Oleg Budynok grommela une réponse inintelligible. Les razborka se terminaient plus souvent dans un bain de sang que dans un bain de vodka et des embrassades.
CHAPITRE XVII
Malko s’engagea dans la file de droite et ralentit en apercevant le panneau indiquant : National Muséum of the Great Patriotic War History. La circulation sur le boulevard Drushby-Narodiv en direction du pont Patona était si dense en cette veille de Noël qu’il faillit manquer l’embranchement. Il faisait déjà presque nuit et les gens se hâtaient de regagner leurs clapiers, de l’autre côté du fleuve. À côté de lui, Tatiana Mikhailova, le Poulimiot sur les genoux, restait muette. C’est elle qui avait insisté pour accompagner Malko.
— Ce salopard de Budynok a sûrement manigancé quelque chose, avait-elle affirmé.
Difficile de penser le contraire. Lors de sa dernière razborka, des années plus tôt, au cœur de la forêt de Tchernobyl, Malko avait bien failli y laisser sa peau. Les Ukrainiens étaient des brutaux.
En sortant de la rampe, il se retrouva dans un chemin serpentant dans le parc Pechersk, au bord du Dniepr. Ensuite, cela montait vers le musée, installé partiellement en plein air. En haut de la pente, Malko aperçut une voiture, tous feux éteints, garée en face de l’entrée, sur une petite esplanade. Une grosse Mercedes 500. Il ralentit et, aussitôt, le conducteur de l’autre véhicule donna un bref appel de phares.
— C’est lui, dit Malko.
L’endroit était totalement désert, le musée fermé à cette heure tardive. Tout Kiev préparait le réveillon de Noël. Malko stoppa à une vingtaine de mètres de l’autre véhicule. Il faisait trop sombre pour distinguer l’intérieur. Son portable sonna et il reconnut immédiatement le ton rogomme du directeur de l’administration présidentielle.
— C’est vous, dans la voiture ? demanda Oleg Budynok.
— Da.
— Vous êtes seul ?
— Niet. Et vous ?
— Moi, je suis seul. Venez me rejoindre.
— Dobre.
Après avoir coupé la communication, Malko se tourna vers Tatiana.
— Je vais le retrouver. Vous me couvrez ?
Les traits tendus, la jeune femme essaya de percer l’obscurité.
— C’est dangereux, dit-elle. Il veut probablement vous tuer.
— C’est possible, reconnut Malko.
— Attendez !
Elle arma le Poulimiot et se tourna vers lui.
— Dites-lui que j’ai un Poulimiot. Qu’au moindre problème, j’arrose sa voiture.
Elle ouvrit la portière et plongea dans l’obscurité. Malko la vit se mettre en posiion derrière un muret, le Poulimiot pointé sur la Mercedes 500.
L’estomac noué, il sortit à son tour de la SLK, le Glock dans sa ceinture, et se dirigea vers l’autre véhicule, priant pour que ce rendez-vous ne soit pas un piège. Il faisait froid, avec un affreux vent coulis. Le bruit de ses pas résonnait sur la chaussée. Il atteignit la Mercedes 500 et ouvrit la portière de droite.
Il n’y avait qu’une seule personne dans la voiture, un homme aux cheveux gris, aux traits épais, dans un costume sombre, en train de fumer une cigarette. Il enveloppa Malko d’un long regard curieux.
— C’est vous, Malko Linge ?
— Oui.
— Pourquoi vouliez-vous me voir ?
— Je veux savoir pourquoi vous avez demandé à votre ami Igor Baikal de me tuer. Et qui vous a réclamé ce service. Comme nous ne nous connaissions pas, nous ne pouvions avoir de contentieux.
— Et si je refuse, qu’arrivera-t-il ?
— Je communiquerai aux médias la confession d’Anatoly Girka qui pourra la confirmer par un témoignage direct.
