— Ce n’est rien, mais de quoi vouliez-vous me parler ?
En guise de réponse, Ayané l’invita à s’asseoir sur l’un des deux fauteuils de la chambre.
Hiromi s’exécuta et jeta un coup d’œil autour d’elle. La valise d’Ayané était ouverte à côté du lit double. Elle était bien remplie. Peut-être comptait-elle passer plusieurs jours ici.
— Tu as soif ?
— Non, je vous remercie.
— Écoute, je t’en sers un verre quand même, au cas où tu changerais d’avis, dit Ayané en remplissant deux verres de thé glacé d’une bouteille qu’elle sortit du petit réfrigérateur.
Hiromi la remercia et tendit la main vers son verre. Elle avait en réalité la gorge sèche.
— Et de quoi voulaient te parler les policiers ? demanda Ayané de son habituel ton paisible.
Hiromi posa son verre et se passa la langue sur les lèvres.
— Des circonstances dans lesquelles j’ai trouvé M. Mashiba. Ils m’ont aussi demandé si j’avais une idée sur un possible coupable.
— Et que leur as-tu répondu ?
— Que je n’en avais pas, répondit-elle en faisant non de la main. Oui, c’est ce que je leur ai dit.
— Ah bon ! Ils ne t’ont rien demandé d’autre ?
— Non… rien d’autre, fit Hiromi en baissant la tête.
Elle ne pouvait pas lui raconter qu’ils l’avaient questionnée sur le café qu’elle avait bu avec lui.
Ayané hocha la tête et prit son verre. Elle but une gorgée et le posa contre sa joue, comme pour se rafraîchir. Elle devait avoir chaud.
— Hiromi, commença-t-elle. J’ai quelque chose à te dire.
Son assistante releva la tête, surprise. Son regard croisa celui d’Ayané. La colère qu’elle crut y lire disparut immédiatement, remplacée par quelque chose d’autre. Les yeux d’Ayané n’exprimaient ni fureur ni ressentiment, mais un mélange de tristesse et d’incompréhension. Le léger sourire qui flottait sur ses lèvres accentuait encore ce sentiment.
— Il m’a dit qu’il voulait me quitter, dit-elle d’une voix monocorde.
Hiromi détourna les yeux. Peut-être aurait-elle dû feindre la surprise, mais elle n’en avait pas la force. Elle n’osait même pas la regarder.
— Ce vendredi, juste avant l’arrivée des Ikai, dans notre chambre. Pour lui, être marié à une femme stérile n’avait pas de sens.
Elle l’écouta avec accablement. Elle savait que Yoshitaka avait parlé à Ayané, mais elle n’avait pas pensé une minute que ce serait en ces termes.
— Et il a ajouté qu’il avait une autre femme dans sa vie. Il ne m’a pas dit qui. Il a précisé que je ne la connaissais pas.
Hiromi se tendit. Elle ne croyait pas qu’Ayané lui aurait raconté cela si elle n’avait pas tout deviné. Son calme lui paraissait destiné à la déstabiliser.
— Je crois qu’il mentait. Et qu’il s’agit de quelqu’un que je connais. Que je connais même très bien. C’est peut-être pour cela qu’il n’a pas voulu prononcer son nom.
Hiromi se sentait mal. Incapable de résister plus longtemps, elle releva la tête. Les larmes coulaient sur son visage.
Ayané la dévisagea sans montrer aucune surprise. Elle continuait à sourire de la même manière.
— Hiromi, c’est de toi qu’il s’agit, n’est-ce pas ? demanda-t-elle du même ton que pour s’adresser gentiment à un enfant qui vient de faire une bêtise.
Hiromi, incapable de répondre, se tut, de peur de commencer à sangloter. Ses larmes ruisselaient sur ses joues.
— C’est bien toi, non ?
Il était trop tard pour le nier. Elle fit imperceptiblement oui de la tête.
Ayané expira de manière audible.
— Je ne me trompais pas…
— Je suis…
— Je comprends, ne dis rien. Quand il m’a annoncé son intention de me quitter, tout d’un coup, j’ai compris. Peut-être ferais-je mieux de dire que je m’en étais déjà rendu compte. Et que je ne voulais pas l’admettre… Nous étions si proches, je ne pouvais pas ne pas le voir. Et tu n’es pas plus douée que lui pour mentir ou jouer la comédie.
