— Mais toutes les jeunes femmes de Kiev s’habillent ainsi ! Il faut bien attirer le regard des hommes. La vie est dure pour elles : si on veut habiter dans le centre, s’acheter de jolis vêtements, du maquillage étranger, il faut trouver un homme…
— Vous n’êtes pas dans ce cas, remarqua Malko.
— Non, mais j’aime qu’on me regarde, avoua-t-elle. C’est rassurant.
— Alors, où allons-nous dîner ?
— Je ne peux pas dîner avec vous, avoua Irina Murray avec un sourire désolé. M. Redstone m’a prévenue trop tard. Je dois aller retrouver un ami.
— Le peintre ? ne put s’empêcher de dire Malko.
Elle lui jeta un regard en coin.
— Ah, il vous en a parlé ! Oui. Ce soir, il veut bien me voir. Il s’est arrêté de peindre. Je suis juste venue vous parler de l’amie d’Evguena Bogdanov.
— Bon, admit Malko, déçu, allons prendre un verre au bar.
Irina Murray fit la grimace.
— C’est sinistre ! Vous ne voulez pas plutôt que nous allions dans votre chambre ?
Son regard était transparent, sans le moindre sous-entendu. Malko la précéda jusqu’à l’ascenseur.
À peine dans la chambre, Irina se débarrassa de sa longue redingote de cuir noir et Malko en eut le souffle coupé. Elle avait vraiment un corps magnifique. Ses seins pointaient sous le cachemire de laine grise et l’ensemble cuissardes mini aurait troublé un aveugle. Dans le petit espace de la chambre, les ondes sexuelles émises par la jeune femme en devenaient presque gênantes.
— Vous me regardez bizarrement ! fit soudain Irina Murray.
Malko sourit.
— Je vous trouve extrêmement séduisante, pour ne pas dire plus.
— Je voudrais bien que mon copain soit comme vous, soupira la jeune femme. J’ai l’impression qu’il ne me voit plus… Enfin, j’espère que ce soir, cela sera différent.
— C’est pour le séduire que vous vous êtes habillée de cette façon ? ironisa Malko.
Irina Murray eut l’air choqué.
— Non. Bon, travaillons.
— Vous voulez boire quelque chose ? Du Champagne ?
— Pas du Champagne de Crimée, c’est infect.
Il ouvrit le minibar et sortit une demi-bouteille de Taittinger.
— Et ça ?
— Superbe.
Pendant qu’il débouchait la bouteille, elle s’assit sur le lit et sa jupe remonta si haut que Malko aperçut l’ombre de son entrejambe. Irina sortit un petit carnet et annonça :
— Voilà, cette fille porte toujours des lunettes noires, elle a les cheveux tressés en nattes, fume tout le temps et, surtout, elle a des ongles démesurément longs, de deux couleurs, artificiels bien sûr. Je vous propose la chose suivante : j’entrerai la première à la Maison du Café et je m’installerai à côté d’elle. Vous entrerez ensuite et vous la repérerez ainsi facilement. Ensuite, je m’en vais et ce sera à vous de jouer. Ce ne sera sûrement pas très difficile. Elle vient là pour chercher des hommes. Or, vous êtes habillé comme un étranger. Ça l’intéressera sûrement. C’est une sorte de pute, vous savez.
Son portable sonna et elle répondit par monosyllabes, se levant aussitôt, avec un sourire d’excuse.
— Il faut que j’y aille…
Il sembla à Malko que ses seins pointaient encore plus sous son pull. Incapable de refréner une pulsion brutale, il s’approcha de la jeune femme, posant ses deux mains sur ses hanches.
— Merci d’être passée… Et, à demain. Elle sourit.
— Je fais mon travail.
Comme si elles étaient douées d’une vie indépendante, les mains de Malko remontèrent, emprisonnant doucement les seins libres de tout soutien-gorge.
— Vous avez une poitrine magnifique, remarqua-t-il d’une voix un peu altérée.
