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— Je n’y suis plus. Je suis en route pour le commissariat. Décidez-vous, enfin !

Elle lui donna le nom d’un café à proximité, et il raccrocha.

Elle rangea son rapport dans son sac et prit sa veste.

— C’était le professeur Yukawa ? demanda Kishitani.

— Oui, il veut me parler de quelque chose.

— Je t’envie ! Ça nous aiderait beaucoup s’il pouvait nous dire la façon dont le poison est arrivé dans le café de la victime. Écoute-le attentivement ! Il ne s’exprime pas toujours simplement, prends des notes !

— Je sais, répondit-elle et elle s’en alla.

Yukawa arriva pendant qu’elle buvait un thé dans le café où ils s’étaient donné rendez-vous. Il s’assit en face d’elle et commanda un chocolat chaud.

— Je pensais que vous prendriez un café !

— Non, je n’en ai aucune envie. J’en ai bu deux tasses quand vous étiez avec moi tout à l’heure, sourit Yukawa. Désolé de vous avoir convoquée de cette manière.

— Cela ne me dérange pas. De quoi vouliez-vous me parler ?

— Euh… fit-il.

Il baissa les yeux puis les releva en la regardant.

— D’abord, je veux savoir si vous continuez à soupçonner Mme Mashiba.

— Eh bien… Oui. Sans aucun doute.

— Ah bon… fit-il en sortant de la poche intérieure de sa veste un papier plié en quatre qu’il posa sur la table. Lisez ça.

Kaoru le prit et le déplia. Elle le lut et fronça les sourcils.

— De quoi s’agit-il ?

— De ce que je veux vous demander de vérifier. En détail, et non en gros.

— Cela vous permettra de résoudre l’énigme ?

Yukawa cligna des yeux et soupira.

— Je ne pense pas, non. Je cherche à vérifier que je ne peux pas la résoudre. Pour utiliser votre terminologie, à corroborer cet état de choses.

— Ce qui signifie ?

— J’ai réfléchi après votre départ. En prenant pour hypothèse la culpabilité de Mme Mashiba, et en faisant des suppositions sur la méthode qu’elle avait pu utiliser. Mais je ne suis arrivé à rien. Ma conclusion est que cette équation n’a pas de solution. Sauf une.

— Une ? Dans ce cas, elle n’est pas sans solution.

— Oui, mais la solution ne s’exprime qu’avec un nombre imaginaire.

— Un nombre imaginaire ?

— Je veux dire qu’elle est possible en théorie, mais pas en pratique. Une seule méthode a pu permettre à Mme Mashiba qui était à Hokkaido d’empoisonner son mari à Tokyo, mais la possibilité qu’elle ait pu la mettre en pratique est infime. Vous me suivez ? L’astuce est possible, mais impossible à mettre en pratique.

Kaoru secoua la tête.

— Je ne suis pas sûre de vous comprendre. Si ce que vous dites est vrai, cette méthode n’a pas pu être utilisée, non ? Et vous voulez que je fasse ces investigations pour le prouver ?

— Prouver qu’il n’y a pas de réponse a son importance.

— Moi, je cherche la réponse. Je n’ai rien à faire de la théorie, mon travail a pour but d’établir la vérité sur ce qui s’est passé.

Yukawa se tut. La serveuse lui apporta son chocolat chaud qu’il but sans se presser.

— C’est vrai, murmura-t-il. Vous avez raison.

— Comment ça…

Il tendit le bras pour ramasser la feuille de papier posée sur la table.

— Nous, les scientifiques, nous tenons absolument à trouver une solution, même si elle implique un nombre imaginaire. Mais vous, les policiers, vous n’êtes pas des scientifiques. Vous n’avez pas de temps à perdre à prouver l’existence de telles choses. Il replia en quatre le papier et le glissa dans sa poche et esquissa un sourire. Oubliez ce que je viens de vous dire.

— Dites-moi ce qu’est cette astuce à laquelle vous pensez. Et laissez-moi décider ensuite. Je ferai les investigations que vous souhaitez si je pense que cela en vaut la peine.

— Je ne peux pas.