— Vous devez m’en vouloir.
Ayané inclina la tête.
— Eh bien… Oui, je crois que je suis fâchée. J’imagine que tout est venu de lui mais pourquoi ne l’as-tu pas repoussé ? Pourtant je ne pense pas que tu m’as volé mon mari. Je t’assure. Il ne m’a pas trompée. Il a d’abord dû cesser de m’aimer, et s’intéresser à toi ensuite. Je m’en veux aussi de ne pas avoir su garder son affection.
— Pardon. Je savais que j’agissais mal, mais il a insisté, insisté, et…
— Je ne veux pas en savoir plus, l’interrompit Ayané, d’un ton différent de celui qu’elle avait eu jusque-là, pointu, glaçant. Parce que je t’en voudrais encore plus. Tu crois vraiment que j’ai envie de savoir ce qui t’a attirée chez lui ?
Elle avait indubitablement raison. Hiromi baissa la tête, avant de la secouer.
— Nous nous sommes promis quelque chose quand nous nous sommes mariés, reprit Ayané qui avait retrouvé son habituelle voix douce. Si je n’étais pas enceinte après un an de mariage, nous reconsidérerions la situation. Nous n’étions plus très jeunes ni l’un ni l’autre, n’est-ce pas ? C’est pour cela que nous n’envisagions pas de nous lancer dans un long traitement contre l’infertilité. Je dois reconnaître que j’ai été choquée quand j’ai compris qu’il s’agissait de toi, mais lui, il s’est peut-être dit qu’il ne faisait que tenir la promesse que nous nous étions faite.
— Il m’en a parlé, souffla Hiromi, sans relever la tête.
Il l’avait mentionné samedi, en utilisant le mot « règle ». Hiromi trouvait cela incompréhensible, mais Ayané l’avait apparemment accepté.
— J’ai décidé de partir à Sapporo pour faire de l’ordre dans ma tête. L’idée de continuer à vivre ici, alors qu’il m’avait fait part de son intention de me quitter, m’était insupportable. Et je t’ai confié la clé pour ne plus penser à lui. Je savais que vous alliez vous voir pendant mon absence. La situation me paraissait plus claire si tu avais la clé.
Hiromi se souvint de la manière dont elle la lui avait remise. Elle n’avait pas une seconde pensé que son geste exprimait une détermination si forte. Bien au contraire, elle avait été flattée de la confiance qu’Ayané lui accordait. Elle se pétrifia en réfléchissant à ses sentiments au moment où elle avait accepté la clé sans se douter de rien.
— Tu as parlé aux policiers de votre relation ?
Hiromi fit doucement oui de la tête.
— J’ai senti qu’ils s’en étaient rendu compte, et que je n’avais pas le choix.
— Ah bon ! Je peux comprendre pourquoi. Ils ont dû trouver bizarre que tu décides d’entrer dans la maison parce que tu étais inquiète à son sujet. Ils ne pouvaient que faire le lien. Pourtant ils ne m’en ont pas parlé.
— Vraiment ?
— Ils font sans doute semblant de ne rien savoir pour voir ce que je vais faire. Je dois faire partie des gens qu’ils soupçonnent.
— Vous ? fit Hiromi en regardant Ayané. Vous croyez ?
— C’est normal qu’ils pensent que j’ai un mobile, non ? Mon mari voulait me quitter…
Elle avait raison. Hiromi cependant ne partageait pas du tout leur point de vue. Le fait qu’elle se soit trouvée à Sapporo au moment où Yoshitaka était mort y était pour quelque chose, et plus encore les assurances qu’il lui avait données qu’elle avait accepté la séparation.
— Mais ça m’est égal. Ça n’a aucune importance pour moi, ajouta-t-elle en tirant à elle son sac dont elle sortit un mouchoir pour s’essuyer les yeux. Non, tout ce que je veux savoir, c’est ce qui est arrivé. Pourquoi est-il mort ainsi… Tu n’as vraiment aucune idée là-dessus ? Quand l’as-tu vu pour la dernière fois ?