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Hiromi était entrée dans le vif du sujet pendant qu’Ayané préparait du thé. Elle lui avait demandé d’accepter sa démission. Elle ne souhaitait plus être son assistante.

— Tu vas t’en sortir ? demanda Ayané, qui ajouta en la voyant baisser la tête : Comment vas-tu faire ? Pour vivre, je veux dire. Tu vas avoir du mal à retrouver du travail, non ? Tu comptes sur l’aide de tes parents ?

— Je ne sais pas encore. Je préférerais ne rien leur demander, mais j’aurai peut-être à le faire. J’ai quelques économies et je vais essayer de m’en sortir toute seule dans la mesure du possible.

— Tu n’as pas l’air très sûre de toi, commenta Ayané en lissant ses cheveux derrière ses oreilles, un geste qu’elle faisait quand elle était irritée. Je sais bien que cela ne me regarde pas, mais…

— Je vous suis reconnaissante de vous faire du souci pour moi. Alors que…

— Je t’ai dit que cela suffisait, non ?

Le ton vif d’Ayané fit se crisper Hiromi qui rentra le cou dans les épaules.

— Pardon, souffla Ayané. Je n’ai pas été très aimable. Mais je ne veux plus entendre tes excuses. Même si nous ne pouvons plus travailler ensemble, je te souhaite de trouver le bonheur. Du fond du cœur.

Le ton sincère de sa voix amena Hiromi à relever craintivement la tête. Le triste demi-sourire qui flottait sur le visage d’Ayané lui parut authentique.

— Merci, murmura-t-elle.

— Et puis la personne qui a fait que nous soyons dans cette situation aujourd’hui n’est plus. Cessons donc de penser au passé.

Hiromi n’eut d’autre choix que d’acquiescer à ses propos prononcés d’une voix douce. Mais elle savait au fond d’elle-même que ce qu’Ayané suggérait était impossible. La relation passionnée qu’elle avait vécue avec Yoshitaka Mashiba, le chagrin de l’avoir perdu, les remords qu’elle éprouvait pour avoir trahi Ayané, tout était gravé au plus profond d’elle-même.

— Hiromi, depuis combien de temps travailles-tu avec moi ? demanda Ayané d’un ton dégagé.

— Un peu plus de trois ans.

— Tu as raison, cela fait déjà trois ans. Autant que la durée de la scolarité au lycée. Tu n’as qu’à penser que tu as fini tes études avec moi, non ?

Hiromi ne parvint pas à manifester son accord. Elle me prend pour une idiote, pensa-t-elle.

— À propos… Tu as la clé de l’atelier, non ?

— Euh… oui. Je vais vous la rendre, répondit-elle en soulevant son sac posé à côté d’elle.

— Non, ce n’est pas la peine.

— Pourtant…

— Il y a beaucoup de choses à toi ici, non ? Il te faudra un peu de temps pour tout trier. Et n’hésite pas à prendre tout ce qui te plaît. Cette tapisserie, par exemple. Je ne me trompe pas ?

Son regard était fixé sur celle que contemplait Hiromi quelques instants plus tôt.

— Vous êtes sûre ?

— Bien sûr ! C’est toi qui l’as faite. Tu te souviens de son succès à l’exposition ? Je n’ai pas voulu la vendre parce que je comptais te la donner tôt ou tard.

Hiromi n’avait pas oublié. Le prix de la plupart des œuvres était indiqué, mais une étiquette précisait que celle-ci n’était pas à vendre.

— Combien de temps penses-tu qu’il te faudra pour ranger tes affaires ? demanda Ayané.

— Je devrais avoir fini ce soir ou demain.

— Ah bon ! Téléphone-moi quand ce sera fait. Tu n’auras qu’à laisser la clé dans la boîte aux lettres. Fais attention à ne rien oublier. Sitôt que tu auras terminé, je demanderai à des déménageurs de venir prendre ce dont je n’ai pas besoin.

Ayané sourit à Hiromi qui la regardait en clignant des yeux, perplexe.

— Je ne peux pas rester indéfiniment à l’hôtel ! D’une part, ce n’est pas pratique, et puis cela revient cher. J’ai décidé de m’installer ici pour le moment.

