Mais elle avait un alibi. Étant donné que la police ne semblait pas la soupçonner, elle n’avait probablement pas pu commettre le crime.
À part Ayané, quelqu’un avait-il une raison de le tuer ? Cette interrogation la remplissait d’une tristesse particulière. Elle avait conscience de ne presque rien savoir de l’homme dont elle désirait si fort mettre l’enfant au monde.
Kaoru Utsumi portait un tailleur sombre. Elle s’assit sur la chaise occupée par Ayané une trentaine de minutes auparavant et pria Hiromi de l’excuser de la déranger encore une fois.
— Vous pouvez revenir me voir autant que vous voulez mais je doute que cela vous permette de résoudre l’énigme. Je ne connaissais pas très bien M. Mashiba.
— Vous aviez une liaison avec lui, mais vous ne le connaissiez pas bien ?
Les lèvres de Hiromi se crispèrent.
— Je sais quel genre d’homme il était. Mais cela ne vous est pas d’un grand secours dans votre enquête, n’est-ce pas ? Je veux dire que je ne connais ni son passé ni les problèmes qu’il pouvait rencontrer dans son travail.
— Nous avons besoin de savoir quel genre d’homme il était pour progresser dans notre enquête. Aujourd’hui, cependant, je ne suis pas venue vous questionner à ce sujet, mais à propos d’éléments du quotidien.
— D’éléments du quotidien ?
— De son quotidien. Vous êtes la mieux placée pour y répondre.
— Vous ne croyez pas que Mme Mashiba l’est encore mieux que moi ?
Kaoru Utsumi pencha la tête de côté et sourit.
— Je ne pense pas que son avis soit entièrement objectif.
— Que voulez-vous savoir ?
— Vous avez commencé à fréquenter leur maison immédiatement après leur mariage, n’est-ce pas ? Vous y alliez souvent ?
— Cela dépendait des moments. Je dirais une ou deux fois par mois, en moyenne.
— Toujours le même jour ?
— Non. Mais c’était souvent le dimanche. L’atelier est fermé ce jour-là.
— Le dimanche, M. Mashiba était là, j’imagine ?
— C’est exact.
— Vous parliez ensemble tous les trois ?
— Cela nous arrivait, mais il était généralement dans son bureau où il travaillait, même les jours de congé. Et puis j’allais chez eux avant tout pour parler de choses de l’atelier avec Mme Mashiba, et non pour le plaisir, continua-t-elle d’un ton presque agressif.
Cela lui déplaisait que les enquêteurs imaginent qu’elle le faisait pour voir Yoshitaka.
— Et où discutiez-vous avec elle ?
— Dans le salon.
— Exclusivement dans le salon ?
— Oui. Cela change-t-il quelque chose ?
— Vous ne buviez pas de café ou de thé quand vous alliez chez eux ?
— Si, bien sûr.
— C’est vous qui le prépariez ?
— Rarement. Je ne le faisais que si Mme Mashiba ne pouvait le faire parce qu’elle était en train de cuisiner.
— Vous nous avez dit qu’elle vous avait appris à bien faire le café, et que, dimanche matin, vous l’avez préparé selon sa méthode.
— Oui. Vous voulez encore une fois parler du café ? demanda-t-elle en faisant la moue.
Peut-être parce qu’elle était habituée à ce que les personnes qu’elle interroge montrent leur déplaisir, l’inspectrice ne réagit pas.
— Avez-vous ouvert le réfrigérateur pendant le dîner auquel étaient invités les Ikai ?
— Le réfrigérateur ?
— Il devait y avoir des bouteilles d’eau minérale à l’intérieur. Je veux savoir si vous les avez vues.
— Oui, j’en ai vu. Je suis allée en chercher une pendant le dîner.
— Pouvez-vous me dire combien il y en avait à l’intérieur ?
— Je ne m’en souviens pas. Plusieurs.
— Une ou deux ?
— Puisque je vous dis que je ne m’en souviens pas ! Quatre ou cinq, peut-être, parce qu’il y en avait plusieurs, répondit-elle d’un ton excédé.
