Surprise, la jeune femme releva le menton.
— Nous avons notre idée au sujet de votre relation avec M. Mashiba. Même si vous vous refusez à la reconnaître, nous allons devoir contrôler la véracité de vos propos. La police réussit généralement à procéder à ce genre de vérifications quand elle décide que c’est nécessaire. Mais il nous faudra parler à beaucoup de monde. Réfléchissez bien. Sachez que si vous répondez honnêtement à nos questions, nous réagirons de manière appropriée. Par exemple, si vous deviez nous demander d’éviter au maximum que cela se sache, nous le ferions.
Après s’être exprimée du ton neutre d’un fonctionnaire qui explique à un usager la manière dont l’administration fonctionne, elle échangea un regard avec son collègue en lui faisant un discret signe de tête, probablement pour lui demander d’excuser son intervention.
Peut-être parce qu’il avait été prodigué par une personne du même sexe qu’elle, ce conseil produisit l’effet recherché sur Hiromi Wakayama. Elle pencha encore une fois la tête sur le côté, la releva et battit lentement des cils avant de soupirer.
— Vous n’en parlerez pas ?
— Non, dans la mesure où cela est sans lien avec le crime, nous n’en parlerons pas, soyez-en certaine, déclara Kusanagi.
Hiromi Wakayama opina de la tête.
— Vous avez raison, M. Mashiba et moi avions une liaison. Ce week-end, je ne suis pas allée là-bas qu’hier soir.
— À quand remontait votre visite précédente ?
— À samedi soir. J’ai dû y arriver un peu après vingt et une heures.
Ce qui signifiait que les deux amants s’étaient retrouvés dès qu’Ayané Mashiba était partie voir ses parents.
— Vous aviez rendez-vous ?
— Non, M. Mashiba m’a appelée lorsque j’avais fini mon travail à l’atelier. Pour me demander de venir le retrouver chez lui.
— Vous y êtes allée et que s’est-il passé ensuite ?
Elle eut une expression embarrassée, puis regarda posément Kusanagi comme si elle avait décidé de se jeter à l’eau.
— J’ai dormi là-bas. Je suis repartie le lendemain matin.
Kaoru Utsumi avait commencé à prendre des notes, le visage inexpressif. Pourtant ce qu’elle entendait devait éveiller quelque chose en elle. Kusanagi se dit qu’il aimerait lui en parler plus tard.
— Quand avez-vous bu du café avec lui ?
— Hier matin. Je l’ai préparé. Ah… Nous en avons aussi bu avant-hier soir.
— Samedi soir ? Cela fait donc deux fois, en tout.
— Exactement.
— Et samedi aussi, c’est vous qui l’aviez fait ?
— Non, M. Mashiba était en train d’en préparer quand je suis arrivée. Il y en avait assez pour moi. Elle continua en baissant les yeux. C’était la première fois que je le voyais s’en occuper. Il a d’ailleurs reconnu que cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps.
— Et il n’avait pas sorti de soucoupes, n’est-ce pas ? demanda Kaoru Utsumi en relevant la tête de son bloc-note.
— Non, répondit la jeune femme.
— Hier matin, c’est vous qui l’avez préparé ?
Kusanagi posa à nouveau la même question pour éliminer les doutes.
— Comme celui de samedi soir était un peu amer, M. Mashiba m’a demandé de le faire. Et il m’a observée pendant que je le préparais, expliqua-t-elle en regardant Utsumi. J’avais sorti des soucoupes. Celles qui étaient dans l’évier.
Kusanagi hocha la tête. Son récit était cohérent.
— Pour que les choses soient tout à fait claires, dites-moi si le café moulu utilisé samedi soir et dimanche matin était le même que celui que buvaient les Mashiba d’ordinaire.
— Je crois. Dimanche, je me suis servi du paquet qui se trouvait au frigo. Je ne peux rien vous dire au sujet de celui dont s’est servi M. Mashiba samedi soir. Ce devait être le même.
— Aviez-vous déjà fait du café chez les Mashiba ?
