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L’ancienne amie de Yoshitaka Mashiba s’était servie pour mettre fin à ses jours du même poison que celui qui l’avait tué. Était-ce vraiment une coïncidence ?

Ne fallait-il pas plutôt y voir l’expression d’une intention ?

Telles étaient les réflexions de Kusanagi lorsque son téléphone se mit à sonner. Il lut le nom de Yukawa sur l’écran de son portable.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Je ne te connaissais pas ce goût pour le portable, digne d’une lycéenne.

— J’ai à te parler, c’est tout. On peut se voir aujourd’hui ?

— Ça devrait être possible, mais à quel sujet ? Tu as compris comment le poison a été introduit dans le café ?

— Je n’irais pas jusque-là. J’ai trouvé un moyen de le faire mais je n’ai pas encore de preuves.

Kusanagi serra plus fort son téléphone. Son ami avait tendance à s’exprimer peu clairement. Mais il le faisait encore plus quand il avait résolu une énigme.

— Tu en as parlé à Utsumi ?

— Non, pas encore. Et j’ajoute que je ne compte pas non plus te le révéler. Si tu viens me voir en croyant que je vais le faire, tu seras déçu.

— Comment ça ? Mais alors, de quoi veux-tu me parler ?

— De mes attentes vis-à-vis de votre enquête. Je veux m’assurer que les conditions pour réaliser cette astuce étaient réunies.

— Autrement dit, tu n’as pas l’intention de me dire ce qu’elle est, mais tu veux que je te donne des informations. Je suis sûr que tu le sais, mais laisse-moi te rappeler que communiquer à une tierce personne des informations obtenues dans le cadre d’une enquête constitue une infraction.

Il y eut un silence de quelques secondes.

— Je ne m’attendais pas à entendre un tel discours de ta part. Peu importe ! J’ai une raison pour ne pas t’expliquer l’astuce et je veux te voir pour te la donner.

— Tu fais bien des manières, je trouve. Je suis en route pour le commissariat de Meguro. Je passerai à l’université ensuite. Probablement autour de huit heures.

— Appelle-moi quand tu arrives. Je ne serai peut-être pas dans mon laboratoire.

— Très bien.

Kusanagi se rendit compte en raccrochant que la tension montait en lui.

Quel pouvait être le trucage auquel pensait Yukawa ? Il ne se croyait pas capable de le deviner mais il était inquiet de son impact sur Ayané.

Supposons que l’astuce à laquelle Yukawa songeait détruise son alibi inattaquable…

La situation serait sans issue, se dit-il. Pas pour Ayané, mais pour lui. Il lui faudrait la soupçonner.

De quoi allait lui parler Yukawa ? Jusqu’à présent, il avait toujours attendu ce genre d’explications avec impatience. Aujourd’hui, il était oppressé par une sensation proche de l’étouffement.

À son arrivée dans la salle de réunion du commissariat de Meguro, Kishitani lui tendit une télécopie : le rapport sur le suicide de Junko Tsukui.

— Tu t’y intéresses à cause du poison, n’est-ce pas ? commenta son collègue.

Kusanagi le parcourut rapidement. Junko Tsukui avait été trouvée allongée sur son lit. Un verre d’eau à moitié vide et un sac en plastique rempli de poudre blanche étaient posés sur la table à côté d’elle. La poudre était de l’acide orthoarsénieux, autrement dit de l’arsenic.

— Ils n’indiquent pas la manière dont elle se l’est procuré, sans doute parce qu’ils l’ignoraient, murmura Kusanagi.

— Ils n’ont probablement pas cherché, répondit Mamiya. Le suicide ne faisait aucun doute. Les enquêteurs n’ont pas vu l’intérêt d’établir où elle s’était procuré ce produit, qui est relativement courant.

— La coïncidence est troublante : il s’agit du même poison que celui qui a tué Mashiba. Bravo, Kusanagi ! s’exclama Kishitani d’une voix enthousiaste.

— La police a gardé le sac qui contenait l’arsenic ? demanda Kusanagi.

— Je leur ai demandé, et la réponse est malheureusement négative. Ça remonte à deux ans, expliqua Mamiya comme s’il le regrettait.