— Je n’en ai rien à foutre, grommela l’Ukrainien. Personne ne le croira…
— Peut-être, répliqua Malko, mais ceux qui ont commandité mon élimination peuvent prendre peur et vous faire subir le sort d’Igor Baikal.
— Vous oubliez qui je suis ! cracha Oleg Budynok. Je dispose d’une protection rapprochée qui me met à l’abri de ce genre de chose.
Malko lui adressa un sourire froid.
— Igor Baikal, lui aussi, avait des gardes du corps.
Qui vous dit que parmi les vôtres, il n’y en a pas un disposé à trahir ? De toute façon, dès que cette affaire sera rendue publique, aussi puissant que vous soyez, vos amis vous lâcheront. Y compris le président Koutchma.
Et là, il peut vous arriver beaucoup de choses.
Oleg Budynok demeura silencieux, tirant sur sa cigarette. Malko le sentait moins assuré que son discours.
— Bien, dit-il, en posant la main sur la poignée de la portière. C’est votre choix, mais je pense que c’est un mauvais choix.
Il ouvrit la portière et avait déjà un pied sur le sol quand Oleg Budynok le rappela.
— Attendez !
— Oui ?
— Si je vous communique une information cruciale, vous me foutez la paix ?
Malko sentit son pouls s’emballer. Comme s’il avait tiré le 9 à une table de baccara. Il s’efforça de ne pas montrer son intérêt et demanda d’une voix neutre :
— Quelle information ?
— Vous êtes d’accord avec ma proposition ? insista Oleg Budynok, qui semblait beaucoup moins sûr de lui.
— Il faudrait que cette information soit vraiment cruciale.
— Elle l’est.
— Alors, donnez-la-moi.
— Ensuite, vous n’aurez plus besoin de moi. Et vous me balancerez.
— Non. Mais dépêchez-vous.
D’une seule traite, Oleg Budynok lâcha :
— Il va y avoir une seconde tentative pour empêcher Viktor Iouchtchenko d’accéder à la présidence.
Malko dissimula sa joie. C’est ce qu’il pensait depuis plusieurs jours. L’aveu d’Oleg Budynok confirmait son hypothèse de travail.
— Organisé par qui ? demanda-t-il.
— Certains membres du SBU aux ordres de Vladimir Satsyuk.
— C’est sûr ?
— Oui.
— Pourquoi me dites-vous cela ? s’étonna Malko. Si lanoukovitch gagne, vous serez à l’abri de toutes poursuites.
Oleg Budynok sembla hésiter. Puis, après un long silence, il avoua :
— Ça n’a rien à voir avec Ianoukovitch, marmonna-t-il. Je vais vous faire une proposition. Je vous aide à empêcher cet attentat, mais vous me livrez Anatoly Girka et sa confession.
— Si Ianoukovitch gagnait, insista Malko, vous n’auriez plus rien à craindre…
Oleg Budynok tourna vers lui un visage aux traits tirés.
— Les politiques, je m’en fous. Mais personne ne doit jamais savoir ce que j’ai fait à Igor Baikal. Il a deux frères. S’ils apprennent que c’est moi, ils me tueront, où que je me trouve.
Malko ne réfléchit pas longtemps. Même les plus fanatiques « droits de l’hommistes» n’auraient pas défendu l’assassin d’Igor Baikal.
— D’accord, dit-il, à condition que vous m’aidiez à déjouer cet attentat.
— Karacho, admit l’Ukrainien. Vous allez être contacté par un certain Alexei Danilovitch. Un faux nom. C’est un membre important du SBU. Il est au courant de l’opération montée contre Viktor Iouchtchenko. Il vous aidera à la déjouer.
— Pourquoi parlerait-il ?
— Il n’approuve pas ce plan, mais ne savait pas à qui parler. En plus, il me doit un service.
— Très bien, conclut Malko. J’attends des nouvelles d’Alexei Danilovitch. Si tout se passe bien, personne ne saura jamais que vous avez fait liquider votre ami Igor Baikal.