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-    Mais enfin, personne ne l’a vue? s’écria Ausbert. Je ne sais pas, une servante, l’une des femmes de la dame danoise? Il est vrai qu’il est difficile de s'en faire comprendre.

-  Et pourquoi pas la dame danoise elle-même? fit Bertrand sarcastique. Elle a un interprète pour se faire entendre.

-    Je vais l’interroger moi-même, coupa Hughes.

Et il s’avança au-devant de Dagmar qui, avec ses gens, venait rejoindre le gros de la troupe. Mais elle non plus n’avait pas vu Marjolaine.

-    Partie faire petit tour? suggéra-t-elle avec un sourire dont l’équivoque donna à Hughes l'envie de la battre.

L’angoisse l’étreignait à présent. Il questionna Pernette pour essayer de situer le moment où Marjolaine était sortie. Juste après l’orage ou un peu plus tard? C’était juste après l’orage, dès que le bruit de l’eau sur le toit eut cessé. Il pensa que la jeune femme devait être dehors quand il était sorti lui-même et qu’elle y était encore quand Dagmar l’avait rejoint sous l’olivier. L’idée que, peut-être, elle les avait vus l’effleura, mais il la repoussa avec une sorte d'horreur où la honte tenait une grande place. D'ailleurs, sa disparition ne pouvait avoir de lien quelconque avec son aventure avec la Danoise. Marjolaine s'était peut-être éloignée un peu trop dans ce pays inconnu, elle avait peut-être eu un léger accident. On allait la rechercher, on allait la retrouver...

-  Il faut nous mettre tous à sa recherche, ordonna-t-il. Naturellement, il ne peut être question de partir d’ici sans elle. Je vais chez l’alcade pour lui demander son aide.

-    Et aussi celle de la frère moine, renchérit Bran Maelduin. Eux être très bien connaissant la pays tout autour.

On se dispersa dans toutes les directions, moines, pèlerins, paysans, mais Colin n’avait pas attendu l’ordre d’Hughes pour se lancer à la recherche de sa chère maîtresse. Le cœur serré et les larmes aux yeux, il avait commencé de décrire, autour de la maison de l’alcade, des cercles toujours plus larges, le nez au sol, guettant une trace, la moindre chose qui pouvait indiquer une direction. Mais sur ce rêche plateau raboté de vent où les arbres étaient rares et où, en été, l’eau désertait les rivières, il était bien difficile de relever une trace. Pourtant, après l’orage, les pas auraient dû se relever facilement. Or, il n’en était rien. En outre, la terre mouillée n’avait pas conservé d’odeurs.

Hughes s’en aperçut quand, ayant demandé à Aveline un vêtement appartenant à Marjolaine, il le fit renifler aux chiens de Guegan : les bêtes, visiblement déroutées d’ailleurs par cette terre et ce climat qui leur étaient inhabituels et dont elles souffraient, ne parvinrent pas à se décider pour une direction nette. Néanmoins, elles semblaient tirer plus volontiers en direction des montagnes qui se dessinaient à l’horizon.

Le jour passa, épuisant, désespérant. Tandis que les hommes battaient la campagne dont les ondulations jaunes ressemblaient à des dunes de sable, les femmes agenouillées dans l’église priaient. Seule Pernette avait voulu suivre les recherches.

Elle avait interrogé Bertrand. Avait-il parlé à son maître? Oui, il l’avait fait mais seulement le matin quand, avant l’aube, il était rentré. L’écuyer avait fidèlement rapporté ce qui s’était passé entre eux, juste avant que l’on apprît la disparition de Marjolaine.

-    Ainsi, conclut Pernette, sire Hughes était avec cette femme cette nuit. Où sont-ils allés?

-    Je n’en sais rien. Dans ce pays pelé, je ne vois pas où ils ont pu trouver asile. Il n’est tout de même pas allé la rejoindre dans la maison de l’alcade.

-    Certainement pas. Elle a dû sortir. Peut-être en même temps que Marjolaine. Si elle les a vus... Mon Dieu, il faut la retrouver! Elle a dû avoir si mal! Dieu sait ce qu’elle a pu faire! S’enfuir droit devant elle ou pire encore!

