! Tout aussi grande, tout aussi blonde, drapée dans un long manteau de cuir noir bien coupé, elle rayonnait de sensualité. Une grande bouche épaisse maquillée, des yeux de biche étirés, et une tenue carrément provocante : un cachemire gris moulant une poitrine épanouie visiblement libre de tout soutien-gorge, une jupe extrêmement courte d’un bel orange vif et des cuissardes noires à talons aiguilles.

Avec son sourire plein d’humilité en dépit de son physique époustouflant, elle ressemblait à une très jeune fille prise en faute.

— Je n’ai pas attendu longtemps ! assura Malko.