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Les dents serrées, Tatiana Mikhailova remontait lentement le boulevard Sadova qui filait, rectiligne, à travers Osogorki. C’était dans cette zone que tous les oligarques avaient fait construire leur datcha. Seulement, il y en avait des dizaines, entourées de hauts murs coupés de portails protégés par des projecteurs et des caméras. Aucun nom, même pas d’interphone et pas d’entrée pour les piétons. D’ailleurs, Tatiana n’en avait pas aperçu un seul. Sur des kilomètres, c’était le même paysage. Après s’être fait semer par la voiture venue chercher Malko, la jeune Russe avait réagi vite : si cela se déroulait de cette façon, c’est que Malko était en danger. Elle avait appelé Vladimir Sevchenko, lui expliquant la situation. Celui-ci l’avait aussitôt envoyée au bureau qu’il avait conservé dans une aile de l’hôtel Ukrainia. Tatiana en était ressortie avec une valise contenant de quoi se défendre et la clef d’une Mercedes SLK garée dans le parking de l’hôtel.

Il lui avait ensuite fallu une dizaine de coups de fil pour apprendre qu’Igor Baikal possédait une datcha quelque part dans Osogorki, boulevard Sadova.

Sans plus de précision.

Après avoir parcouru des kilomètres sans arriver à repérer la datcha d’Igor Baikal parmi les propriétés qui se ressemblaient toutes, elle atteignit l’extrémité sud du boulevard Sadova. Elle allait faire demi-tour lorsqu’elle aperçut une petite lumière, premier signe de vie depuis le début de son périple. Un produkti un peu en retrait de la route. Tatiana se gara devant et pénétra dans la minuscule boutique. Le vieil homme, l’air grognon, coiffé d’une vieille casquette de cuir, qui se tenait derrière le comptoir, jeta un regard admiratif à la zibeline de Revillon.

— Dobrevece ! lança Tatiana. Je suis attendue chez Igor Baikal, mais je n’arrive pas à trouver sa datcha. Tu peux me dire où elle se trouve ?

Le regard du vieux devint méfiant.

— Tu n’as pas son téléphone ?

— Niet.

Il prit devant lui un cahier et commença à le feuilleter, tout en marmonnant :

— Attends, petite colombe ! Je l’ai là, quelque part, c’est moi qui lui livre tous ses légumes. Ils vont venir te chercher. Ah, voilà !

Ils posait la main sur son téléphone quand Tatiana lui ordonna d’une voix calme :

— Ne téléphone pas ! Dis-moi seulement où se trouve la datcha.

Le vieux à la casquette arrêta son geste, examinant sa visiteuse. Les mains dans la poche de sa veste de fourrure, Tatiana, posant sur le comptoir un billet de 50 hrivnas, insista avec un sourire :

— Dis-moi seulement où est la datcha. J’irai toute seule.

L’épicier regarda le billet, étendit la main puis s’arrêta.

— Il ne faudra pas lui dire que c’est moi qui te l’ai dit, supplia-t-il d’une voix effrayée. U n’aime pas les gens indiscrets.

— Je ne lui dirai rien ! promit Tatiana.

L’épicier ramassa le billet et lança, très vite, comme s’il révélait un secret d’État :

— C’est au numéro 123-127 sur Sadova, à cinq kilomètres d’ici. Sur la droite quand tu vas vers le nord. Un portail bleu. Puisque tu es attendue, donne deux coups de klaxon quand tu es devant. C’est le signal pour se faire ouvrir, ce que je fais quand je vais livrer.

— Spasiba ! remercia Tatiana en sortant de la boutique.

En quelques enjambées, elle eut rejoint la SLK et allait se mettre au volant, quand, prise d’un soudain pressentiment, elle revint sur ses pas.

A travers la vitre de la porte de l’épicerie, elle aperçut alors le vieil homme, le téléphone dans une main, qui composait soigneusement un numéro de l’autre. Il n’eut pas le temps de finir. Tatiana se rua à l’intérieur, arrachant un pistolet de la poche de sa zibeline. Le bras tendu, elle visa la tête de l’épicier et appuya sur la détente au moment où il levait les yeux. La balle pénétra juste au-dessous de l’œil gauche. Pendant une fraction de seconde, il demeura figé, puis ses doigts lâchèrent le téléphone et il s’effondra derrière son comptoir.