Vérifier s’il s’agissait du même produit aurait été possible si le poison avait été conservé.

— Je trouve quand même étrange que la famille n’en ait pas été informée, fit Kusanagi en penchant la tête sur le côté.

— Comment ça ?

— Mme Tsukui m’a parlé de somnifères. Je ne comprends pas pourquoi.

— Tout le monde peut se tromper.

— Oui, peut-être.

Kusanagi avait du mal à croire qu’une mère puisse se tromper à propos du suicide de son enfant.

— Avec cette découverte, plus ce dont nous a parlé Utsumi, l’enquête commence à progresser, remarqua Kishitani.

Kusanagi releva la tête.

— Qu’est-ce qu’elle vous a dit, Utsumi ?

— Le professeur Galileo lui a demandé de réexaminer à fond le filtre fixé sous l’évier de la cuisine, lui répondit Mamiya. Avec ce machin dont j’ai oublié le nom.

— SPring-8, glissa Kusanagi.

— Exactement. Notre ami le physicien veut que nous en fassions la demande. Utsumi est partie faire les démarches nécessaires à l’agence de police métropolitaine.

SPring-8 est le nom du synchrotron situé dans la préfecture de Hyogo. Depuis l’automne 2000, il est utilisé par la police scientifique pour l’analyse de quantités infimes. Il a joué un rôle important dans l’affaire du curry empoisonné.

— Donc Yukawa pense que le poison était placé dans le dispositif de filtration de l’eau du robinet.

— Selon Utsumi, oui.

— Pourtant, je ne crois pas qu’il ait trouvé comment cela a été fait… reprit Kusanagi qui s’interrompit et sursauta.

— Qu’y a-t-il ?

— J’avais oublié que je dois aller le voir. Il m’a laissé entendre qu’il avait percé l’énigme, donc il a peut-être compris maintenant…

Mamiya hocha la tête.

— Utsumi a dit à peu près la même chose. « Le professeur a résolu le problème. » Mais il n’a pas voulu lui expliquer comment. Il est décidément aussi brillant qu’excentrique.

— Il n’a pas non plus l’intention de m’en parler, d’après ce qu’il m’a raconté.

Mamiya esquissa un sourire contrarié.

— Ça ne fait rien. Il coopère bénévolement avec nous, alors… Et puis, s’il t’a convoqué, c’est probablement parce qu’il a de bons conseils à te donner. Écoute-le attentivement.

Il était plus de huit heures quand Kusanagi arriva à l’université. Il téléphona au physicien, sans succès. Il composa à nouveau son numéro de portable, et finit par entendre sa voix après plusieurs sonneries.

— Désolé. Je n’ai pas entendu mon téléphone.

— Où es-tu ? Au laboratoire ?

— Non, dans le gymnase. Tu sais où il se trouve, non ?

— Ça va de soi.

Il raccrocha et s’y rendit. Le bâtiment gris couvert d’un toit en arcade était situé à gauche après l’entrée principale. Étudiant, Kusanagi y avait passé plus de temps que dans les salles de cours. C’est là qu’il avait fait connaissance avec Yukawa. À l’époque, ils étaient minces tous les deux mais seul le physicien l’était encore aujourd’hui.

Près de l’entrée, il croisa un étudiant en survêtement, une raquette de badminton sous le bras, qui le salua.

À l’intérieur, il trouva son ami qui enfilait son coupe-vent. Le filet n’avait pas encore été décroché : la partie venait juste de finir.

— J’avais remarqué que les universitaires vivaient longtemps, mais je comprends maintenant pourquoi. Ils peuvent utiliser les installations sportives des universités comme leur propre club de sport !

Le ton ironique de Kusanagi ne fit pas sourire Yukawa.

— Tu te trompes : nous ne pouvons pas nous en servir comme s’il s’agissait de notre propre club. Je fais toujours une réservation. Et ton observation sur notre longévité est aussi erronée. Il faut du temps et des efforts pour devenir universitaire. Autrement dit, ne le deviennent que ceux qui ont une santé qui leur garantit la longévité. Tu confonds cause et résultat.