Le regard d’Irina ne cilla pas. Elle esquissa seulement un sourire en reculant un peu.
— Je dois partir maintenant.
Il l’aida à remettre son manteau de cuir et elle s’éclipsa, le laissant dans un état second. Il n’avait même plus envie d’aller dîner. Il s’allongea sur le lit, réfléchissant à la façon dont il allait essayer de confesser l’amie d’Evguena, morte d’avoir été mêlée à une histoire qui la dépassait. Il regarda le gros Makarov posé sur la table de nuit et se dit qu’il ne serait pas inutile si la piste évoquée par Donald Redstone était bonne.
CHAPITRE IV
Malko s’arrêta un instant pour contempler la mer de tentes ornées de drapeaux orange qui occupaient la chaussée de Khreschatik jusqu’à la place de l’Indépendance, un peu comme si les Champs-Élysées avaient été bloqués du rond-point à l’Étoile.
Des baraques avaient été montées sur les trottoirs, abritant de quoi abreuver et nourrir les dix mille partisans de la « révolution orange » qui campaient là depuis le mois de novembre. Les majestueux immeubles en pierre de taille bordant l’avenue semblaient totalement décalés dans cette ambiance de kermesse héroïque. Il regarda le manteau de cuir noir d’Irma Murray disparaître dans une petite voie, le Passage, qui montait perpendiculairement à la grande avenue, et se remit ensuite en marche sans se presser, afin de laisser à l’auxiliaire de la CIA le temps de s’installer pour lui désigner sa cible.
Cinq minutes plus tard, il poussait la porte de la Maison du Café, repérant tout de suite, sur une banquette à droite de l’entrée, Irina Murray, installée devant un café et plongée dans Ukrainia Pravda.
Sa voisine était blonde également, les cheveux tressés en nattes enroulées autour de la tête, comme les paysannes ukrainiennes ; elle arborait des lunettes noires et des ongles démesurément longs peints en vert et en marron. Elle était en train de manger une pâtisserie avec une délicatesse de chat. C’était donc elle la copine de la malheureuse Evguena Bogdanov.
Malko s’installa sur la banquette en L, de trois-quarts, et commanda un café. Rien ne se passa pendant un quart d’heure. Irina replia alors son journal, paya et se leva, permettant à Malko d’admirer sa croupe incendiaire, avant qu’elle ne disparaisse sous la redingote de cuir noir. De temps en temps, il glissait un regard en coin vers la fille aux lunettes noires, comme n’importe quel homme intéressé par une jolie femme. Il dut pourtant attendre qu’elle ait terminé sa pâtisserie pour qu’elle ôte ses lunettes, découvrant de magnifiques yeux bleus. Tournant la tête dans sa direction, elle lui adressa un sourire discret et demanda, en russe :
— Il me semble que je vous connais…
Bingo ! Malko lui rendit son sourire.
— Oh, c’est possible, je viens de temps en temps ici. C’est agréable. Vous êtes une habituée aussi ?
— J’aime bien leurs pâtisseries, je viens souvent le matin…
— Je n’habite pas Kiev, précisa Malko, je suis autrichien, observateur de POSCE pour les élections. J’étais reparti à Vienne et je viens de revenir. À vrai dire, j’avais rencontré ici une très jolie fille, Evguena, et j’espérais un peu la retrouver.
— Evguena ? répéta la blonde, visiblement surprise. Evguena Bogdanov ?
— Oui, je pense, vous la connaissez ?
— Je la connaissais. Elle est morte. Son copain l’a jetée par la fenêtre dans une crise de jalousie et s’est suicidé ensuite.
— Himmel ! C’est horrible, compatit Malko. Elle paraissait si douce. Est-ce que je peux vous offrir un autre gâteau ?
— Non, je ne veux pas grossir, mais une coupe de Champagne, avec plaisir ! Venez donc à ma table, cela sera plus facile pour bavarder. Malko se déplaça et fit signe au garçon.
— Avez-vous du Champagne français ?