Tatiana Mikhailova se pencha et, presque à bout touchant, lui tira encore une balle dans la tête.

Elle regagna ensuite la SLK, se bénissant d’avoir anticipé le geste de ce stupide boutiquier. Pour se faire bien voir d’Igor Baikal, il venait, bêtement, de perdre la vie. Tatiana ne regrettait pas son geste. Son unique chance de venir au secours de Malko, s’il était encore temps, était déjouer sur la surprise. Prévenu de son arrivée, Igor Baikal ne lui aurait laissé aucune chance. Elle n’aurait même pas pu entrer dans la datcha.

Elle fit demi-tour et remonta lentement le boulevard Sadova jusqu’à ce que ses phares éclairent le panneau bleu planté sur le bas-côté de la voie indiquant «N° 123-127». Dix mètres plus loin, un portail de la même couleur, inséré entre deux murs faits de grandes plaques de béton, n’attirait pas spécialement le regard. Deux caméras installées de part et d’autre sur des pylônes fixés au mur permettaient de voir qui se présentait.

Tatiana ne ralentit même pas, continuant en direction de Kiev. Deux kilomètres plus loin, elle fit demi-tour et reprit le boulevard Sadova vers le sud. Lorsqu’elle s’arrêterait devant la datcha d’Igor Baikal, elle serait forcément observée par les caméras. Il était donc plus prudent de paraître arriver de Kiev.

Quelques minutes plus tard, ses phares éclairèrent le portail bleu. Elle ralentit, stoppa en face et donna deux coups d’avertisseur. Prête à passer la marche arrière. Si on ne lui ouvrait pas le portail, elle essaierait de l’enfoncer. Elle n’avait pas le temps d’aller chercher du secours à Kiev.

Tatiana commença à compter. À six, le portail se mit à coulisser silencieusement. Elle dut se forcer pour entrer lentement dans la propriété et se garer à côté de plusieurs autres voitures, apercevant sur sa gauche une guérite vitrée où se trouvait sûrement le garde qui lui avait ouvert. Il sortit sans se presser et l’interpella.

— Comment vous appelez-vous ?

Tatiana s’avança vers lui.

— Tatiana Mikhailova, fit-elle. Conduisez-moi chez Igor Baikal.

— Je dois le prévenir d’abord, répondit le vigile.

Il était en train de retourner vers sa guérite lorsqu’elle appuya l’extrémité du canon du pistolet dans son dos.

— Je vais lui faire la surprise, annonça-t-elle. Conduisez-moi là où il se trouve.

* * *

— Anatoly ! Niko ! Za rabote !

Deux malabars venaient d’apparaître à l’entrée de la pièce où se trouvaient Malko et son hôte. Toujours enveloppé dans son peignoir de bain, Igor Baikal ne souriait plus.

Malko, à son tour, était sorti du Jacuzzi et, machinalement, avait enfilé son peignoir. Il se sentait froid comme un bloc de granit, lucide, avec juste une pointe de panique viscérale qu’il espérait bien maîtriser jusqu’à la dernière seconde. Igor Baikal n’avait pas précisé la façon dont il comptait se débarrasser de lui, mais la méthode décrite par Vladimir Sevchenko paraissait vraisemblable. On allait le noyer dans une cuve de vodka. Pour lui qui appréciait tant ce breuvage, c’était l’ironie du sort… Des milliers de pensées se télescopaient dans sa tête. Il essayait de se dire qu’il avait eu une belle vie et qu’il y a une fin à tout, sans s’en convaincre lui-même. Les deux malabars s’avancèrent vers lui.

— Do svidania, lança Igor Baikal. Je dirai à Volodia que tu aurais fait un bon cosaque.

La voix était lasse, indifférente. De son pas lourd, il s’éloigna vers la porte donnant sur le couloir, après avoir adressé un signe aux deux exécuteurs.

Pendant quelques secondes, Malko demeura figé, cherchant désespérément un moyen d’échapper à son sort.