— Une ou deux fois seulement, à la demande d’Ayané. C’est elle qui m’a appris la bonne manière de le préparer. J’ai respecté ses consignes dimanche matin.
— Avez-vous remarqué quelque chose de particulier à ce moment-là ? Des changements quant à l’emplacement de la vaisselle, ou de la marque du café ?
Hiromi Wakayama ferma brièvement les yeux, puis elle fit non de la tête.
— Non. Tout était comme d’habitude, dit-elle et elle rouvrit les yeux en inclinant la tête, perplexe. De toute façon, ce qui s’est passé à ce moment-là est sans rapport avec ce qui est arrivé ensuite, non ?
— Comment ça ?
— Eh bien, commença-t-elle en rentrant le menton pour les regarder par en dessous. Il n’y avait pas encore de poison dans le café moulu à ce moment-là. Si quelqu’un en a mis, cela a dû se passer plus tard.
— Oui, bien sûr, mais le coupable pourrait avoir inventé un dispositif.
— Un dispositif… répéta-t-elle d’un ton qui manquait de conviction. Je n’ai rien remarqué.
— Qu’avez-vous fait après avoir bu ce café ?
— Je suis partie. Le dimanche, je donne des cours de patchwork dans un centre culturel du quartier d’Ikebukuro.
— Vous y étiez de quelle heure à quelle heure ?
— Les cours ont lieu le matin de neuf heures à midi, et l’après-midi de quinze à dix-huit heures.
— Vous avez passé la journée là-bas ?
— Oui. J’ai rangé la salle de cours, pris mon déjeuner, et ensuite j’ai préparé la session de l’après-midi.
— Vous avez déjeuné dehors ?
— Oui. Dans un restaurant de nouilles situé dans un grand magasin, répondit-elle en fronçant les sourcils. J’ai dû rester environ une heure dehors. Je n’aurais pas eu le temps de retourner chez les Mashiba et d’en revenir.
Kusanagi esquissa un sourire en faisant un geste apaisant des mains.
— Notre but n’est pas d’établir si vous avez un alibi, ne vous faites pas de souci. Hier, vous nous avez dit avoir appelé M. Mashiba quand vous aviez fini vos cours. Souhaitez-vous revenir sur cette déclaration ?
Elle détourna les yeux, embarrassée.
— J’ai vraiment appelé. Mais pas tout à fait pour la raison que je vous ai donnée hier.
— Vous nous avez expliqué vouloir vous assurer que tout se passait bien pour lui pendant l’absence de sa femme, n’est-ce pas ?
— En réalité, quand je suis partie hier matin, M. Mashiba m’a demandé de lui téléphoner une fois que j’aurais fini mon travail.
Kusanagi remua la tête de côté deux ou trois fois sans quitter des yeux la jeune femme qui évitait son regard.
— Il voulait vous emmener au restaurant, n’est-ce pas ?
— Oui, je crois.
— Tout est clair à présent. Que vous vous montriez si attentionnée à son égard, même s’il s’agissait du mari de votre professeur, nous semblait bizarre. Pour ne rien dire de votre décision de passer chez lui simplement parce qu’il ne décrochait pas son téléphone.
L’air accablé, Hiromi Wakayama rentra la tête dans les épaules.
— Je me rendais compte que mon explication était peu convaincante. Mais je ne voyais pas comment justifier ma présence…
— Et vous êtes venue parce que son absence de réponse vous inquiétait, avez-vous dit. Voulez-vous ajouter quelque chose à ce sujet ?
— Non. Je n’ai rien à changer à ce que je vous ai dit hier soir. Je vous demande pardon d’avoir menti, fit-elle en s’inclinant devant eux.
Sa collègue assise à côté de lui continuait de prendre des notes. Il lui jeta un coup d’œil et reporta son attention sur Hiromi Wakayama.
Il n’y avait aucune incohérence dans ce qu’elle venait de leur dire. Les doutes qu’il avait pu avoir à son sujet hier soir s’étaient dissipés. Mais il ne pouvait lui faire entièrement confiance.