— Très bien, fit son interlocutrice en hochant la tête, le visage aussi inexpressif qu’un masque de nô. Vous nous avez expliqué être allée dans leur maison ce fameux dimanche parce que M. Mashiba vous avait appelée. L’avait-il déjà fait auparavant ?
— Non. C’était la première fois.
— Pourquoi l’a-t-il fait uniquement ce jour-là ?
— Eh bien… parce qu’Ayané était partie chez ses parents.
— Vous voulez dire qu’il n’en avait jamais eu l’opportunité jusqu’alors ?
— Oui, et probablement aussi parce qu’il voulait me dire qu’elle avait accepté de divorcer.
— Je vois, fit Kaoru Utsumi en hochant la tête. Savez-vous quelque chose de leurs hobbys ?
— De leurs hobbys ? répéta Hiromi en fronçant les sourcils.
— Je veux dire, ce qu’ils aimaient faire ensemble. Du sport, des voyages, des promenades en voiture, par exemple.
Son interlocutrice parut perplexe.
— Il jouait au tennis et au golf, mais pour autant que je sache, Ayané ne pratique aucun sport. Je ne lui connais pas d’autres hobbys que le patchwork et la cuisine.
— Que faisaient-ils de leur temps libre ?
— Je ne connais pas les détails.
— Dites-moi ce que vous savez.
— Mme Mashiba faisait du patchwork. Lui, je crois qu’il regardait des DVD.
— Dans quelle pièce faisait-elle du patchwork ?
— Dans le salon, je pense.
Hiromi ne comprenait pas l’objectif de ces questions et cela la troublait.
— Faisaient-ils des voyages ?
— Ils sont allés à Paris et à Londres immédiatement après leur mariage. Je ne crois pas qu’ils aient fait d’autres voyages depuis. Mais M. Mashiba se déplaçait fréquemment pour son travail.
— Qu’en est-il du shopping ? Vous en faisiez avec elle ?
— Oui, quand nous allions acheter des tissus pour le patchwork.
— Le dimanche ?
— Non, nous le faisions en semaine, avant le début des cours. Nous en achetions de grandes quantités que nous rapportions ensuite à l’atelier.
La jeune policière hocha la tête, et nota quelque chose dans son carnet.
— Je n’ai plus rien à vous demander. Merci d’avoir pris le temps de me répondre.
— Excusez-moi, mais à quoi vont vous servir ces questions ? Je ne vois pas où vous voulez en venir.
— De quelles questions parlez-vous ?
— De toutes. Je ne comprends pas le lien entre ce qui s’est passé et leurs hobbys, ou le shopping.
Une expression incertaine flotta sur le visage de Kaoru Utsumi qu’elle chassa en souriant.
— Ne vous en faites pas pour ça. Nous savons ce que nous avons à faire.
— Vous ne pouvez pas m’en dire plus ?
— Non, et croyez que j’en suis désolée. Mais je dois respecter nos règles, répondit-elle en se levant d’un bond. Toutes mes excuses pour le dérangement, ajouta-t-elle avant de se diriger à grands pas vers la sortie.
21
— J’ai été gênée quand elle m’a demandé le but de votre enquête, parce que je ne le comprends pas moi-même ! Vous savez, nous avons pour consigne de ne jamais oublier la finalité de nos questions, commenta Kaoru en portant sa tasse de café à ses lèvres.
Elle était venue voir Yukawa dans son laboratoire pour lui communiquer les réponses à la liste de questions qu’il lui avait confiée.
— Ce que vous dites est raisonnable, mais pas nécessairement pertinent, remarqua le physicien assis en face d’elle, en interrompant la lecture du rapport qu’elle lui avait remis. Je cherche à déterminer si nous avons ou non affaire à un crime extrêmement particulier, sans précédent. Le vérifier est une tâche très délicate, parce qu’il arrive souvent que ceux qui s’en chargent soient influencés par leurs a priori. Je pense au physicien René Blondlot… Vous ne pouvez pas savoir de qui il s’agit.