— Et pourquoi ?

— Si vous la connaissez, vous ne serez plus objective et votre enquête ne le sera pas non plus. Inversement, si vous décidez de ne pas faire ces investigations, vous n’avez pas besoin de la connaître. Donc je ne peux pas vous en parler.

Il tendit la main vers la note, mais Kaoru fut plus rapide que lui.

— Je vous invite.

— C’est hors de question. Je vous ai fait venir pour rien.

Elle lui présenta son autre main, la paume tournée vers le haut.

— Donnez-moi la feuille que vous m’avez fait lire. Je ferai ce que vous demandez.

— Il est question d’un nombre imaginaire !

— Je veux quand même découvrir la seule solution que vous ayez trouvée.

Yukawa soupira et sortit le papier de sa poche. Elle le prit et le relut avant de le mettre dans son sac.

— Si cette astuce ne correspond pas à un nombre imaginaire, nous arriverons à résoudre cette énigme.

Il ne réagit pas, se contentant de soulever ses lunettes d’un doigt en murmurant : « Peut-être. »

— Je me trompe ?

— S’il ne s’agit pas d’un nombre imaginaire, ajouta-t-il, le regard brillant, vous ne gagnerez pas cette partie. Ni moi non plus. Nous sommes en face d’un crime parfait.

20

Hiromi Wakayama regardait la tapisserie accrochée au mur. Des morceaux de tissus bleus et gris formaient une longue bande qui tournicotait en se croisant sur elle-même pour finalement revenir à son point de départ en formant une boucle. Le motif assez complexe paraissait géométrique de loin. Yoshitaka Mashiba ne l’appréciait pas car elle lui rappelait une hélice d’ADN, mais Hiromi ne partageait pas son avis. Quand Ayané avait montré ses œuvres dans une galerie à Ginza, elle avait choisi de la suspendre tout près de l’entrée. Ce panneau devait lui plaire, sinon elle n’en aurait pas fait un des premiers que découvraient les visiteurs. Ayané était l’auteur du dessin, mais Hiromi l’avait produite, une pratique qui n’a rien de rare dans le milieu de l’art textile, particulièrement dans le cas du patchwork, où des mois de travail sont nécessaires pour réaliser une œuvre de grande dimension. C’est le seul moyen d’organiser une exposition. Ayané faisait cependant partie des artistes qui réalisaient beaucoup eux-mêmes : quatre-vingts pour cent des pièces montrées dans cette exposition étaient de sa main. Hiromi avait été touchée par cette volonté de mettre en valeur une création qu’elle avait exécutée. Cette reconnaissance par Ayané de la qualité de son travail l’avait remplie de joie.

Je veux continuer à travailler avec elle, s’était-elle dit à ce moment-là.

Un bruit la tira de sa rêverie. Ayané, assise en face d’elle, venait de poser sa chope sur la table. À cette heure-ci, d’ordinaire, Ann’s House était rempli de femmes occupées à couper et à coudre, mais aujourd’hui, elles y étaient seules toutes les deux. L’atelier n’avait pas encore rouvert.

— Ah bon… souffla Ayané en serrant sa tasse entre ses mains. Si c’est ce que tu as décidé, je n’y peux rien.

— Je suis désolée de me montrer si égoïste, dit Hiromi en baissant la tête.

— Je ne te demande pas de t’excuser. Moi aussi, je me disais que continuer comme avant ne serait pas facile. Et j’étais arrivée à la même conclusion.

— Tout est ma faute. Les mots me manquent pour…

— Cessons d’en parler. Je n’ai aucune envie d’entendre à nouveau tes excuses.

— Oh… Pardon…

Hiromi rentra la tête dans les épaules. Elle avait les larmes aux yeux mais ne voulait pas le lui montrer. Elle pensait que cela déplairait à Ayané.

Elle l’avait appelée pour lui dire qu’elle voulait lui parler et Ayané lui avait donné rendez-vous à l’atelier sans lui poser aucune question. Hiromi s’était dit qu’elle avait choisi cet endroit sans doute parce qu’elle avait deviné les intentions de son assistante.