-    La rivière est à sec, elle n’a pas pu s’y jeter. Et je ne vois pas comment elle aurait pu faire pour se détruire dans ce désert.

-    Quand on veut mourir, on trouve toujours un moyen. Rappelez-vous Modestine. Il faut fouiller partout, dans le moindre trou que l’on pourra trouver.

C’était ce que l’on avait fait durant des heures mais sans succès. A présent le soleil était bien près d’achever sa course et les hommes découragés revenaient les uns après les autres. Seul Hughes, escorté de Guegan et des chiens, s'obstinait, accroché à cette idée simple qui l’empêchait de devenir fou : Marjolaine n’avait pu se volatiliser. Et pourtant, il semblait bien qu’elle eût complètement disparu de la surface de la terre.

Pendant ce temps, Fulgence s'ennuyait. Sous le coup de l’émotion causée par la disparition de Marjolaine, on ne s’était guère occupé de lui ce jour-là. Ausbert Ancelin, son habituel mentor, courait la campagne comme les autres et l’avait laissé à la seule compagnie de Léon Mallet qui ne s'était guère déplacé à cause d'une cheville qui le faisait sérieusement souffrir et qui, fatigué d'ailleurs par la chaleur, avait été prier à l'église après avoir vaguement participé aux recherches. Puis il s’était endormi. Et Fulgence, qui n’avait pas la moindre envie de dormir, en avait profité pour aller faire un petit tour.

Quittant l'hospice dont le chantier demeurait désert, il se dirigea vers le lit presque à sec d’une assez large rivière qui se trouvait à environ un quart de lieue du village. Tout à l'heure avec Mallet, il était passé près de ce ravin pierreux où poussait tout de même quelque végétation et il y avait aperçu des fleurs jaunes qui l'avaient tenté. Tout naturellement il avait voulu descendre les chercher, mais Léon n'avait rien voulu savoir. On n'était pas là pour cueillir des fleurs et, en outre, il avait besoin du bras de son compagnon pour rentrer au gîte. Du coup, Fulgence avait boudé : il avait envie plus que jamais de ses fleurs.

Avec l'espèce d'instinct que déploient les fous lorsqu'il s'agit de satisfaire un désir, le moine de Saint-Denis retourna droit à l'endroit qu'il avait remarqué et poussa un grand soupir de satisfaction en constatant que les fleurs étaient toujours là. Retroussant sa robe élimée et effrangée, il entreprit donc de descendre parmi la pierraille et les rochers pour les atteindre.

A cet instant Colin, revenant avec Pernette de leur quête décourageante, aperçut la robe du moine qui s'agitait en contrebas du chemin.

-    Allons bon! grogna-t-il. Léon a laissé filer le fou. Le voilà qui cueille des fleurs à présent.

-    Ce n'est pas bien méchant, soupira Pernette qui ne sentait plus ses jambes. Je n'aurais jamais cru qu'il pût pousser une seule fleur dans ce désert jaune.

-    N'empêche qu'on ne peut pas le laisser là. Je vais le chercher.

A son tour, le jeune homme, pestant et ronchonnant, descendit vers le lit asséché. Mais à peine eut-il rejoint Fulgence qu'il l'abandonna aussitôt. En face de lui, de l'autre côté de la ravine, il venait d'apercevoir, à demi cachée par une touffe de grands roseaux que l'on pouvait voir du chemin mais sous un angle différent, une forme sombre qui lui fit battre le cœur.

Aussitôt il bondit, sautant de rocher en rocher ou enfonçant dans le sable gravillonneux, et atteignit les roseaux. Le hurlement qu’il poussa dut s’entendre jusqu’au fond de la province.

-    La voilà, Pernette... La voilà, je l’ai trouvée!

Le cri de joie de la jeune femme répondit au sien et, à son tour, elle s’élança vers le fond de la rivière. Cependant, Colin examinait Marjolaine avec inquiétude. L’idée qu’elle pouvait être morte ne l’effleura pas car elle était très rouge, mais elle semblait inconsciente et sa respiration était difficile. Il posa sa main sur le front de la jeune femme et le trouva brûlant : en dépit du frêle rempart des roseaux, le soleil avait dû taper d’aplomb sur elle.