— Donald ! C’est très intéressant !
Il ouvrit son dossier, révélant une page couverte de numéros et d’annotations.
— Voilà. À 21 Il 42, hier, Igor Baikal a appelé le 0665 495 1106. La conversation a duré moins de 30 secondes. Il a probablement laissé un message. Une demi-heure plus tard, le 0665 495 1106 l’a rappelé. Cette fois, la conversation a duré 17 minutes et 34 secondes. Entre-temps, notre centre d’écoutes avait «branché» ce numéro, qui a appelé un numéro de portable russe, le 903 562 8734. Malheureusement, il est impossible de localiser ce dernier portable. Malko sentit son pouls grimper vertigineusement. Il avait l’impression d’avoir fait un pas de géant ! Le numéro russe devait être celui de l’organisateur de toute l’opération. Évidemment, le principal restait à faire : l’identifier.
— 11 faut absolument vérifier si le 0665 495 1106 est le portable d’Oleg Budynok, dit-il.
— Attendez ! Ce n’est pas tout, reprit John Muffin. Le 0665 495 1106, tout de suite après sa conversation avec Igor Baikal, a appelé un autre portable ukrainien : le 0445392109.
Donald Redstone semblait sur des charbons ardents.
— Il n’y a qu’Evgueni Tchervanienko qui peut nous dire, grâce à ses relations à Kievstar, à quoi correspondent ces numéros. Je lui envoie immédiatement un messager.
— Bien, conclut Malko, je retourne à l’hôtel.
Tatiana Mikhailova devait se demander où il était passé.
Malko regardait tomber une pluie fine qui se transformait peu à peu en neige fondue quand son portable sonna. Il reconnut aussitôt la voix basse d’Evgueni Tchervanienko, le responsable de la sécurité de Viktor Iouchtchenko.
— Vous pouvez passer me voir ? demanda-t-il.
— Bien sûr, accepta Malko. Maintenant.
— Tak.
Il jeta un coup d’oeil à sa Breitling. Tchervanienko avait fait vite : il était à peine trois heures. Il appela Tatiana, qui attendait les instructions dans sa chambre. Elle ferait une excellente «baby-sitter». La veille, elle avait prouvé sa détermination. Ils se retrouvèrent dans le lobby et elle se mit au volant de la SLK.
Vingt minutes plus tard, ils entraient dans la permanence de la « révolution orange », qui grouillait toujours de bénévoles et de membres des « Fils de l’Ukraine libre», avec leurs brassards orange. Malko présenta Tatiana à Evgueni Tchervanienko et celui-ci ne perdit pas de temps, lisant une feuille de papier posée sur son bureau.
— Le premier numéro, dit-il, est celui d’Oleg Budynok, le chef de l’administration présidentielle. Il est effectivement lié à Igor Baikal, donc, ce n’est pas étonnant qu’il l’appelle.
Malko demeura muet : il n’avait pas encore envie, à ce stade, de parler du lien Baikal-Budynok-Oswacim.
— Et le second, celui appelé par Budynok ? demanda-t-il.
— Le 044 539 2109 ? C’est celui d’un certain Anatoly Girka. Un ancien membre des Forces spéciales du SBU, les Guépards. Il est depuis pas mal de temps un des gardes du corps d’Igor Baikal.
— Comment interprétez-vous cet appel ?
Evgueni Tchervanienko fit la moue.
— Je ne sais pas. Peut-être que cet Anatoly Girka doit son job à Budynok et lui sert d’informateur. On ne peut faire que des hypothèses. Budynok et Baikal sont liés de plusieurs façons, depuis longtemps.
— Merci, dit Malko. Je continue l’enquête et je vous tiens au courant.
Ce n’est que sur le chemin du retour vers l’ambassade américaine que Malko eut une illumination. Tout s’enclenchait parfaitement. Il sortit son portable et composa fébrilement le numéro d’Igor Baikal. L’Ukrainien répondit presque aussitôt.