— Vous ne voulez pas retourner dans la maison ?

Ayané soupira légèrement, et se voûta.

— Je l’ai envisagé, mais j’y ai renoncé. Tous les bons souvenirs que j’ai là-bas me sont à présent insupportables. Et je n’ai pas besoin de tant de place ! Je ne comprends pas comment il a pu y vivre seul.

— Vous allez vendre ?

— Oui, mais ce ne sera sans doute pas facile à cause de ce qui s’y est passé. Je compte demander à M. Ikai ce qu’il en pense. Il connaît peut-être quelqu’un qui…

Incapable de trouver quelque chose à dire, Hiromi contemplait sa chope. Le thé que lui avait versé Ayané devait avoir refroidi.

— Bon, je vais m’en aller, dit cette dernière en se levant, la chope à la main.

— Laissez-la sur la table. Je les laverai toutes les deux.

— Vraiment ? Merci, fit-elle et elle reposa sur la table la tasse qu’elle se mit à regarder. Elles sont à toi, non ? Une amie qui venait de se marier t’en avait fait cadeau, non ?

— Exactement. Elle m’en avait donné deux.

Hiromi se servait de l’autre, comme chaque fois qu’elles buvaient un thé en discutant des choses à faire.

— N’oublie pas de les emporter !

— Oui, murmura-t-elle.

Sans cette recommandation, elle n’y aurait pas pensé. Elle ressentit de la tristesse à l’idée que la présence d’objets qui lui appartenaient pouvait déplaire à Ayané.

Celle-ci mit la bandoulière de son sac sur son épaule et se dirigea vers l’entrée. Hiromi la suivit.

Elle se retourna vers son assistante après avoir enfilé ses chaussures.

— Ça me fait drôle. Tu arrêtes l’atelier, mais c’est moi qui m’en vais.

— Je vais faire vite. Je peux m’arranger pour avoir tout fini ce soir.

— Prends ton temps ! Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire. Elle la regarda droit dans les yeux. Bonne chance pour la suite !

— À vous aussi !

Ayané hocha la tête et poussa la porte. Elle sortit et la referma en souriant.

Hiromi s’assit à même le sol. Elle poussa un soupir.

Quitter son travail à l’atelier la peinait, ne plus avoir de source de revenus l’inquiétait, mais elle ne voyait pas d’autre issue. Elle aurait d’ailleurs dû le faire plus tôt, quand elle avait avoué à Ayané sa liaison avec Yoshitaka. Elle n’avait pas exigé son départ, mais elle ne pouvait pas lui avoir pardonné.

Et en plus… se dit-elle en posant la main sur son ventre.

Elle attendait un enfant. Elle avait eu peur qu’Ayané ne lui demande ce qu’elle comptait faire. Elle ne le savait pas elle-même.

Peut-être Ayané ne l’avait-elle pas fait parce qu’elle était persuadée que Hiromi avorterait. Elle ne pouvait probablement pas imaginer que Hiromi pût avoir envie de le garder.

La jeune femme hésitait. Non, ce n’était pas vrai : au plus profond d’elle-même, elle souhaitait mettre cet enfant au monde. Elle en était consciente.

Mais quelle serait alors sa vie ? Elle ne pourrait pas compter sur sa famille. Ses parents étaient vivants, mais ils n’étaient pas riches. C’étaient des gens ordinaires qui ne manqueraient pas d’être choqués, et désorientés, d’apprendre que leur fille allait devenir mère célibataire à la suite de sa liaison avec un homme marié.

Il lui faudrait se résoudre à avorter… C’était la conclusion à laquelle elle aboutissait chaque fois qu’elle pensait à sa grossesse. Elle cherchait en vain une autre solution. Depuis la mort de Yoshitaka, cette question la torturait.

Son téléphone sonna au moment où elle secouait la tête. Elle se releva lentement, et revint à la table de travail. Elle sortit son portable de son sac posé sur une chaise. Elle reconnut le numéro de la personne qui l’appelait. Elle n’avait pas envie de répondre, mais elle appuya sur la touche « réception d’appel ». Son interlocutrice n’aurait pas manqué de la rappeler.