— Igor, dit Malko, après s’être fait reconnaître, je ne suis pas rancunier. Je crois que je vais te rendre un grand service. Seulement, il faut que je te voie. Très vite, dans ton intérêt. Igor Baikal poussa une sorte de barrissement résigné et sceptique.
— Pourquoi faire ?
— C’est dans ton intérêt, insista Malko. Une razborka, si tu veux…
— Karacho, soupira l’Ukrainien.
— Rendez-vous au Premier Palace, dans une heure, suggéra Malko.
— Met. Je ne sors pas de chez moi. Viens, si tu veux.
Le ton était définitif et Malko comprit qu’il ne le ferait pas changer d’avis.
— Dobre, conclut-il. Je viens à Osogorki.
Il annonça un peu plus tard à Tatiana :
— On retourne chez Igor Baikal.
Celle-ci ne se troubla pas.
— Dobre ! On aurait dû le liquider hier, cela aurait évité un voyage inutile.
— Je ne vais pas le liquider, précisa Malko, mais il vaut mieux être prudent, en allant là-bas.
— D’autres gens viennent avec nous ? demanda la Russe.
— Non.
— Dobre.
Elle arrêta la voiture, descendit, ouvrit le coffre, puis revint avec un gros objet, enveloppé dans une couverture, qu’elle posa sur la banquette arrière.
— Qu’est-ce que c’est ? interrogea Malko.
— Un Poulimiot. On me l’a prêté.
Un fusil-mitrailleur de l’Armée rouge doté d’un chargeur de 52 cartouches. À côté, le Glock de Malko faisait un peu léger. Tandis qu’ils roulaient le long du Dniepr, Malko appela Donald Redstone, confirmant à mots couverts l’identité du portable appelé par Igor Baikal. Et annonçant à l’Américain qu’il était en route pour sa datcha, après l’en avoir averti.
— Pourquoi allez-vous encore vous jeter dans la gueule du loup ! s’insurgea le chef de station. Hier soir, ce type voulait vous tuer. Il n’a sûrement pas changé d’avis aujourd’hui.
— Aujourd’hui, dit Malko, je suis organisé. Et si j’y vais, c’est avec une raison sérieuse que je ne peux pas aborder au téléphone. En plus, Tatiana est avec moi.
— Take care ! conseilla l’Américain.
Malko avait pris le volant de la SLK et ils n’étaient plus qu’à trois kilomètres de la datcha d’Igor Baikal. Tatiana se retourna et prit sur la banquette arrière le Poulimiot avec son gros chargeur. Elle arma la culasse et, le fusil-mitrailleur en travers des genoux, attendit paisiblement. Malko, arrivé devant le portail bleu, stoppa et donna deux coups de klaxon. Par-delà le mur, on apercevait le toit plat et verdâtre de la datcha et le haut des murs ocre.
Le portail commença à coulisser. Aussitôt, Tatiana descendit, le Poulimiot coincé contre la hanche, et avança derrière la voiture. Malko se gara au milieu du parking. Personne en vue, sauf le vigile dans sa guérite vitrée. Ce n’était pas le même que la veille… Tatiana, l’arme toujours à la hanche, scrutait nerveusement les abords de la datcha. L’homme sortit de sa guérite et lança à Malko :
— Dobredin. Pan Baikal vous attend. Vous entrez et vous suivez le couloir.
Malko suivit ses instructions, refaisant le parcours de la veille. Tatiana marchait devant lui, le doigt sur la détente du Poulimiot. Au bout d’un long couloir, ils trouvèrent la pièce en rotonde. Le lustre pendant de l’atrium de quinze mètres était allumé, reflétant l’or des faux fauteuils Louis XV.
Malko poussa la porte donnant sur le salon. La pièce était vide. Soudain, une porte au fond s’ouvrit sur Anatoly, celui qui s’apprêtait, la veille, à noyer Malko dans la cuve de vodka. Il stoppa net. Tatiana venait de braquer le Poulimiot sur lui.